Paradis fiscaux : le Québec peut-il agir seul ?

Une échappatoire qui prive Ottawa et les provinces de 6 milliards $

2017/02/07

Selon la Banque Mondiale, il y a 32 trillions $US dans les paradis fiscaux. Les banques et les entreprises canadiennes sont dans le club sélect des plus importants utilisateurs de paradis fiscaux au monde. Pour l’essentiel, ce sont les cinq grandes banques (Royale, Scotia, CIBC, Montréal et TD) qui profitent de cette échappatoire fiscale. Elles privent Ottawa, mais aussi les provinces, de près de 6 milliards $ de revenus par année.

Au mois de juin dernier, le FMI a révélé que 80 % de tous les actifs bancaires à la Barbade, à la Grenade et aux Bahamas sont détenus par trois banques canadiennes : la Royale, la Scotia et la CIBC.

Le recours aux paradis fiscaux ne cesse de prendre de l’ampleur au Canada. L’an dernier, les investissements canadiens à la Barbade ont atteint 80 milliards $. Pourtant, le PIB de cette petite île des Antilles est comparable à celui du Grand Joliette.

Le gouvernement fédéral multiplie les déclarations de lutte aux fraudeurs, mais ne touche pas aux paradis fiscaux parce que leur utilisation est parfaitement légale.

Certains croient que la solution passe par une intervention du gouvernement québécois en soutenant que le Québec est autonome en matière de fiscalité internationale. En fait, bien que théoriquement autonome, le Québec est plutôt en liberté conditionnelle. Il est libre d’agir, mais à la condition expresse de faire la même chose qu’Ottawa ! 

Aussi, en matière de fiscalité internationale, la loi québécoise est un calque du régime fédéral. 

De passage récemment devant la Commission parlementaire de l’Assemblée nationale sur les paradis fiscaux, Alain Deneault a soutenu que le Québec pouvait déroger au régime fédéral, pour lutter contre les paradis fiscaux. 

En théorie, il a raison. Mais en pratique, malheureusement, ce n’est pas le cas. Voici pourquoi.

Pour appliquer la Loi de l’impôt, il faut évidemment avoir accès aux renseignements fiscaux des contribuables. L’État ne peut pas imposer des revenus dont il ignore l’existence.
En fiscalité internationale, les traités fiscaux et les accords de partage de renseignements définissent les règles de confidentialité. Or, ces traités sont signés par Ottawa et ils interdisent carrément aux pays étrangers, y compris aux paradis fiscaux, de partager des renseignements d’ordre fiscal, sauf pour l’application de la Loi de l’impôt fédérale. 

Autrement dit, tant que la loi québécoise est calquée sur celle d’Ottawa, l’information est accessible. Le jour où la loi québécoise déroge à la loi canadienne, elle ne l’est plus ! Impossible alors d’imposer les entreprises et les contribuables ayant recours à des paradis fiscaux. Tout simplement.

Il s’agit d’une situation extrêmement frustrante, d’autant plus qu’Ottawa a aménagé son régime fiscal expressément pour permettre l’utilisation des paradis fiscaux.
Il l’a fait en catimini, par des changements règlementaires adoptés en cachette, sans consultation ni accord du Parlement.

Au printemps dernier, j’ai déposé, à titre de député du Bloc Québécois, une motion exigeant que le gouvernement fédéral mette fin à ce régime profondément injuste de cadeaux aux grandes banques. En avril dernier, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité une résolution allant dans le même sens.

Le vote a eu lieu le 27 octobre. Les libéraux, sauf un député, et les conservateurs ont voté contre.  Lorsque Justin Trudeau parlait de « voies ensoleillées », il indiquait simplement aux plus fortunés le chemin à prendre avec leur argent.

Même si la motion avait été adoptée, le combat aurait été loin d’être gagné. Le lobby du secteur financier aurait pesé de tout son poids pour que le gouvernement n’en tienne pas compte. Pour que ça change, Québec doit continuer à faire pression sur Ottawa.

Il y a une voie, jusqu’ici inexplorée, que le Québec pourrait emprunter. C’est le recours aux tribunaux.

Car, fait méconnu, aucun traité n’autorise le recours aux paradis fiscaux. Même le traité avec la Barbade ne le permet pas. Leur utilisation est fondée sur des changements règlementaires adoptés en cachette. Des règlements qui entrent en contradiction avec les traités et les lois adoptées par le Parlement. 

S’ils étaient contestés devant les tribunaux, ces changements règlementaires seraient vraisemblablement invalidés. Avec ses ressources et ses compétences juridiques, le gouvernement du Québec pourrait, s’il le désirait, amener le gouvernement canadien devant les tribunaux.

Si les règlements étaient invalidés par la Cour, le problème du recours légal aux paradis fiscaux serait largement réglé.

Sur la question des paradis fiscaux, le Québec peut agir. Pas sur la scène internationale, comme certains le voudraient, mais auprès du gouvernement fédéral. Ce qui nous rappelle que le Canada est un pays et le Québec, malheureusement, n’est toujours qu’une province.

* L’auteur est député du Bloc Québécois.