La fête a assez duré, on sonne la fin de la récréation

Le Bloc Québécois appelle le Parlement à régler le cas de la Barbade

2016/11/15


Ayant la chance de pouvoir présenter un projet de loi privé à la Chambre des communes, j’ai retenu une action simple et concrète, que le Canada peut poser contre le fléau des paradis fiscaux. J’ai choisi de montrer qu’on peut régler le cas de la Barbade, et de 22 autres paradis fiscaux, comme le Panama et l’Île de Man, sans avoir à réviser des accords internationaux, tout simplement en modifiant de courts passages de la loi canadienne de ­l’impôt.

La motion a été débattue le 14 avril dernier. Elle devrait revenir à nouveau devant la Chambre des communes en juin et mise aux voix par la suite.

Pour ajouter du poids à mon geste, l’Assemblée nationale du Québec a voté à l’unanimité une motion qui demande à Ottawa de régler le cas de la Barbade, en reprenant mot à mot ma motion.

C’est dire que l’ensemble des députés, du Parti Québécois, de Québec Solidaire, de la Coalition Avenir Québec, mais aussi du Parti Libéral – y compris le Premier ministre,  le ministre des Finances et l’ensemble du Conseil des ministres – ont décidé de faire pression sur Ottawa pour qu’on s’attaque au problème, une fois pour toutes.

Lorsqu’il est question d’accords internationaux et de paradis fiscaux, c’est Ottawa qui décide. Puisque le Québec n’est pas encore un pays, sa loi de l’impôt est alignée sur la loi canadienne. Il n’y a pas d’autre choix, tant qu’on n’est pas un pays...

La Barbade, c’est le paradis fiscal du Canada. Les entreprises, au premier chef les banques, déclarent y avoir « investi » en toute légalité 71 milliards $ en 2014. À titre comparatif, c’est 128 millions $ au Panama.

71 milliards $, c’est plus que tous les investissements canadiens dans l’ensemble de l’Asie. C’est 12 fois plus qu’en France.

Sur papier, on comptabilise ces milliards comme étant des « investissements », mais ce ne sont là que des trucs comptables. Il n’y a pas d’activités économiques réelles à la Barbade. La preuve est que le PIB de ce paradis fiscal n’est que de quelques milliards de dollars, soit l’équivalent de celui du Grand Joliette.

L’Accord Canada-Barbade stipule qu’une coquille vide à la Barbade doit payer ses impôts sur les profits lorsqu’ils sont rapatriés au Canada. Il ne permet pas donc pas, en théorie, aux banques et aux entreprises d’y détourner leurs profits.

Pourtant elles le font. Parce que le gouvernement fédéral a modifié de façon très discrète la loi de l’impôt, au paragraphe 5907, pour y ajouter un petit paragraphe, qui vient invalider cette partie de l’Accord Canada-Barbade.

Ce paragraphe, perdu dans les 10 000 pages de la loi canadienne de l’impôt, est potentiellement illégal. Il n’a toutefois jamais été contesté en cour, et demeure donc actif.

La motion que je présente vise, entre autres, à faire rayer ce paragraphe. Tout simplement. Ça peut être fait rapidement, pour peu qu’il y ait un minimum de volonté politique.

Cela ne règlerait pas tout le problème des paradis fiscaux, mais cela disposerait du cas du principal paradis fiscal du Canada et, surtout, cela enverrait un sérieux signal aux banques, aux multinationales et autres pays. La fête a assez duré ; on sonne la fin de la récréation !

Bien sûr, les criminels à cravate sont des gens créatifs, qui sauront trouver de nouveaux stratagèmes pour se défiler de leurs obligations fiscales, et la lutte doit se poursuivre au niveau international. Ma motion représenterait néanmoins un sérieux coup de barre et une bonne amorce. Cette motion vise aussi 22 autres paradis fiscaux. 

Il y a un peu moins de dix ans, les Conservateurs ont changé en douce une partie de la loi de l’impôt, toujours au paragraphe 5907. La modification fait en sorte que, dès que le Canada a une entente d’échanges d’information avec un paradis fiscal, les profits rapatriés ne sont plus imposés au Canada ! Tout simplement ! De façon tout à fait immorale et injuste !

Cette modification a aussi été apportée en cachette. Au point où le texte modifié se retrouve inscrit dans la section sur les médicaments !

Il est important de noter que jamais les députés n’ont voté sur ces modifications, qui ont été passées en douce par voie règlementaire par le gouvernement.

Avec la motion que je présente, ce sera la première fois que le Parlement canadien votera sur la légalité des paradis fiscaux. Ce constituera un moment historique sur la reconnaissance ou non des paradis fiscaux.

Officiellement, il n’y a pas de ligne de parti sur ces motions émanant des députés. Les députés conservateurs n’ont pas à défendre les choix du gouvernement précédent. Les députés libéraux n’ont pas à s’aligner sur les choix passés et présents de leur parti. Ils représentent leurs électeurs et électrices.

En même temps – il ne faut pas se le cacher – le lobby des banques est très puissant à Ottawa. Nous verrons donc si la volonté des électeurs et de l’Assemblée nationale du Québec aura préséance sur les intérêts de Bay Street, lors du vote en juin prochain.

D’ici là, j’ai choisi d’écrire à tous les députés et d’en rencontrer le plus grand nombre possible, afin de les convaincre d’appuyer la motion que je présente, et de leur rappeler qu’il s’agira de la première fois que les élus du Parlement se prononceront sur la légalité des paradis fiscaux.

Les paradis fiscaux, c’est un cancer qui ronge nos sociétés. Alors que les gouvernements coupent les services à la population, leur imposent des mesures d’austérité et augmentent taxes et tarifs, les très riches, les multinationales et, surtout, les banques y détournent littéralement leur fortune pour ne pas payer d’impôt.

Lorsque des scandales éclatent, on met généralement l’accent sur les contribuables sans scrupules, qui cachent leurs avoirs ou leurs revenus dans un paradis fiscal. C’est le cas du scandale des Panama Papers et celui de l’Île de Man avec le montage financier de KPMG.

Or, le véritable problème est le cadre règlementaire des pays riches qui permet, en toute légalité, aux banques, entreprises financières et grandes entreprises de rapatrier leurs profits de ces îles paradisiaques, sans avoir à payer d’impôt.

Le véritable scandale, ce sont les Amazon, Uber, Apple et Starbuck de ce monde qui, par des stratagèmes légaux, détournent leurs profits pour ne pas payer d’impôt dans aucun pays. Ce sont aussi les Banque Royale, Banque de Montréal, TD, Scotia et CIBC, qui ont 75 filiales dans les paradis fiscaux.

Pour régler le cancer des paradis fiscaux, il faut des ententes et une collaboration internationale. L’OCDE y travaille. Mais c’est long et laborieux. Et les gouvernements se défilent de leurs responsabilités en repoussant le problème sur la scène internationale et, au besoin, en faisant volontairement traîner les discussions.

Il faut dire que le gouvernement, qu’il soit libéral ou conservateur, est l’objet d’une énorme pression pour ne pas agir. Les principaux bénéficiaires de ces stratagèmes fiscaux sont les grandes banques. Et on connaît l’influence de Bay Street sur le gouvernement et le jeu de portes tournantes entre les milieux politique et bancaire. À noter que, contrairement aux grandes banques, le mouvement Desjardins n’a aucun intérêt dans les paradis fiscaux, une exception face à un modèle devenu standard.

Comme dans la lutte aux changements climatiques, il faut agir au niveau international, mais en même temps au niveau de chaque pays.

Or, avec un minimum de volonté politique, le gouvernement canadien peut poser des gestes concrets et simples pour commencer à s’attaquer à ce fléau.

Paradis fiscaux : les impacts pour le Québec

• L’accès aux renseignements fiscaux est indispensable pour que les gouvernements soient en mesure d’appliquer la Loi de l’impôt sur le revenu.
• Ce sont les traités qui permettent aux gouvernements d’avoir accès aux renseignements fiscaux à l’étranger : les traités contre la double imposition et les accords d’échange de renseignements fiscaux.
• Le Québec n’étant pas un pays, il n’est pas partie prenante à ces traités et il n’a pas accès aux renseignements. Seul Ottawa peut formuler des demandes.
• Pour que les renseignements que le gouvernement fédéral obtient permettent au Québec d’appliquer sa loi de l’impôt, le Québec n’a d’autre choix que d’aligner sa loi sur celle du fédéral.
• Si le gouvernement du Québec souhaitait imposer des contribuables que le gouvernement fédéral a exemptés, il ne possèderait pas les renseignements pour appliquer sa loi.
• Aussi, en matière de fiscalité internationale, la loi québécoise de l’impôt est un calque de la loi canadienne sur l’impôt.
• Lorsque le gouvernement fédéral laisse la porte ouverte à l’utilisation des paradis fiscaux, le gouvernement du Québec perd lui aussi des centaines de millions de dollars en revenus.
• L’utilisation en toute légalité des paradis fiscaux a des impacts pour le Québec :
- La part des impôts que les entreprises et les riches contribuables évitent de payer doit être assumée par le reste de la population.
- L’État coupe dans les services publics comme la santé, l’éducation ou les services de garde.

Un cadre règlementaire sur mesure pour la Barbade

La Barbade est un paradis fiscal : 
- L’impôt pour entreprises internationales est de 2,5 %, puis diminue pour atteindre 0,25 % lorsque le chiffre d’affaires dépasse 15 M $.
• La Barbade est le seul vrai paradis fiscal avec lequel le Canada a conclu un traité fiscal :
- Le traité fiscal Canada-Barbade est entré en vigueur en 1980 ;
- Les traités fiscaux prévoient notamment que les profits réalisés par une filiale à l’étranger sont exempts d’impôt lorsqu’ils sont rapatriés au Canada, s’ils ont été imposés là-bas ;
- Notons que le traité fiscal ne s’applique pas aux sociétés « ayant droit à un avantage fiscal spécial » à la Barbade, ce qui est le cas pour la majorité des filiales canadiennes établies dans cette île des Antilles. 
• Le budget de 1994 a amendé la loi de l’impôt pour prévoir que seules les entreprises protégées par traité soient exemptées d’impôt, alors que plusieurs paradis fiscaux avec lesquels le Canada n’avait pas conclu de traités étaient précédemment exemptés. 
- Plusieurs paradis fiscaux cessent alors d’être intéressants pour les contribuables canadiens.
- Comme le traité avec la Barbade exclut les coquilles vides établies là-bas pour des raisons fiscales, des firmes comptables se sont rapidement inquiétées : dès juillet 1994, la firme Arthur Andersen écrit au ministère des Finances à ce sujet.
- En septembre 1994, Wallace Conway, de la Direction des politiques fiscales du ministère des Finances, leur répond « soyez assuré que le règlement prévoira » que ces entreprises « continueront d’être exemptées ». 
- En 1999, le gouvernement amende les règlements de la Loi de l’impôt sur le revenu pour exempter les filiales à la Barbade, rétroactivement à 1994. 
- La Barbade devient alors le paradis fiscal du Canada et les investissements canadiens y explosent.
- Comme le gouvernement a choisi la voie règlementaire plutôt que législative, les parlementaires n’ont jamais approuvé ce passe-droit.
• En 2002, la vérificatrice générale tire la sonnette d’alarme pour la première fois : 
- « La valeur des investissements directs effectués par des Canadiens à la Barbade a augmenté, passant de 628 millions de dollars en 1988 à 23,3 milliards de dollars en 2001 - soit une augmentation de plus de 3 600 p. 100 ». 
- « L’Agence des douanes et du revenu du Canada devrait (…) s’assurer qu’aucune convention fiscale ne soit utilisée de façon inappropriée pour réduire l’impôt du Canada et (…) demander la modification des dispositions législatives ou des conventions fiscales de façon à protéger l’assiette fiscale du Canada. » 
- Comme la situation n’a jamais été corrigée, ces investissements ont triplé depuis et atteignent maintenant 71 milliards $.

* Député du Bloc Québécois