Un moment charnière pour les régimes de retraite

Le retour à la solvabilité, tout le contraire d’une panacée

Alors que certains croient avoir sauvé leur régime à prestations déterminées, ces régimes désormais fermés aux nouveaux employés sont en fait sous respirateur artificiel. Négo après négo, on craint de les voir fermer avec le retour à la solvabilité », soutient Marie-Josée Naud, conseillère syndicale à la FTQ et responsable du dossier de la retraite.

Les indices financiers sont de plus en plus encourageants quant à la santé financière des régimes de retraite qui se portent beaucoup mieux qu’au 31 décembre 2012, indique-t-elle. Un grand nombre renoueront sous peu avec la solvabilité, voire avec des surplus.

« Je dirais que c’est un message qu’on essaie de passer depuis quelques années : il faut profiter de la période creuse pour restructurer nos régimes de retraite afin qu’ils puissent passer au travers des tempêtes par la suite. Depuis 2008, il est vrai que les employeurs ont bénéficié de mesures d’allègement, mais ils paient cher pour renflouer les régimes de retraite. Et il est clair que ça a été une expérience douloureuse. »

En janvier dernier, le gouvernement du Québec a mis en place trois forums de travail paritaires en vue de la restructuration des régimes de retraite à prestations déterminées, dont un pour le secteur privé.

Pour Mme Naud, une approche de financement plus prudente est impérative : pas de congé de cotisation ou de bonification automatique dès qu’il y a des surplus, financement des réserves, mettre certaines prestations accessoires, gestion des surplus de façon responsable et, peut-être, revoir l’âge de la retraite dans certains cas. « Il faut une approche plus fourmi que cigale. Certains l’ont fait et c’est tout à leur honneur. Ces régime-là ont plus de chances de survivre. »

Mais, pour avoir participé aux rencontres, elle affirme que le message envoyé par la partie patronale est sans équivoque : « La pérennité des régimes de retraite, ça ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse, nous et nos actionnaires, c’est la pérennité de nos entreprises. C’est aussi clair que ça. »

À son avis, il s’agit d’un message alarmant. Spécialement si on considère que les régimes PD à la charge de ces entreprises sont souvent les seuls qui leur restent. « Ailleurs, dans le monde, pour une entreprise comme Rio Tinto par exemple, et c’est loin d’être la seule, les régimes PD, c’est fini. Alors oui, ils discutent de restructuration à court terme, mais ce qu’ils ont en tête, pour la majorité d’entre eux, c’est de trouver une autre option où ils ne seront plus exposés aux déficits des régimes de retraite. »

Ce qui se confirme d’ailleurs par la forte tendance qu’ont les employeurs depuis quelques années, lors des négociations de renouvellement de conventions collectives, de demander la fermeture du régime PD en place pour les nouveaux employés, leur donnant plutôt accès à un régime à cotisations déterminées (CD).

À la FTQ, comme pour d’autres organisations syndicales, cette pratique revient à introduire des clauses de disparités de traitement. Mais la législation entourant les clauses orphelins est floue en ce qui concerne les régimes de retraite et la pratique n’est donc pas considérée comme illégale.

« Je ne jette pas de pierre à personne. Dans la majorité des cas, ces clauses sont adoptées avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, en échange d’investissements ou encore avec menace de fermeture. Souvent même, l’exécutif syndical local s’y oppose, mais les syndiqués votent pour. Parce que les travailleurs que ça affectera ne sont pas assis avec eux, ils ne sont pas engagés. Il n’y pas de conséquence immédiate autre que celle d’avoir l’impression, et c’est une impression, de sauver leur régime de retraite. Mais rien n’est moins sûr. »

Les entreprises cherchent donc à se départir non pas directement des régimes de retraite, qui peuvent souvent constituer un élément d’attraction et de rétention de main-d’œuvre, mais bien du risque que les régimes PD représentent.

D’autant plus que, depuis 2013, avec les nouvelles normes comptables internationales, les déficits des régimes de retraite font partie du bilan financier des entreprises. Les entreprises plus jeunes, sans régime PD ou avec un régime qui n’est pas au point, sont donc avantagées. Ce qui ajoute une pression sur les régimes PD.

« Concrètement, une entreprise dans le même créneau que Bombardier serait donc avantagée parce que Bombardier a un régime mature avec beaucoup de retraités. »

Mais fermer un régime déficitaire coûte cher, parce que les employeurs sont responsables du déficit et doivent renflouer la caisse. Introduire une disparité de traitement, un régime CD pour les nouveaux employés, revient finalement à mettre un pansement pour éviter la saignée.

Mais, à la FTQ, on craint qu’il ne s’agisse, pour plusieurs, que d’une mesure transitoire. Une fois le retour à la solvabilité du régime, il sera plus facile et moins coûteux pour un employeur de fermer définitivement le régime PD.

Bien entendu, la fermeture d’un régime doit se faire dans le processus de négociation, à moins que le régime ne fasse pas partie de la convention collective. Dans ce cas, c’est la prérogative de l’employeur.

Mme Naud souligne qu’il ne s’agit pas d’une situation avérée à l’heure actuelle, mais « nous sommes dans un moment charnière. Beaucoup de régimes ont retrouvé la voie de la pleine solvabilité. C’est aux prochaines négociations qu’on pourra vérifier la situation, voir si c’est amené aux tables. Mais c’est une crainte réelle. »

Si les régimes PD disparaissent, que restera-il ? Les régimes d’accumulation de capital (CD, RVER, REER, CÉLI), par opposition aux régimes d’accumulation de rentes, comme les régimes PD… et les régimes à prestations cibles (RPC).

« En fait, ce que les employeurs attendent présentement, c’est la possibilité de convertir leur PD en RPC. Ça fait d’ailleurs partie des sujets à aborder aux travaux du forum : Comment ça va marcher, les RPC ? »

Les régimes à prestations cibles existent déjà ailleurs au Canada. Le Nouveau-Brunswick a récemment transformé le régime PD du secteur public en RPC. Pour le moment au Québec, les RPC n’existent que dans le secteur du papier, avec une règlementation spécifique pour répondre aux grandes difficultés économiques qu’a connues le secteur. Mais il est clair pour la FTQ que c’est vers cette tendance que le vent souffle.

Dans un RPC, l’employeur verse une cotisation fixe et n’assume pas de responsabilité en cas de déficit, elle repose entièrement sur les participants. En cas de déficit, il faut soit augmenter les cotisations soit ne pas verser un avantage prévu conditionnel au ­rendement.