Nadeau-Dubois « renonce » à la solution qui s’impose

Le nombre d’élèves des écoles privées a quadruplé depuis 1970

2017/06/19

Dans leur rapport de la tournée Faut qu’on se parle, colligé dans le livre Ne renonçons à rien (Lux éditeur), Gabriel Nadeau-Dubois et les co-signataires ont identifié l’éducation comme la première des priorités. 

« L’éducation, écrivent-ils, a une portée existentielle. Notre tournée en témoigne : c’est de loin le sujet dont vous nous avez le plus parlé. L’éducation est à la démocratie ce que le sang est au corps humain. À chaque élève qu’on laisse tomber, la démocratie pâlit, s’affaiblit. Les oubliés de l’éducation se multiplient. » 

Ils identifient aussi correctement la principale défaillance de la fabrique à « oubliés ». 

« Au niveau secondaire, l’existence d’un système à deux vitesses, privé et public, accentue ces écarts. Avec un réseau privé financé à 70 % par le public, les laissés pour compte se trouvent à financer leur exclusion à même les taxes et les impôts qu’ils versent à l’État. L’école publique s’est ajustée à cette concurrence en multipliant d’ingénieux programmes spéciaux (éducation internationale, sport-études, danse-études, enrichi, etc.). Mais à quel prix ? N’y a-t-il pas un revers à cette médaille ? » 

Que proposent-ils pour y remédier ? 

Dans la section sur les solutions, intitulée « Des projets concrets », l’école vient en tête des huit priorités et les remèdes suivants sont mis de l’avant. 

1.1 Remettre la citoyenneté au cœur de l’école.

1.2 L’école, lieu d’histoire et de culture.

1.3 Apprendre tôt les bonnes habitudes.

1.4 Pour faire tout ça : refinancer massivement. 

Dans cette dernière section, on identifie « deux virages décisifs : diminuer le nombre d’élèves par classe et augmenter le nombre de professionnels disponibles pour venir en aide aux élèves en difficulté ». 

Fort bien. Mais rien sur le financement public des écoles privées ! 


Pourtant, dans son Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2014-2016, publié cet automne, au beau milieu de la tournée Faut qu’on se parle, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) a tiré la sonnette d’alarme. 

Avec la croissance du réseau des écoles privées, l’augmentation des projets particuliers et le nombre accru d’élèves en difficulté dans les classes ordinaires, « notre système scolaire, de plus en plus ségrégué, court le risque d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ». 

Les données sont à jeter par terre. Le nombre d’élèves qui fréquentent une école privée  a quadruplé depuis 1970 (21,5 % par rapport à 5,2 %). Cette proportion atteint 35 % en Estrie, 39 % à Montréal et 42 % à Québec !!! 

Le nombre d’élèves des écoles publiques inscrits dans des programmes particuliers au secondaire atteint 17,2 %. En dix ans, la proportion d’élèves du réseau public déclarés en difficulté est passée de 13 % à 20,8 % et 70 % de ces élèves sont intégrés en classe ordinaire. 

Mais la nouveauté dans l’analyse produite par le CSE est l’effet de cette ségrégation sur la performance des écoles. Le CSE compare la relation entre le statut socioéconomique et culturel des écoles et leur performance avec celle des autres provinces, où le réseau privé est marginal à cause de l’absence de financement public. 

Ainsi, sur la base des résultats des élèves aux tests PISA, la différence entre écoles de statut socioéconomique et culturel différents est de 105 points en mathématiques au Québec alors qu’elle est de 48 points en Colombie-Britannique. En lecture, la différence est de 112 points contre 39 et de 94 points en sciences contre 40.

Autrement dit, dans toutes les provinces du Canada, les élèves des écoles défavorisées ont obtenu une performance inférieure à ceux des écoles favorisées, mais cette différence est nettement plus élevée au Québec. 

Selon le Conseil, ces données sont une conséquence de la multiplication des programmes sélectifs ou enrichis (qu’ils soient offerts dans une école publique ou privée). 

Comme le souligne le CSE, « les inégalités de résultat ne sont pas seulement le fruit des inégalités dans la société (notamment sur le plan économique) ou entre les élèves (de plus ou moins grandes aptitudes), mais elles sont aussi partiellement le produit des inégalités de traitement que le système scolaire lui-même cautionne. 

Le Rapport établit un lien direct entre la classe sociale de provenance des élèves et l’accès aux projets particuliers et à l’école privée. 


Seulement 16 % des écoles secondaires publiques, dont l’indice de milieu socioéconomique est faible, proposent à leurs élèves des programmes particuliers, alors que, pour les établissements dont l’indice de revenu est moyen ou élevé, ce pourcentage atteint respectivement 46,2 % et 42,4 %. 

Concernant l’école privée, 7 % de l’effectif provient de milieux à faibles revenus (revenu familial moyen de moins de 50 000 $), 21 % de la classe moyenne (revenu familial entre 50 000 $ et 100 000 $) et 72 % de milieux favorisés (revenu familial supérieur à 100 000 $). 

Cette situation aurait dû interpeler GND et les membres de la tournée Faut qu’on se parle, mais non ! On ne touche pas au réseau des écoles privées. C’est un tabou. 

À l’époque du « printemps érable », nous avions déjà souligné cette omertà de la part des associations étudiantes et de leurs dirigeants. 

À notre connaissance, les associations étudiantes québécoises n’ont jamais sérieusement critiqué la présence d’un réseau d’écoles privées financé à plus de 70 % à même des fonds publics – un phénomène unique en Amérique du Nord – et ses effets déstructurants sur le réseau public. 

La lutte étudiante, même si elle était menée principalement par les enfants des familles de la classe moyenne, avait le mérite de dépasser ses intérêts particuliers pour déboucher sur une revendication à caractère universel : la plus grande accessibilité aux études, voire la gratuité scolaire. 

Mais, pour être conséquente, cette lutte doit aussi remettre en cause le financement public des écoles privées, où s’effectue l’essentiel de la sélection au détriment des enfants des milieux ouvriers et populaires. 

Son omission n’est sans  doute pas étrangère au fait que ses dirigeants étaient tous des produits de l’école privée. 

Pour « remettre le cap sur l’équité » – qui est le sous-titre du Rapport – le CSE milite pour le retour à une classe hétérogène. 

Il est clair, pour le Conseil supérieur de l’éducation, que tous les enfants ont avantage à fréquenter des milieux scolaires hétérogènes, non seulement sur le plan cognitif, mais également sur le plan de l’estime de soi, de la tolérance à l’égard de la différence et de l’engagement civique (le vivre ensemble). 

À l’encontre de ceux qui craignent le « nivellement par le bas », le CSE cite plusieurs études qui démontrent que, « dans un groupe mixte équilibré, les élèves performants maintiennent leurs bons résultats, et ceux qui éprouvent des difficultés obtiennent de meilleurs résultats au contact d’élèves qui apprennent facilement ». 

Pour le CSE, le virage que devrait prendre l’intervention de l’État pour assurer l’égalité stricte des résultats sous-entend de cesser progressivement le financement public des écoles privées et l’interdiction de la sélection dans les projets particuliers.