Le retour néolibéral du bon père de famille

La politique du « avant d’acheter, faut se demander si on en a besoin »

2016/11/15

J’ai prêté attention aux déclarations du premier ministre Couillard et de son ministre des Finances avant la présentation du troisième budget libéral. J’ai surtout remarqué le spectacle du ministre Leitão devant les journalistes, la veille du dépôt du budget.

Au lieu de présenter aux médias la traditionnelle paire de chaussures neuves que les ministres des Finances s’achètent avant le dépôt du budget, le ministre Leitão, tout sourire, a déballé une boîte qui contenait un nécessaire de cirage à chaussures.

En s’exécutant de façon malhabile, il a déclaré qu’il ne s’était pas acheté de nouvelles chaussures parce que les siennes étaient encore bonnes. Avant d’effectuer une dépense, nous a-t-il dit, il faut se demander si elle est nécessaire. Et c’est de cette façon qu’il entendait gérer les finances publiques.

Cette phrase est lourde de conséquences, lorsqu’elle sort de la bouche d’un ministre des Finances. Après deux années de mesures d’austérité, quatre milliards de coupures dans les différents ministères, et des attaques directes aux services à la population, on aurait été en droit de s’attendre à un peu de répit. C’est tout le contraire qui nous attend !

En fait, avec ce « avant d’acheter, il faut se demander si on en a besoin », le ministre Leitão nous dit que son gouvernement entend gérer les finances publiques comme un bon père de famille.

Un bon père de famille va avant tout payer ses dettes.  Un bon père de famille sait où il faut couper. Un bon père de famille ne fait jamais de folles dépenses. Mais, par-dessus tout, nous n’avons pas à nous inquiéter parce qu’un bon père de famille sait ce qui est bon pour nous.

Cette attitude est typique de notre bonne droite quand il est question de finances publiques : un discours populiste et un raccourci intellectuel, qui consiste à comparer le budget de l’État au budget d’une famille. Alors que les deux sont totalement différents. Même si gérer un budget familial n’est pas de tout repos et que, dans certains cas, ça relève du tour de force. 

Gérer le budget d’un État requiert une analyse des conséquences sur la population des gestes que l’on pose, mais nécessite également une vision d’avenir.

De penser que le fait de couper plus de quatre milliards dans les ministères est sans conséquence pour les citoyens relève de la pensée magique. C’est une fumisterie au service d’une idéologie néolibérale.

Par exemple, qu’un gouvernement ramène le discours sur les services de garde à sa plus simple expression, c’est-à-dire « comment ça coûte », est de la malhonnêteté intellectuelle.

De façon délibérée, on évacue le fait que ce service a permis à plus de 70 000 femmes de retourner sur le marché du travail, que ces femmes sont plus libres parce plus autonomes, et qu’elles paient des taxes et des impôts, ce qui constitue pour le gouvernement un retour sur l’investissement dans les services de garde.

De plus, ce service procure aux enfants qui y ont accès, et sans égard à leur rang social, un départ à chances égales pour aspirer à une vie meilleure, grâce à tous les apprentissages dont ils pourront bénéficier. Ce qui constitue également un retour sur l’investissement pour le gouvernement. 

Gérer les finances d’un État, c’est être aux commandes d’une foule de leviers économiques que l’on doit actionner avec cohérence et surtout avec une vision d’avenir claire pour les citoyens.

Au Québec, nous avons des secteurs phares dans notre économie comme l’aérospatiale. Les grands joueurs de ce secteur ne sont pas venus au Québec pour nos beaux yeux. Ils sont présents parce que des gestes concrets ont été posés pour les attirer.  Nous avons, entre autres, développé des écoles qui forment parmi les meilleurs ingénieurs en aéronautique au monde.
Nous avons également mis en place des associations sectorielles où les employeurs, les syndicats et des représentants du gouvernement discutent ensemble de l’avenir du secteur.
Nous avons créé une grappe industrielle, qui comprend les grands donneurs d’ordre et des fournisseurs de 1er, 2e, 3e, et 4e rangs dans la grande région de Montréal, ce qui fait en sorte que le Québec, avec plus de 40 000 emplois dans ce secteur, s’est hissé parmi les trois grands centres mondiaux de l’aérospatiale.

Si nous voulons le demeurer, il faudra que le gouvernement soit la bougie d’allumage d’initiatives nouvelles comme, par exemple, d’établir un lien entre notre industrie de l’aérospatiale et le secteur des alumineries.

Dernièrement, M. Étienne Jacques, chef des opérations à Rio Tinto, annonçait que son entreprise avait l’intention de se lancer dans la production d’aluminium à valeur ajoutée pour fournir des industries dont, entre autres, celle de l’aérospatiale.

Notre gouvernement doit absolument jouer un rôle d’intermédiaire entre ces deux secteurs.  Il faut que les acteurs clés de l’aluminium et de l’aérospatiale se rencontrent, organisent leur avenir commun et que le gouvernement se serve des leviers économiques à sa disposition pour aider à la création d’une chaîne d’approvisionnement, qui lierait les alumineries aux fabricants de pièces pour l’aérospatiale.

Monsieur Couillard, le Québec a désespérément besoin d’un gouvernement qui s’assure que tout le monde paie sa juste part d’impôts, que ces impôts soient correctement utilisés. 

D’un gouvernement qui ne voit pas nos programmes sociaux comme une dépense, mais comme un bien commun, qui rapporte à notre société.

D’un gouvernement qui utilise tous les leviers économiques à sa disposition, ainsi que son pouvoir de légiférer, pour amener le Québec vers ce qu’il peut être : une société dynamique, juste et équitable où ses citoyens pourraient y vivre et s’épanouir.

Malheureusement, ce n’est pas le cas actuellement. Nous avons un gouvernement qui s’identifie à une idéologie de droite, qui méprise sa population, qui se campe dans un rôle de « bon père de famille », qui sait ce qui est bon pour nous.

* L’auteur est directeur adjoint d’Unifor