Grand charivari de couvercles de radio-poubelles

L’information à Québec est un enjeu capital qui mérite une analyse approfondie

Quel tapage de couvercles de poubelles, que celui suscité par la publication du rapport de Dominique Payette L’infor­mation à Québec, un enjeu capital ! On en a eu des échos jusqu’à Montréal ! C’est tout dire !

Les animateurs de radio visés sont tout de suite montés sur leurs grands chevaux. Que le Rapport ait été financé à même le budget discrétionnaire de l’ex-première ministre Pauline Marois est qualifié de « détournement de fonds, de vol » par Dominic Maurais (CHOI Radio X) et de « plus grand délire paranoïaque nord-américain depuis Nixon » par son collègue Denis Gravel de la même radio. Rien de moins !

Des animateurs qui feignent d’oublier que la publicité qui les fait vivre est financée à moitié par tous les contribuables québécois par le jeu des déductions fiscales.

Comme pour donner raison à Dominic Payette, qui a eu le courage de dire que des politiciens, des syndicalistes, des féministes, des environnementalistes, des cyclistes étaient intimidés par les propos tenus en ondes par ces animateurs, ils l’ont traité de « péquiste fru, loser, mauvaise perdante, full fru » (Sylvain Bouchard, FM 93), de « féministe frustrée » (André Arthur, CHOI Radio X) et même de « malade mentale ».

« C’est rendu de la maladie mentale », affirme Jeff Fillion (Énergie). Denis Gravel (CHOI Radio X) est d’accord : « Il y a du délire là-dedans, de la maladie mentale véritable, qui doit être psychanalysée par des professionnels ».

Ils voient évidemment dans ce rapport « l’ombre du totalitarisme, qui débouche sur du communisme. C’est dangereux en maudit ça » (Dominic Maurais, CHOI Radio X). « C’est ça, le pays que le PQ veut bâtir ? Où la liberté d’expression est à sens unique, où il y a une police de la pensée » (Sylvain Bouchard, FM 93). « Mme Marois est en train de nous dire que la liberté d’expression et d’opinion n’est pas si importante que ça » (Nathalie Normandeau, FM 93).

Bien entendu, eux, ils défendent la vraie liberté d’opinion. N’ont-ils pas manifesté, il y a quelques années, en défense de Jeff Fillion, sous le slogan « Liberté, je crie ton nom », en adaptant et en détournant de son sens un poème de Paul Éluard.

Aujourd’hui, ils se mettent au goût du jour. Ceux qui les critiquent sont des « anti-Charlie » ! « On voit des gens qui sont des anti-Charlie, pis ces gens-là, ils me font peur, parce qu’ils sont totalitaires ». (Éric Duhaime, FM93) Même Stéphane Baillargeon  du Devoir y allé d’un tonitruant « Je suis Radio X ». Des Charlie, nos animateurs ?! Non, des Charlots !

Non seulement tous les animateurs des radio-poubelles se sont donné la main pour défendre leur « liberté d’expression menacée » par un rapport d’une trentaine de pages, mais ils ont eu droit à un grand élan de solidarité des médias frères.

Les chroniqueurs du Journal de Montréal et du Journal de Québec Richard Martineau, Lise Ravary, Joseph Facal,
J.-Jacques Samson et Gilles Proulx y ont consacré une chronique.

Au moins Joseph Facal (Les méchants médias) et Gilles Proulx (Radio de Québec : liberté galvaudée) ont eu le courage de plaider pour une plus grande diversité de la presse à Québec, Proulx allant jusqu’à reconnaître qu’il y avait « beaucoup de vidanges sur les ondes de radio de Québec ».

Mais J.-Jacques Samson a titré sa chronique Un rapport pour la poubelle. Rien d’étonnant puisqu’il reconnaissait être « un collaborateur rémunéré de l’émission de Dominic Maurais à CHOI Radio », tout en affirmant : « et j’en suis fier ».

De toute évidence, si on se fie au contenu de sa chronique, Lise Ravary aimerait bien, elle aussi, comme ses collègues Martineau et Samson, être embauchée par une radio-poubelle, d’autant plus qu’elle vient de se faire virer de l’émission du matin de Radio-Canada par Alain Gravel.

Il faudrait avoir l’esprit mal tourné pour penser que c’est cette éviction qui l’amène à écrire : « Avant de donner 150 millions $ à Radio-Canada, j’aimerais qu’on exige d’elle qu’elle offre à sa clientèle – nous tous – une plus grande pluralité d’opinions ».

Elle en rajoute en se plaignant de ne pas avoir eu droit de réplique après qu’un animateur eût commenté négativement une de ses remarques après sa sortie d’une émission de Radio-Canada à laquelle elle avait participé.

Et, cerise sur le sundae, elle s’en prend à l’émission La soirée est encore jeune parce que « chaque semaine, ils s’acharnent sur les radios privées de Québec, Tout en leur reprochant de s’acharner sur la gauche ».

Veut-elle nous faire croire qu’il y a une « plus grande pluralité d’opinions » dans les radio-poubelles, que le droit de réplique est accordé à tous ceux qu’on attaque et qu’« on ne s’acharne pas sur la gauche » une fois par semaine ? On le fait à tous les jours, de 6 heures du matin à minuit le soir !

Quel est l’effet sur l’opinion publique de ces radio-poubelles, qui se vantent de rejoindre les deux-tiers de l’auditoire ?
Dans son Rapport, Dominique Payette souligne que l’appui massif des radios parlées de Québec à la loi 3 sur les régimes de retraite en 2014 n’est sans doute pas sans lien avec le fait que 54 % de la population de la région de Québec appuie cette réforme, par rapport à 30 % dans le reste du Québec.
De même, selon un sondage, le climo-specticisme, un des thèmes favoris des animateurs de ces radios, est partagé par 44 % des répondants demeurant dans la grande région de Québec, comparé à 21 % à Montréal et 25 % pour les autres régions québécoises.
L’impact de ces radios se fait tout naturellement sentir au plan politique. Le Rapport Payette rappelle que les animateurs de ces radios ont nettement soutenu l’Action démocratique du Québec lorsqu’elle était dirigée par Mario Dumont. En 2007, on assistait à l’élection de sept adéquistes pour les 10 sièges de la région de Québec.
La CAQ a pris le relais en bénéficiant aussi du soutien des radios parlées, mais ne l’a pas conservé. En 2014, les radios ont plutôt soutenu le PLQ. La région de Québec a été la seule région à majorité francophone à ne pas voir une augmentation du pourcentage du vote pour la CAQ, mais au contraire une baisse de ses résultats au profit du PLQ.
Jeff Fillion a bien résumé la situation : « Les gens doivent voter PLQ à Québec… même le nez bouché. Il faut sacrifier la CAQ, sinon c’est la fin, my friend ».

La fin, c’était évidemment la réélection du Parti Québécois. Cependant, malgré l’anti-péquisme virulent de ces animateurs de radio, les dirigeants du Parti Québécois continuent à leur faire des beaux yeux.

Ainsi, il était triste de voir PKP renier Mmes Payette et Marois en déclarant : « J’adore aller dans les radios de Québec.  Des fois, on a des échanges un peu corsés.  Moi, j’aime ça, c’est mon style. Ça donne l’occasion d’échanger et, de temps en temps, il ne faut pas se le cacher, de confronter des perspectives.  Peut-être aussi des préjugés.  Mais c’est ça aussi, la radio, l’information ».

PKP s’y connaît en information. Rappelons-nous le Québec bashing de ses journaux de Sun Media et de sa télé Sun News. Et il a surtout besoin de ces radios pour remplir son amphithéâtre Vidéotron.

Agnès Maltais est allée encore plus loin. À un Sylvain Bouchard qui la provoquait : « Dites-nous que vous jetez ce rapport-là aux poubelles », elle a d’abord rétorqué « Mais ce n’est pas à nous autres [le PQ], je peux pas le jeter ! ». Quand Bouchard l’a relancée : « Mais admettons que vous l’avez dans les mains », elle a répondu : « Ben oui, je le jette ! ».

Une des faiblesses du Rapport est de ne pas avoir approfondi la teneur des relations entre les propriétaires et les commanditaires de ces radios et les partis politiques. Leur appui ouvert et militant au Parti conservateur de Stephen Harper n’est pas sans lien avec le fait qu’il ait fait élire 12 députés dans l’aire de diffusion de ces radios.

Dominique Payette rappelle que, si certains personnalités publiques sont l’objet de la hargne de ces radios, « d’autres, à l’inverse, sont chouchoutées et peuvent compter sur des interviews extrêmement complaisantes qui méritent à peine ce nom, notamment, et ce à peine quelques mois avant le lancement d’une campagne électorale, le premier ministre canadien Stephen Harper ».

Ajoutons qu’au cours de la dernière campagne électorale, la seule entrevue radiophonique accordée au Québec par Stephen Harper l’a été à Dominic Maurais sur les ondes de Radio X 98.

Soulignons, au passage, que cette alliance entre des conservateurs canadiens et des populistes de droite au Québec a des antécédents historiques. Le journaliste Normand Lester nous rappelle dans Le Livre noir du Canada anglais, que le premier ministre conservateur Bennett – qui avait des liens avec le Ku Klux Klan américain – a versé des sommes colossales au fasciste Adrien Arcand pour financer la parution des journaux Le Miroir, Le Goglu et, plus tard, Le Fasciste canadien qui étaient l’équivalent des radio-poubelles actuelles.
Lester rappelle que les conservateurs de Bennett ont pris le pouvoir aux élections de 1930 en faisant élire cent trente-sept députés dont vingt-quatre au Québec. Depuis 1891, le Québec n’avait pas envoyé à Ottawa de députés « strictement » conservateurs et ces résultats étaient à peine croyables, écrit Lester, si l’on songe que les conservateurs n’avaient fait aucun effort particulier pour plaire au Québec. Le « goût du changement » et les journaux d’Arcand avaient suffi.

Ces dernières années, les liens des radio-poubelles avec le gouvernement Harper expliquent sans doute la complaisance des organismes de réglementation des ondes. Aux plaintes déposées devant le CRTC, celui-ci s’est contenté de référer les plaignants au Conseil canadien des normes de radiotélévision, en spécifiant qu’il était « l’organisme de règlement des plaintes pour les stations de radios et de télévision privées ».

Dans son Rapport, Dominique Payette souligne que « la complaisance des décisions rendues par cet organisme d’autorégulation atteint un niveau insoupçonné ». Elle donne l’exemple des 145 plaintes contre un animateur qui disait, parlant de cyclistes : « Tu mérites qu’un char te passe dessus », auquel le CCNR a répondu que cette phrase constituait seulement « un excès de langage qui traduit un trop-plein de frustration face (…) au manque de civisme de certains cyclistes ».

Concernant des plaintes contre une émission où l’on a pu entendre comme propos : « Quand les filles se sont mis à faire des pipes, y’ont pris le contrôle », le CCNR a conclu : «  Il est clair que les animateurs qui ciblent les hommes de 25 à 54 ans, ont un langage coloré correspondant aux goûts de leur clientèle cible », tout en jugeant que « ces propos, s’ils dénotent certes de la vulgarité dans le choix des mots (…) ne constituent pas pour autant des commentaires abusifs ou indûment discriminatoires à propos des femmes ».

L’information à Québec est vraiment un enjeu capital et l’analyse de Dominique Payette mérite d’être poursuivie et approfondie.