Montréal la blanche sous la neige d’Alger

Un film remarquable de Bachir Bensaddek

2016/11/15

Montréal la blanche, d’abord une pièce présentée au Monument National, profite d’immenses qualités propres au grand théâtre classique, telle l’unité de temps : une nuit de Noël qui coïncide avec le Ramadan, une nuit neigeuse (le titre vient-il de là ou est-il allusion à la mythique Alger la blanche ?), accueille avec une tendre tolérance la réunion de deux drames, ceux de réfugiés dont le passé ne sera jamais mort. 

L’échange de makrout et de sucre à la crème entre le chauffeur de taxi Rabah Aït Ouyahia, acteur principal du film et un père Noël passager, Pierre Lebeau, illumine en parabole l’interculturel généreux que nous goûtons avec tant de plaisir aux Artistes pour la Paix. 

Le film jouit aussi d’une certaine unité de lieu, huis-clos sombre du taxi, comme lien entre divers lieux changeants impersonnels tel ces restaurants, ce terminus d’autobus ou ces rues du centre-ville égayées par les lumières de Noël. 

Malgré des scènes éparses moins intégrées (sans doute est-ce voulu ?), telle l’ouverture surréaliste sur une version du beau sapin, roi des forêts (O Tannenbaum) jouée par un quatuor maghrébin imperturbable sous la neige, l’unité d’action y est prenante, avec la confrontation de deux personnages d’origine algérienne marqués par leurs passés respectifs : un chauffeur de taxi et une ex-chanteuse populaire qui a tiré un trait sur sa carrière. 

Quelle bouleversante interprétation de Karina Aktouf, dont la présence enchante le film, grâce à la justesse de son jeu dramatique. Déracinée qui ne signe un bail pour un nouvel appartement que pour récupérer sa fille dont elle a perdu la garde par un divorce, son personnage ne s’imagine réussir sa nouvelle vie qu’en reniant son passé d’étoile populaire : on croit voir revivre notre comédienne tant aimée, Rita Lafontaine, dans une scène de Michel Tremblay ! 

Des scènes tendues entre le fils (joué par Mohamed Ouyahia, le fils sans doute de l’acteur principal) et son père joué par un personnage mythique d’Algérie, le comédien Hacène Benzerari, sous l’œil déchiré d’une mère qui tente de les réconcilier autour d’une table, évoquent aussi, en flashbacks poétisés quoique réalistes, filmés en Algérie, les confrontations entre militaires et islamistes dont nous parlions au début : le caractère éludé de ces scènes réussit merveilleusement à en faire comprendre les âpres conséquences sur la sensibilité des deux protagonistes et …du réalisateur. 

Le remarquable film de Bachir Bensaddek, premier long métrage de cet Algérien d’origine, relancera sûrement les interrogations sur l’absence de diversité dans les œuvres québécoises, car tant de films pourraient avec bonheur profiter des performances de ces deux acteurs et du talent de son réalisateur.

* L’auteur est vice-président des Artistes pour la Paix