La politique étrangère pétrolière de Stephen Harper

L’Ukraine dans la tourmente d’une restructuration des sphères d’influence et la longue histoire de l’ingérence canadienne dans les affaires ukrainiennes et russes

Dans son plus récent ouvrage, The War That Ended Peace. The Road to 1914 (Allen Lane), Margaret MacMillan, l’auteure du best-seller Les Artisans de la paix, raconte comment les populations européennes ont été prises par surprise par le déclenchement de la Première Guerre mondiale. « La plupart des Européens, écrit-elle, croyait qu’une guerre généralisée était soit impossible, improbable, ou se terminer rapidement. »

Pourtant, de nombreux facteurs y conduisaient, dont l’émergence de l’Allemagne au rang de grande puissance. Mme MacMillan voit des similitudes avec la situation actuelle. Elle n’est pas la seule. Dans son édition du 21 décembre 2013, The Economist, le magazine de référence des classes dirigeantes à travers le monde, rappelle qu’à la veille de la Grande Guerre « la mondialisation et les nouvelles technologies – le téléphone, le bateau à vapeur, le train – avaient noué le monde dans une même toile », comme c’est le cas aujourd’hui.

The Economist rappelle les propos de l’économiste John Maynard Keynes décrivant « la vie d’un Londonien de l’époque, dégustant son thé le matin au lit et passant la commande de produits variés provenant de partout à travers le monde pour être livrés à sa porte, comme c’est possible de le faire aujourd’hui avec Amazon – et contemplant cet état du monde comme normal, assuré et permanent, sauf dans la perspective de nouvelles améliorations ».

Un an plus tard, éclatait un conflit qui allait faire 9 millions de morts et autant de blessés.

The Economist trouve troublants les parallèles qui peuvent être tracés aujourd’hui avec les années précédant la guerre de 14-18. « Les États-Unis sont la Grande-Bretagne, la superpuissance en déclin, incapable d’assurer la sécurité globale. Son principal partenaire, la Chine, joue le rôle de l’Allemagne, une nouvelle puissance économique qui agite une indignation nationaliste et développe ses forces armées. »

Le magazine britannique conclut cependant son éditorial sur une note optimiste: « Il n’y a aucune chance que les présents dangers auxquels le monde est confronté ne mènent à quelque chose de comparable aux horreurs de 1914 ». Une conclusion à John Maynard Keynes, quoi !

À peine quelques mois plus tard, ce bel optimisme est remis en question avec les événements en Ukraine, qui laissent entrevoir un retour à la Guerre froide. Bien sûr, il est fort possible que la tension baisse, qu’une nouvelle « normalité » s’installe et que chacun retourne confectionner sa liste d’achats sur Amazon. Mais ce ne sera que partie remise. D’autres tensions vont se manifester qui risquent d’amener l’humanité au bord d’une conflagration générale.

L’Ukraine a certes droit au maintien de sa souveraineté, mais est-ce le véritable enjeu de l’actuelle confrontation ? Le grand stratège militaire Carl Von Clausewitz a écrit que « la guerre était la continuation de la politique par d’autres moyens ». Pour établir le caractère d’une guerre – juste ou injuste – il faut analyser la politique qui a conduit à la guerre.

Certes, les actions de la Russie en Crimée violent la souveraineté de l’Ukraine. Mais les États-Unis et le Canada sont bien mal placés pour faire la leçon à la Russie après leurs interventions en Afghanistan, en Irak (dans le cas des États-Unis), en Yougoslavie et, dernièrement, en Libye. Sans compter que l’Ouest a reconnu l’indépendance du Kosovo, malgré l’opposition de la Serbie, un précédent que Poutine n’a pas manqué de rappeler.

En Ukraine, un gouvernement démocratiquement élu, celui du premier ministre Ianoukovitch, a été renversé 12 mois avant la fin de son mandat de 5 ans par un mouvement d’opposition appuyé ouvertement par les pays occidentaux, dont le Canada. Le ministre des Affaires étrangères John Baird s’est fait filmer sur la place de l’indépendance à Kiev en portant le foulard des protestataires.

Par la suite, le Canada a rappelé son ambassadeur à Moscou, a boycotté les Jeux paralympiques de Sotchi et a été un des premiers leaders mondiaux à se prononcer pour de sanctions économiques à l’égard de la Russie et pour son expulsion du G-8. Stephen Harper a été le premier membre du G-7 à se rendre à Kiev pour apporter son soutien au nouveau gouvernement.

La politique canadienne n’est pas étrangère à la présence en sol canadien d’une diaspora ukrainienne de 1,2 million de personnes et, de toute évidence, le Parti Conservateur veut faire des gains auprès de cet électorat lors des prochaines élections. Mais l’implication canadienne dans le conflit ukrainien dépasse ces considérations intérieures.

La politique étrangère du gouvernement canadien s’inscrit dans un repartage des sphères d’influence dans cette région du monde entre les grandes puissances. À l’époque de l’impérialisme, le développement économique inégal des pays provoque des appétits pour une redistribution des sphères d’influence et des sources de matières premières.

Depuis la dissolution de l’Union soviétique, l’alliance militaire de l’OTAN, qui regroupait à l’origine les États-Unis, le Canada et les pays d’Europe occidentale, étend son influence en Europe centrale. Des pays, qui faisaient autrefois partie du Pacte de Varsovie, comme la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie, la Hongrie et les pays baltes sont désormais membres de l’OTAN. La même politique a mené au démantèlement de la Yougoslavie.

Aux États-Unis, des voix se font entendre dans les milieux politiques et d’affaires pour que Washington profite de la nouvelle autosuffisance du pays en hydrocarbures pour exporter du gaz et du pétrole de schiste vers les pays d’Europe de l’Ouest afin de réduire, voire éliminer, leur dépendance à l’égard de la Russie.

Le président Obama a d’ailleurs autorisé la mise en marché d’un tiers des réserves stratégiques de pétrole des États-Unis. Les Européens, dont un tiers de la consommation de gaz provient de Russie, souhaitent eux aussi que Washington aille plus loin et autorise l’exportation automatique de gaz naturel vers l’Europe. L’Union européenne va d’ailleurs élaborer pour le mois de juin un plan d’action destiné à réduire sa dépendance énergétique vis-à-vis la Russie.

Nul doute que les intérêts pétroliers de l’Alberta, frénétiquement à la recherche de nouveaux marchés, et le gouvernement Harper voient d’un bon œil ces développements. Approvisionner l’Europe en pétrole, et la rendre dépendante de l’Amérique du Nord pour son énergie, lui permettraient de prendre des positions plus agressives, voire bellicistes, à l’égard de la Russie. Une situation explosive qui nous rapprocherait du déclenchement d’un conflit mondial.

Pour rejoindre les marchés européens, le pétrole de l’ouest canadien devra nécessairement transiter par le Québec. Le projet d’oléoduc de Trans-Canada Pipelines, qui doit rejoindre les ports de Cacouna au Québec et de St-John au Nouveau-Brunswick, est taillé sur me-sure pour remplir ce rôle.

Le socialiste Jean Jaurès disait que « le capitalisme porte en lui la guerre, comme une nuée dormante porte l’orage ». Mais cela ne signifie pas qu’il faille baisser les bras. Dans son livre, Mme MacMillan soutient la thèse que les leaders politiques avaient leur part de responsabilité dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale.

Si tel est bien le cas, notre devoir est de contrer la propagande du gouvernement Harper et condamner les ingérences du gouvernement canadien dans les affaires internes de l’Ukraine.

Stephen Harper ne cherche pas une solution pacifique au conflit, mais bien à aiguiser les contradictions entre l’Ukraine et la Russie, et entre l’Europe et la Russie, afin de pouvoir présenter le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta et le gaz naturel de la Colombie-Britannique comme alternatives aux hydrocarbures russes.

La Russie a déjà fait savoir qu’advenant une rupture de ses relations commerciales avec l’Europe, elle réorienterait ses livraisons de pétrole et de gaz vers la Chine. Des démarches en ce sens ont déjà été entreprises par les autorités russes. Le jour où cela se réalisera, les conditions pour le déclenchement d’une guerre mondiale seront réunies.

Méfions-nous de Stephen Harper. Il était favorable à l’effort de guerre en Afghanistan, il était partisan d’une participation canadienne à la guerre en Irak, et il a été un des principaux promoteurs de l’intervention en Libye.

Harper est un dangereux militariste. Dans un discours prononcé en 2006 devant la Civitas Society, une organisation d’extrême-droite, il a déclaré que « la politique extérieure du Canada doit reposer sur les valeurs du Bien et du Mal » et a reconnu qu’il voulait redéfinir l’identité canadienne autour de la Politique étrangère, de la Défense et de l’Armée.

Le Québec a une longue tradition pacifique, dont la plus récente expression a été son opposition massive à la guerre en Irak. Aussi, l’élection d’un gouvernement majoritaire du Parti Québécois serait la façon la plus conséquente et la plus efficace d’exprimer le pacifisme du peuple québécois et de s’opposer aux politiques belliqueuses du gouvernement de Stephen Harper.