Essor et déclin de l’industrie des pâtes et papiers

Quand ferme l’usine, un film documentaire de Simon Rodrigue

2016/11/15

J’ai donné ma vie à la CIP, j’ai donné mon argent au gouvernement, j’ai donné mon cœur à ma femme, pis mes culottes à mes enfants », chante Claude Morand, un papetier trifluvien à l’emploi de la Canadian International Paper qui a mis la clé sous la porte en 1992. 

Sa chanson illustre le vide créé suite à la fermeture de la plus importante papetière du Québec, située à Trois-Rivières, surnommée à l’époque la capitale mondiale du papier. 

Quand ferme l’usine est le deuxième film de Simon Rodrigue, après Hommes des bois, sorti en 2012. Il met en lumière l’essor et le déclin de l’industrie des pâtes et papiers, joueur majeur dans le développement économique des provinces de l’Est du Canada. 

Le cinéaste a choisi de donner la parole aux ouvriers qui, à l’époque de la fermeture de leur usine, ont perdu leur gagne-pain, souvent leur famille et, surtout, l’espoir en l’avenir après une vie brisée. Des témoignages vibrants provenant des régions forestières du Québec, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. 

Simon Rodrigue, rencontré dans les bureaux de l’aut’journal,  raconte. « Le goût du bois, je l’ai eu de mes parents beaucerons, qui s’étaient installés à Mascouche où je suis né. En grandissant, mes intérêts pour la nature se sont développés grâce à mes nombreuses visites en Beauce. » 

Pour préparer son premier film, il fréquente les festivals forestiers et visite une centaine de communautés. Sa curiosité l’attire vers la vie des bûcherons et des draveurs, ce qui devient la matière première de son premier documentaire.

Puis arrive l’invitation de Boréalis, le Centre de l’industrie papetière de Trois-Rivières. La mission du musée est de recueillir anecdotes et récits d’anciens papetiers, créant ainsi la mémoire collective des ouvriers des pâtes et papiers. Le cinéaste va à la rencontre de nombreux travailleurs et patrons et, de ces entrevues, il retient l’histoire bouleversante des travailleurs et des communautés éprouvées. Quand ferme l’usine est né de ce constat. 

Le cinéaste et son équipe s’intéressent d’abord aux ex-papetiers de la CIP de Trois-Rivières. Nelson Poirier, Claude Morand et Gérard Germain discutent autour de la maquette de l’usine, fermée en 1992. Chacun témoigne de sa descente aux enfers.  

« J’ai dormi toute mon enfance avec le bruit des huit machines dans ma cour. On était pauvre. Ceux qui s’en réchappaient le mieux travaillaient à l’usine », se rappelle Nelson Poirier, troisième membre de la famille à travailler à la CIP après son père et son grand-père. 

« Dans l’temps, on apprenait notre métier à l’usine », dit Claude Morand. Quand l’usine était rentable, les améliorations étaient constantes. L’opération des changements de rouleaux a été motorisée, des frigidaires ont été mis à la disposition des travailleurs qui, avant, mangeaient entre deux machines. Il aimait son métier. « Les belles années, dit-il avec nostalgie, la sécurité de l’emploi était au rendez-vous. »

Mis à pied de l’usine, mis à la porte par sa femme, il a accepté de recommencer au bas de l’échelle. Après huit ans à la Kruger, il a été de nouveau confronté au chômage. Retour à la case départ. 

« Je sors de la Kruger avec une indemnité de 30 000 $ », raconte-t-il. Le double de ce qu’il avait retiré à son départ de la CIP, soit sa propre mise de fonds dans la caisse de retraite. « La CIP s’est sauvée avec la sienne », ajoute l’homme, désa­busé.

Des dizaines de milliers d’emplois ont disparu, sans compter l’exploitation outrancière des ressources forestières.  « Les Américains ont toute mangé notre chêne, pis not’ noyer noir canadien », lance Gérard Germain. 

La caméra plonge ensuite dans l’univers de Jean-Louis Dubord, René Gravel, Ubald Mercier, Reg Lamy, Rodrigue Dubé, Paul Mainville, René Sicard, Léopold Alie, André Bernier, tous anciens travailleurs à l’usine Tembec de Smooth Rock Falls, une petite communauté forestière isolée du nord de l’Ontario. 

Quand ils sont arrivés au village, toutes les activités tournaient autour de la compagnie qui avait construit maisons, écoles, magasins, cinéma pour le bien-être des employés. Croyant s’installer  pour un an ou deux, ils sont restés.  Le mari faisait un bon salaire et la femme restait à la maison. « On pouvait pas mouver, la compagnie payait les formations pour apprendre notre métier; on a pogné les bonnes années », dit l’un d’entre eux.

Tembec a plié bagage en 2006. « On ne vivra pas assez vieux pour savoir ce qui s’est réellement passé », disent ces hommes encore émotifs au souvenir du démantèlement de l’usine.

« Maintenant, on se retrouve au curling. On joue. On jase. Le bois, c’est fini », disent ceux qui restent, conscients que leurs enfants ne retourneront pas au Québec car, nés à Smooth Rock Falls, leurs racines sont ontariennes. 

Inquiets pour l’avenir aussi. Ces hommes ont 80 ans passés. Que vont devenir la piscine, l’aréna ? « On n’aura pas assez de revenus pour payer les taxes. Les maisons ne valent plus rien. On ne peut pas les vendre. Ce serait laisser des dettes à nos enfants. »

Une note plus joyeuse fait contrepoids. René Gravel, un ouvrier expérimenté, aime transmettre son savoir aux jeunes. « Si tu veux travailler à l’usine, c’est une boîte à lunch que tu vas apporter à l’ouvrage, si t’as un sac de papier, tu vas travailler dans un bureau », leur dit-il. 

Direction Miramichi, la plus grande ville du Nord-Est du Nouveau-Brunswick. Le réalisateur recueille les témoignages de Jean-Guy, Guy et Keith Comeau et de Marc-André Villard.

« Chez nous, on est quatre enfants, mais dans le cœur de papa, il y en a un cinquième, la forêt. D’un gouvernement à l’autre, le sort réservé à la forêt le fâchait », se souvient Guy Comeau, assis autour de la table familiale sous l’œil fier de son paternel. 

« Aujourd’hui, beaucoup de familles ne peuvent s’asseoir à la table avec les enfants et les petits-enfants. La seule occasion de le faire est à Noël. Comment amener des jobs à Miramichi ? », renchérit le père. 

Jean-Guy Comeau connaît le bois, de l’arbre qui pousse dans la forêt jusqu’à sa transformation en usine. L’homme, débrouillard, membre actif des Producteurs de lots boisés, travaillait au moulin et négociait des contrats tout en gardant ses terres à bois, sorte de soupape au manque de travail à l’usine. « Mon compte de banque est derrière ma maison », dit celui qui consacrait ses vacances d’été à couper du bois. Les profits qu’il en a tiré ont servi à payer l’université à ses enfants. 

À la retraite, l’homme au charmant accent acadien achète des parts de la compagnie UPM Kimmene Miramichi Inc., celle-là même qui avait avalé le moulin en 1998-1999, bâti aux frais des payeurs de taxes de la communauté au cours des années 1984-1985, pour ensuite fermer l’usine, compétition oblige. Il se rend en Finlande où il assiste à l’assemblée annuelle de la compagnie. Il s’intéresse à la politique canadienne et aux lois qui régissent les droits de coupe. 

« Monsieur Comeau est un sage, ancré dans ses bottines. Sa connaissance de la forêt, il l’a acquise en faisant son métier. Sans compter que le retraité sait maintenant faire la distinction entre la forêt et la politique de la forêt » conclut le cinéaste de 32 ans. 

Simon Rodrigue fait partie de la relève du cinéma québécois. Sa passion de la forêt est inscrite dans son ADN. 

Le réalisateur et le producteur l’Office national du film ont convenu de séances-événements d’un soir en présence du réalisateur pour discuter autour du film.

Pour les dates et lieux de projection, voir page Facebook :  https://www.facebook.com/Quand-ferme-lusine-When-the-mill-closes-3435028...