Monsieur Parizeau, un modèle d’homme d’État

La comparaison n’est pas à l’avantage de nos leaders actuels

Le 2 juin dernier, nous apprenions la mort de Monsieur Jacques Parizeau. Avec raison, on a affirmé, sur toutes les stations de radio et de télévision, que ce grand homme a marqué le Québec moderne.

Pour ma part, je perds un modèle de ce que doit être un « homme d’État » ou, le cas échéant, « une femme d’État ». J’ai toujours écouté avec intérêt les entrevues de Monsieur Parizeau et lu à peu près tout ce qu’on a écrit sur lui. J’étais inspiré par la finesse et la justesse avec laquelle il pouvait dire et expliquer les choses.

Malheureusement, plusieurs ne se souviennent que de la fameuse phrase qu’il a prononcée le soir du référendum de 1995. « C’est vrai qu’on a été battu, au fond, par quoi ? Par l’argent, puis des votes ethniques, essentiellement. » Ce fut une affirmation très malhabile de sa part et regrettable.

Les conséquences furent démesurées pour M. Parizeau. Je ne tiens pas à l’excuser, mais il a déjà dit, avec raison : « Pierre Elliott Trudeau a fait emprisonner des centaines de Québécois sans procès et on a dit de lui qu’il était un grand homme d’État alors que moi, Jacques Parizeau, on me traite comme un moins que rien ».

Personnellement, la phrase que je retiens de Monsieur Parizeau est son explication du rôle que l’État doit jouer dans la vie des citoyens, soit que, d’une part « l’État doit offrir à ses citoyens des services publics corrects, efficaces, proches des gens ; d’autre part, un gouvernement doit offrir une vision d’avenir aux citoyens ». Pour moi, cette simple phrase, pleine de sens, résume sa vie au service des Québécois.

Cette vision de ce que doit être un gouvernement et du rôle de l’État, appliquée de façon concrète au Québec, a fait entrer le Québec dans la modernité. M. Lévesque nous a donné l’inspiration pour un Québec moderne, la cause à défendre qu’est la souveraineté, et M. Parizeau a participé à élaborer ses structures.

Il y a eu, entre autres, la structure économique du Québec, bâtie en partie avec la nationalisation de l’électricité, qui a fait d’Hydro-Québec l’une des plus grandes sociétés d’État au monde, mais surtout le levier économique unique dont l’État québécois peut se servir pour payer en partie nos services publics et attirer de grandes entreprises à la recherche d’énergie à bas coût.

La création, par M. Parizeau, de la Caisse de dépôt et placement est un autre important levier économique. Elle a contribué à la naissance du Québec Inc.

De grandes entreprises québécoises d’envergure mondiale ont vu le jour, grâce aux grands chantiers d’Hydro-Québec et à la disponibilité de capital de risque qu’offre la Caisse de dépôt et placement.

La mise en place du système d’éducation est un autre exemple de structure ayant contribué à nous faire entrer dans la modernité. Je me souviens d’une entrevue au cours de laquelle M. Parizeau racontait, avec un sourire en coin, qu’à la suite de la nationalisation de l’électricité et la mise en œuvre de nombreux chantiers, nous avions un urgent besoin de professeurs qualifiés pour une multitude de métiers.

Selon M. Parizeau, nous n’avions « pas le temps de leur donner une formation académique sur les techniques d’enseignement. On prenait des personnes directement sur les chantiers et dans les usines, et nous leur disions : habille-toi convenablement, ne sacre pas trop, ne crache pas par terre et, surtout, enseigne bien ton métier ». Aujourd’hui, ce serait impensable de procéder de la sorte, mais l’effervescence de la Révolution tranquille rendait ces façons de faire possibles et nécessaires.

En même temps que le Québec formait des gens de métier, nous avons bâti un système public d’éducation accessible et d’envergure mondiale, qui a fait passer le peuple québécois qui affichait un taux d’alphabétisation à peine supérieur à celui des pays en voie de développement de cette époque, à une société éduquée, comme on la connaît aujourd’hui.

Ce ne sont là que quelques exemples de l’application au quotidien de la vision qu’avaient les hommes et les femmes de la trempe de Monsieur Parizeau, de ce que devaient être l’État et le gouvernement pour les citoyens. Ils avaient l’habileté, comme dirigeants ou leaders, d’atteindre leurs buts en s’y consacrant entièrement.

Tout un contraste avec nos leaders actuels. D’un côté, nous avons la fabuleuse équipe Couillard qui a fait de l’atteinte de l’équilibre budgétaire une religion. Je me permets, encore une fois, de citer M. Parizeau qui s’exprimait sur ce sujet : « Quand on fait de l’atteinte du déficit zéro une religion et qu’on lui donne une date butoir, on ne réfléchit plus. On coupe partout sans penser aux conséquences ».

De l’autre côté, nous avons l’équipe Harper, la supposée championne de l’économie, qui a pour seul objectif le pétrole de l’Alberta et l’asservissement des travailleurs.

Elle augmente l’âge de la retraite de 65 à 67 ans et élimine le crédit d’impôt du Fonds de solidarité plutôt que de bonifier le régime de pensions du Canada.

Elle restreint l’accès à l’assurance-emploi pour les personnes sans travail plutôt que d’investir dans le secteur manufacturier qui créé de bons emplois.

L’équipe Harper signe les accords de libre-échange à toute vitesse pour libéraliser les marchés et favoriser la libre circulation des biens et services, sans se soucier de protéger les travailleurs contre une concurrence à laquelle ils ne peuvent faire face malgré leur bonne volonté.

En écrivant ces lignes, je me rends compte de la différence qu’il y a entre l’homme d’État qu’était Monsieur Parizeau et les politiciens des équipes Couillard et Harper. Nous avions l’homme d’État qui a consacré sa vie à ce que l’État québécois offre à ses citoyens des services publics corrects, efficaces et proches de gens, avec un gouvernement qui propose une vision d’avenir à ses citoyens.

Aujourd’hui, nous avons des politiciens qui coupent dans les services publics, les rendent de moins en moins accessibles, et qui n’ont comme vision économique que celle de ceux dont ils sont à la solde, soit le 1 % des plus riches.

M. Parizeau, vous avez marqué de façon indélébile l’histoire du Québec, vous pouvez être élevé au rang de grand bâtisseur du Québec et vous devez être, comme peu de gens le sont, une référence pour quiconque aspire à être un homme ou une femme d’État.

* L’auteur est directeur adjoint d’Unifor