Donne à manger à un cochon…

La sagesse populaire a ceci de particulier qu’elle sait d’instinct mettre le doigt sur les causes et sur les effets. C’est ainsi que, par exemple, sans doute pour l’avoir observé plus d’une fois, elle a constaté les dégâts, sur les perrons, qui sont le fait d’un cochon à qui on avait auparavant donné à ­manger.

On aurait beaucoup à apprendre de cette sagesse populaire qui s’exprime sans fla-flas. Sans doute nous aiderait-elle, cette sagesse, à prendre l’exacte mesure de certaines personnes, qui ne sont rien d’autre que de petits pharaons de passage, mais dont le plus petit pet est répercuté dans des médias pour le moins accommodants.

Les temps présents sont bien difficiles pour le perron québécois. C’est à croire qu’y faire ses besoins est devenu une espèce de sport national que plusieurs pratiquent avec un plaisir évident. Remarquez. Quand un peuple s’acharne à n’exister que coincé entre la peinture et le mur, de peur de déranger, il s’expose à ne pas recevoir que des fleurs, à moins que ces fleurs ne soient complètement fanées et fort avancées dans leur putréfaction…

On se laisse dire plein de choses. Et par n’importe qui. Le dernier n’importe-qui en date se nomme Alain Bouchard. Qui compte parmi les vingt personnes les plus riches du Québec et les cent plus riches du Canada. Un bleuet qui a réussi, selon les critères en vigueur dans le Merveilleux Monde des affaires. Vaut à lui seul plus d’un milliard de dollars. Un statut, en quelque sorte. Qui lui permet, du moins en est-il convaincu, de se laisser aller allègrement sur notre perron.

Devant un parterre d’hommes et de femmes d’affaires, le Bouchard en question a traité les Québécois de « BS du Canada ». Le voici dans le texte : « Aimez-vous ça être sur le BS vous autres ? Ça n’a pas de maudite allure qu’on tolère ça, nous, les Québécois, qui sommes si créatifs et capables de bâtir, qu’on accepte d’être sur le BS. Je trouve cela complètement ridicule. »

Du ministre des Finances Carlos Leitao à Jean-François Lisée, en passant par Josée Legault et Francis Vailles, ils ont été nombreux à le remettre à sa place sur le plan des faits économiques. Rapidement : seul l’Ontario reçoit moins par habitant que le Québec, avec 150 $ cette année. Nous retirons 1158 $ de ce programme pendant que le Manitoba en retire 1415 $, la Nouvelle-Écosse 1715 $, le Nouveau-Brunswick 2501 $ et l’Île-du-Prince-Edouard 2501 $.

Mais là où le tout devient insultant, c’est quand on sait qu’Alimentation Couche-Tard a pu démarrer avec le soutien du programme Régime Épargne-Action (RÉA), mis en place par le PQ au début des années 1980. De l’argent public, celui-là, dont on a déjà dit qu’il s’agissait d’une sorte de BS pour les entreprises… N’insistons pas sur les conditions de travail minables et les bas salaires de BS qui ont permis à l’entrepreneur Bouchard de devenir milliardaire, mais nous n’en pensons pas moins.

Les Denis Lebel et Maxime Bernier de ce monde, petits politiciens qui se prétendent néanmoins élus pour défendre les intérêts du Québec en territoire adversaire avaient, quelques jours avant le fondateur des dépanneurs Couche-Tard, entonné le même refrain méprisant. « Si nous sommes plus pauvres, ce n’est pas la faute du reste du Canada, comme le prétendent les indépendantistes. C’est à cause de mauvaises politiques économiques qui rendent l’économie du Québec moins productive », avait clamé l’ineffable Maximus 1er, qui parlait de lui-même à la troisième personne il n’y a pas si longtemps.

Ces propos viennent donner du poids à ce que décrivait l’historien marxiste Stanley Bréhaut-Ryerson. Chez un peuple conquis – ce qui est le cas du nôtre, même si plusieurs étourdis s’acharnent à ne pas s’en rappeler – plusieurs de ses éléments, en particulier chez les élites, finissent par se percevoir à travers le regard que porte sur eux le conquérant.

Depuis 250 ans, pour être bien vus des vainqueurs, plusieurs vaincus font tout le nécessaire pour tenir le même langage et entretenir les mêmes préjugés à notre sujet. La liste ne cesse de s’allonger – Mgr Lartigue, Cartier, Lafontaine, Laurier, Ernest Lapointe, Trudeau, Chrétien, Dion – de ceux pour qui, adoubés par le ROC, se veut le plus séduisant des frissons.

Ce n’est qu’au lendemain de sa victoire à Roland-Garros que j’ai constaté que la jeune championne de tennis, une Bouchard elle aussi, n’avait pas d’accent à son prénom, Eugenie, écrit à l’anglaise. Ce pourrait n’être qu’une coquetterie de jeune fille de bonne famille. Mais lors d’une conférence de presse, à une question sur son accent, elle a répondu : « Je ne parle pas français avec un accent québécois, alors au moins, ça c’est bon ».

Un autre nom à ajouter à la liste.