L’anglais intensif nuirait aux élèves réguliers

La mesure n’a pas eu les effets magiques escomptés

2017/02/07

Juste à temps pour la rentrée scolaire, le Journal de Québec a publié deux articles portant sur le programme d’anglais intensif (AI) en sixième année du primaire. Dans le premier article, la journaliste déplore que « cinq ans après l’annonce du gouvernement Charest, seulement 15 % des élèves de sixième année aient accès à un programme d’anglais intensif ».

Dans le deuxième article, il est écrit que, selon un relevé fourni par la Commission scolaire des Découvreurs (CSDD) de la région de Québec, « la moyenne des élèves en anglais en deuxième secondaire est de 73 % pour ceux qui ont fait de l’anglais intensif comparé à 70 % pour ceux qui n’ont pas suivi ce programme ».

Il est aussi affirmé que, pour les élèves en difficulté d’apprentissage avec un plan d’intervention (PI), « ces élèves réussissent nettement mieux en anglais que les autres élèves en difficulté qui n’ont pas suivi le programme, avec au moins dix points d’écart selon les compétences à acquérir. Ces élèves réussissent par ailleurs mieux en lecture (72 % comparé à 66 %) et leurs résultats sont aussi supérieurs en mathématiques pour la compétence “résoudre’’ (78 % comparé à 70 %). En écriture et en mathématique pour la compétence “raisonner’’, leurs résultats sont semblables ou légèrement supérieurs. » 

Je me suis procuré « les relevés » produits par la CSDD. Il s’agit d’une compilation intitulée « Suivi de la réussite : Cohorte 2012-2013 d’élèves de 6e ayant ou non bénéficié de l’enseignement de l’anglais intensif » et d’une autre compilation comparant les résultats aux épreuves des élèves de sixième année avec PI, qui ont suivi ou non le programme d’anglais intensif. 

La CSDD a produit de simples compilations de résultats scolaires et non pas une étude scientifique. Une compilation qui n’est pas sans intérêt, mais il serait hasardeux d’en tirer des conclusions définitives. 

Examinons le premier document intitulé « Suivi de la réussite : cohorte 2012-2013 d’élèves de 6e ayant ou non bénéficié de l’enseignement de l’anglais intensif ».

En secondaire 1, on constate que l’anglais intensif ne semble pas affecter dramatiquement les résultats en français et mathématiques et semble améliorer les résultats en anglais (3 % de différence dans le programme d’anglais régulier et 1,4 % de différence dans le programme d’anglais enrichi).

La mise en place de l’anglais intensif ne semble pas conduire à une catastrophe dans les résultats au secondaire pour les matières autres que l’anglais et semble entraîner une amélioration des résultats en anglais. Fort bien.

En secondaire 2, les résultats en mathématiques et français des deux cohortes (anglais intensif ou non) sont encore similaires et l’écart qui existait dans leurs résultats en anglais en secondaire 1 se résorbe partiellement.

C’est comme si le groupe n’ayant pas suivi le programme d’anglais intensif améliorait son niveau d’anglais en secondaire 2 plus rapidement que celui qui est passé par l’anglais intensif ou comme si le groupe qui a suivi le programme d’anglais intensif n’en retirait plus de bénéfices deux ans plus tard.

En secondaire 3, la tendance se confirme. Il y a une légère différence à l’avantage des groupes d’anglais intensif dans les résultats des cours du programme d’anglais régulier et une différence très probablement non significative en français, mathématiques et… en anglais enrichi !

Ceux qui suivent le programme d’anglais enrichi au secondaire et qui ont suivi le programme d’anglais intensif au primaire ne semblent pas performer mieux en anglais en secondaire 2 et 3 que ceux qui n’ont pas suivi le programme d’anglais intensif ! 

Quant aux résultats des élèves en difficultés d’apprentissage, la CSDD a produit une compilation des résultats aux épreuves du Ministère des élèves de sixième année en 2014-15.
Sur la première page, on présente les résultats pour tous les élèves avec ou sans anglais intensif. Sur la deuxième page, on présente les résultats des élèves en difficultés d’apprentissage avec plan d’intervention (PI) avec ou sans anglais intensif.

Pour les élèves avec PI, qui ont suivi le programme d’anglais intensif, l’amélioration en anglais est impressionnante et, chose intéressante, il semble aussi y avoir un progrès en français dans la compétence « lire » et en mathématiques dans la compétence « résoudre ».

Une chose a cependant attiré mon attention : les résultats de « tous les élèves » présentés dans la première page incluent également les élèves avec PI. On compare donc un groupe incluant les élèves à PI mêlés aux élèves réguliers à un autre groupe incluant seulement les élèves avec PI. On compare donc des pommes à des oranges, à des pommes seulement ! Ne faudrait-il pas plutôt comparer l’impact de l’anglais intensif sur les élèves sans difficultés d’apprentissage séparément de ceux avec difficultés d’apprentissage ?

Si on refait l’analyse pour les élèves sans PI, c’est-à-dire réguliers, ceux-ci bénéficient-ils des cours d’anglais intensif ? A partir des données de la CSDD, j’ai donc recalculé les résultats pour les élèves réguliers (voir Tableau). Les résultats indiquent que les élèves réguliers qui ont suivi le programme d’anglais intensif ont des résultats inférieurs en français et mathématiques à ceux qui ne l’ont pas suivi.

En ce qui concerne les résultats en anglais, la différence passe de 7,2 points pour « tous les élèves » à 5,1 points pour les élèves réguliers qui ont suivi le programme d’anglais intensif pour la compétence en anglais « Communiquer » et de 10,3 points à 8,6 points pour la compétence en anglais « Écrire ».

Bref, non seulement les élèves réguliers qui ont suivi le programme d’anglais intensif réussissent-ils moins bien en français et en mathématiques comparativement à ceux qui ne l’ont pas suivi mais, en plus, leur progrès en anglais est plus modeste que ce que la CSDD veut bien nous faire croire !