Le modèle politique chilien craque de partout

Tout commence par des manifestations étudiantes pour un meilleur système d’éducation

2017/03/08

Depuis la fin de la dictature, en 1990, le Chili a été considéré, pendant longtemps, comme un cas exemplaire de réussite en Amérique latine. Suivant le modèle néolibéral hérité de la dictature, ce pays austral connaissait une croissance économique soutenue, accompagnée d’une certaine diminution de la pauvreté.

En plus, son système politique était d’une remarquable stabilité et le Chili était l’un des rares pays de la région à ne pas être frappé par la corruption au sein de ses élites dirigeantes. 

Cette image positive s’estompe de plus en plus. Depuis quelques années, les manifestations de mécontentement de la situation sociale, caractérisée par de fortes inégalités, se font sentir. Cela a commencé avec les manifestations des étudiants du secondaire en 2006, qui réclamaient un meilleur système d’éducation publique. 

Ce mouvement fut relayé en 2011 par les étudiants universitaires, qui protestèrent massivement contre les frais très élevés des études supérieures. 

En 2013, ce fut le tour de la « marche des malades », qui réclamaient une loi permettant de rendre le prix des médicaments plus accessible aux personnes atteintes de maladies graves. 

Et, au cours de cette année, des protestations massives se sont élevées contre le système de pensions implanté en 1981 par le régime militaire, basé sur les cotisations individuelles, sans participation de l’État ni des employeurs, avec, comme résultat, que la grande majorité de la population se retrouve avec des pensions de moins de 300 dollars par mois au moment de la retraite. 

Jusqu’ici, le gouvernement, pris de court, n’a pas présenté de projet concret pour répondre à cette dernière demande. Le modèle hérité de la dictature, basé sur la prédominance du privé et sur un désinvestissement de l’État en matière des services publics, commence à craquer de toutes parts. 

Fait à noter : si les Chiliens manifestent massivement dans la rue, c’est parce qu’ils ne semblent pas croire que la solution aux problèmes puisse venir des politiciens. C’est la société qui a fait bouger les autorités, qui se limitent à réagir. 

Résultat : la désaffection envers tous les partis traditionnels, autant de droite comme de gauche, est palpable. Cette attitude s’était déjà manifestée lors de l’élection présidentielle et parlementaire de 2013, par un anémique taux de participation de 40 %, un creux jamais atteint auparavant. 

Le phénomène va sûrement s’accentuer, puisque plusieurs parlementaires ont été accusés – et certains ont été trouvés coupables – de manœuvres illégales pour financer leurs campagnes électorales. 

La présidente Michelle Bachelet se retrouve sur la sellette depuis février 2015, alors que sa belle-fille, Natalia Compagnon, et son fils aîné, Sebastián Dávalos, furent accusés d’avoir obtenu un prêt de faveur d’une banque et d’avoir utilisé cet argent dans un investissement qui avait rapporté gros, sur la base d’informations privilégiées auxquelles ils n’auraient pas dû avoir accès. 

Même si la présidente a toujours nié avoir eu connaissance de cette affaire, sa popularité est en chute libre depuis cette date et elle atteint aujourd’hui un maigre 24 %, alors qu’elle était de 80 % en 2013. 

Pourtant, le gouvernement Bachelet avait entamé, dès 2014, des réformes ambitieuses. Sur le plan social, une loi a été approuvée, qui accordait la gratuité des études universitaires, d’abord en faveur des étudiants en provenance de familles à bas revenus, et qui couvrira progressivement la totalité des étudiants, d’ici les prochaines années. Une autre loi a donné un peu plus de pouvoirs aux syndicats. 

Ces réformes ont néanmoins été considérées comme insuffisantes par leurs bénéficiaires. Au niveau politique, on a mis sur pied un nouveau système de vote basé sur la proportionnelle, une vieille aspiration de la gauche, et les Chiliens résidents dans d’autres pays pourront voter pour la première fois lors de l’élection de 2017. 

Enfin, le gouvernement a, en octobre 2015, présenté au pays un projet en vue de doter le Chili d’une nouvelle constitution, afin de remplacer celle implantée durant la dictature, qui reste en vigueur malgré quelques réformes importantes en 2005. 

Mais le gouvernement a, depuis août, cessé de faire référence à ce projet, et les étapes annoncées, pour le deuxième semestre de l’année en cours, semblent reléguées aux calendes grecques. 

Ainsi, le taux de satisfaction du gouvernement demeure assez bas, aux alentours de 25 %. Un taux de croissance faible, d’environ 2 % en moyenne durant l’année, contribue à maintenir une ambiance morose. Les autorités ont dernièrement multiplié les bourdes sur toutes sortes de sujets, comme les nombreuses erreurs commises dans les inscriptions électorales, lors de la dernière élection municipale. Et on n’a pas trouvé de réponse satisfaisante  aux revendications des Autochtones, qui réclament la récupération de leurs terres dans le sud du pays. 

Déboussolé, le gouvernement semble attendre l’élection de novembre 2017 afin de décider si l’on s’attaquera finalement à l’héritage néolibéral ou si le tout se poursuivra avec des réformes à la pièce. 

Deux anciens présidents, Ricardo Lagos et Sebastián Piñera, ont déjà commencé à se pointer comme des candidats possibles. Face à eux, un regroupement de nouvelles forces de gauche, dont les têtes d’affiche sont les jeunes députés Giorgio Jackson et Gabriel Boric, tous les deux issus de la génération de leaders du mouvement de la contestation étudiante, commence à prendre forme. Il pourrait constituer une solution de rechange valable pour les électeurs désabusés vis-à-vis des partis traditionnels, même s’il est trop tôt pour en mesurer les chances de succès.

* L’auteur est professeur associé au département d’histoire de l’UQAM