Au 64e Congrès de la CSN, retour du discours politique

Le mouvement syndical est à un moment charnière de son histoire

Le syndicalisme traverse une crise. L’appel au renouveau syndical et les propositions qui seront mises en débat au cours de ce congrès expriment une volonté d’inventer un autre modèle. Ils réaffirment aussi la pertinence du syndicalisme », a déclaré le président de la CSN, Jacques Létourneau, en ouverture du 64e Congrès de la Confédération des syndicats nationaux qui a réuni plus de 2 000 personnes à Québec, du 26 au 30 mai dernier.

Cette crise est avant tout celle d’un certain type de syndicalisme, selon le leader syndical, construit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Un syndicalisme basé sur les emplois permanents, stables et à prédominance masculine, principalement au sein d’entreprises manufacturières. « Ce monde n’existe plus depuis longtemps, mais plusieurs de nos pratiques et surtout de nos lois du travail s’en inspirent encore. »

Devant la montée de la droite, du retour du Parti libéral au pouvoir à Québec, des mesures d’austérité budgétaire, de l’agenda anti-travailleurs des conservateurs à Ottawa, de la croissance des inégalités économiques et sociales, nul doute que le mouvement syndical se trouve à un moment charnière de son histoire.

Renouveler le contact avec les membres, repenser les formes d’organisation pour rejoindre un plus grand nombre de salariés et reprendre le terrain du discours politique pour défendre la vision progressiste de la société qui anime le mouvement syndical, tel était le menu de ce congrès. Pendant une semaine, les délégués ont débattu d’une quinzaine de propositions, articulées autour de deux thèmes : travail et emploi ainsi que syndicalisme et rapport de force.

À l’issue de ce congrès et des orientations adoptées, la CSN, qui représente 325 000 membres, s’engage dans la voie du renouveau et de la construction d’un nouveau rapport de force syndical, revampé et adapté aux couleurs du monde du travail actuel.

Emplois à temps partiel, temporaires, obtenus via les agences de placement, travail autonome; environ 38 % des emplois sont désormais classés comme atypiques. Au cours des dix dernières années, le travail temporaire et à temps partiel a progressé plus rapidement que les emplois permanents et à temps complet, transformant complètement la réalité du monde du ­travail.

Trop souvent, travail atypique rime avec précarité parce que la Loi sur les normes du travail, qui établit les conditions minimales de travail au Québec, « est un vieux plancher plein de craques qui n’est plus adapté », selon Carole Henry, porte-parole de l’organisme de défense des droits des travailleurs non syndiqués Au bas de l’échelle.

Insécurité, absence de contrôle, protections sociales insuffisantes et faible rémunération sont le lot des travailleurs précaires, catégorie où les femmes, les immigrants, les jeunes et les minorités visibles sont surreprésentés.

« Le travail atypique et la précarisation ne sont pas le fruit du hasard, mais résultent de la stratégie du gouvernement et des entreprises pour rendre plus flexible le marché du travail et diminuer les coûts de main-d’œuvre », a-t-elle déclaré aux congressistes.

Alors que les salariés sont de plus en plus mis en compétition entre eux, que la sous-traitance crée deux catégories de travailleurs avec des conditions différentes, souvent dans un même milieu de travail, que la prolifération des agences de placement déresponsabilise les employeurs et contribue à accentuer les disparités de traitement, la précarité et les inégalités doivent être prises au sérieux par les organisations syndicales.

« Toute une classe de travailleurs ne bénéficient pas des gains sociaux obtenus par les luttes syndicales », souligne-t-elle, ajoutant que, dans la perspective d’une réouverture de la loi, le mouvement syndical se doit d’être solidaire des travailleurs les plus précaires de la société.

Si environ 200 000 personnes, en majorité des femmes, occupent des emplois payés au salaire minimum au Québec, une hausse du salaire plancher a des répercussions positives pour environ 20 % de la main-d’œuvre, selon Mme Henry.

Les délégués se sont penchés sur des propositions portant sur l’élargissement de la couverture des lois du travail à l’ensemble des travailleurs et d’une réforme de la Loi sur les normes du travail, avec une attention particulière concernant les disparités de traitement et la conciliation travail-famille.

La CSN fera la lutte à la sous-traitance et aux agences de placement de personnel au cours des trois prochaines années et développera, dans cette perspective, un cadre stratégique de négociations qui sera présenté aux fédérations en 2015.

Mettre en œuvre des négociations collectives coordonnées par entreprise ou par secteur d’activité, participer à la tenue d’États généraux sur le syndicalisme, et moderniser les dispositions anti-briseurs de grève étaient aussi au nombre des propositions débattues par les délégués.

Pour Mélanie Laroche, professeure à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, l’intégration des jeunes dans les structures syndicales est un élément clef pour lutter contre les disparités de traitement, une « problématique criante d’actualité », qui accentue les inégalités et les divergences intergénérationnelles dans les milieux de travail.

« Non, les jeunes n’ont pas besoin de faire du temps supplémentaire. Oui, les jeunes veulent choisir leur horaire. À tout ça, je vous réponds : Ouin, pis ? C’est une bonne nouvelle. Ça veut dire que vous avez fait des gains. Ça veut dire que le message que mon père m’a transmis toute sa vie, d’aller à l’école, de m’éduquer, d’avoir une bonne job, de choisir ma job et de ne pas mourir à gagner ma vie, ça a marché. C’est ça qu’on voit à l’heure actuelle avec les jeunes dans le mouvement syndical. »

Les jeunes syndiqués souhaitent voir les pratiques syndicales sortir du carcan des seules relations de travail au quotidien et de la négociation collective, selon les résultats d’une enquête menée par Mme Laroche auprès de 300 jeunes travailleurs syndiqués. Ces jeunes conçoivent le syndicalisme comme une « façon de vivre » et considèrent que le mouvement syndical a la responsabilité d’aider les travailleurs plus démunis.

Elle soutient que les syndicats ont la responsabilité d’intégrer la nouvelle génération dans les structures pour qu’elle ait voix au chapitre. « Il ne faut pas avoir peur des conflits, au contraire. Les débats, c’est sain. Il faut les laisser critiquer nos pratiques et leur donner de l’espace pour le faire. »

En matière de renouvellement des pratiques syndicales, la CSN développera un plan d’action stratégique pour accroître la syndicalisation dans le secteur privé au cours des six prochaines années. Un projet pilote devrait aussi être lancé pour permettre à des travailleurs qui ne sont pas membres d’un syndicat affilié à la centrale (ou à une autre organisation syndicale) d’adhérer à la CSN sur une base individuelle.

Un tel regroupement au sein de la centrale, dont les paramètres restent à définir, permettrait à des travailleurs non syndiqués de se doter d’une infrastructure organisationnelle et politique ainsi que de ressources et de services pour améliorer leur sort, et ce, même si, dans sa forme actuelle, le Code du travail ne permet pas la syndicalisation sur une base individuelle.

Ce nouveau modèle d’organisation de travailleurs, inspiré d’initiatives soutenues par des syndicats aux États-Unis, dans la restauration rapide et chez Walmart, vise la construction d’un nouveau rapport de force impliquant d’autres catégories de travailleurs, dont les non syndiqués.

Le projet, pour le moment très exploratoire, permettrait de rejoindre les salariés du secteur des services, là où se crée la majorité des emplois, sou­-vent précaires et ­atypiques.