Mieux vaut être actif aujourd’hui que radioactif demain

Des décisions qui mettent en péril l’eau potable des Premières Nations, des Québécois et de nombreux Canadiens

2017/06/20

Je suis tombée par hasard, dans le journal Le Soleil, sur un texte à la fois touchant et alarmant de l’artiste autochtone Samian, qui lance un véritable cri du cœur au gouvernement Trudeau en parlant d’un génocide de son peuple par l’eau.

« N’ayons pas peur des mots, Monsieur le Premier ministre : nous vivons sur une terre où le génocide des Premières Nations, de notre peuple, est toujours actif en 2017… Comment expliquer et justifier que, le 31 août 2016, 132 avis concernant la qualité de l’eau potable étaient en vigueur dans 89 communautés autochtones et que, selon Santé Canada, 39 de ces avis perdurent depuis plus de 10 ans ? », déplorait-il.
Citant un rapport d’Amnistie Internationale présenté à l’ONU, il a rappelé au Premier ministre qu’environ 20 000 personnes vivant dans les réserves autochtones au Canada n’ont pas accès à l’eau courante ou à un service d’égouts.  

« Comment légitimez-vous et motivez-vous le fait que le gouvernement ait les moyens de dépenser 80,9 millions de dollars pendant les cinq prochaines années, soit 404,5 M $ pour chercher de l’eau sur la planète Mars ? Il est bien que le Canada ouvre ses portes au tiers-monde, mais actuellement, le tiers-monde est une triste réalité dans notre propre pays », a-t-il ajouté.

Le premier ministre Justin Trudeau a mené sa campagne électorale en se positionnant comme un grand défenseur de l’environnement et des communautés autochtones mais, depuis son arrivée en poste, ses promesses s’effritent et les masques tombent. Certes, c’est décevant, mais ce qui devrait nous effrayer tous, c’est que le gouvernement fédéral prend à répétition des décisions qui mettent en péril l’eau potable des Premières Nations, des Québécoises et des Québécois ainsi que celle de nombreux Canadiens.

Dépotoir nucléaire 
de Chalk River

Un projet est en branle, dont la concrétisation menacerait dangereusement l’approvisionnement en eau potable de millions de Québécoises et de Québécois. L’entreprise LNC prévoit la création d’un dépotoir de déchets radioactifs, provenant de la centrale nucléaire de Chalk River, à moins d’un kilomètre des berges de la rivière des Outaouais. Pour donner une idée de l’ampleur du projet, la montagne de déchets radioactifs de cinq étages s’étendrait sur une superficie équivalente à une trentaine de terrains de football.

La rivière des Outaouais, qui se déverse dans le fleuve Saint-Laurent, est la source d’eau potable de millions de Québécois. Des consultations publiques doivent se tenir dans les prochains mois. Mais, déjà, on apprend du ministre du Développement durable du Québec, suite à une de ses déclarations à l’Assemblée nationale, que son ministère travaillait sur un plan d’urgence nucléaire en prévision de la réalisation du projet de dépotoir.  

C’est maintenant qu’il faut agir pour stopper ce projet insensé. Bref, mieux vaut être actif aujourd’hui que radioactif demain.

Les Grands Lacs

Notre eau est menacée de l’intérieur, mais aussi de l’extérieur, puisque le Canada et les États-Unis se partagent 20 % des eaux douces du monde. Il faut savoir que les gouvernements gèrent conjointement les eaux transfrontalières canado-américaines, dont les Grands Lacs, qui représentent à eux seuls 20 % de l’approvisionnement mondial en eau douce de surface. 

Lors de la présentation de son budget 2018, le président des États-Unis Donald Trump annonçait vouloir éliminer le financement visant à faire face aux plus grandes menaces environnementales qui pèsent sur les Grands Lacs. Or, ce sont 25 millions d’États-Uniens et 10 millions de Québécois et de Canadiens qui puisent leur eau directement dans le bassin versant des Grands Lacs, touchant plus particulièrement les municipalités de la région du Grand Montréal.

Rappelons que, dans les prévisions budgétaires de Trump, il était question d’imposer des compressions à l’Agence de protection de l’environnement (EPA), qui se seraient traduites par une réduction de près de 97 % du budget de l’Initiative de restauration des Grands Lacs. Son budget devait être réduit de 300 millions à 10 millions de dollars US.

Heureusement, le nouveau budget n’a pas été adopté. Le Congrès a sauvé le programme de conservation des Grands Lacs et les élus du congrès ont voté des crédits afin de ne pas dépasser le plafond de dépenses imposé par la loi. Le budget de l’EPA n’a pas été amputé et elle bénéficie toujours de son budget de 300 millions $, du moins pour l’instant.  La fiscalité américaine passera sous la loupe cet été et, s’il n’y a pas d’entente, d’autres crédits seront votés et ainsi de suite.

Donc, ce n’est pas parce qu’il ne s’est rien passé maintenant qu’il faut baisser les bras. Aux États-Unis, les pressions sur les élus sont très fortes afin de couper les vivres à l’EPA. Mais on ne doit pas laisser Trump, un climato-sceptique, être le seul à exercer des pressions. Le gouvernement canadien doit aussi faire pression sur son voisin du Sud afin de préserver notre eau potable. 

Énergie Est

Du Manitoba au Nouveau-Brunswick, près de 3 000 lacs, cours d’eau et aquifères dont dépendent des millions de Canadiens pour s’approvisionner en eau potable sont menacés de déversements d’hydrocarbures si le projet Énergie Est, de la pétrolière albertaine TransCanada, voit le jour. Transportant 1,1 million de barils de pétrole par jour voués à l’exportation, l’oléoduc qui doit traverser le Québec mettra en péril 830 de nos cours d’eau, dont le fleuve Saint-Laurent. 

D’emblée, il faut savoir que le pétrole albertain issu des sables bitumineux est plus lourd et plus néfaste que le pétrole classique ou le gaz naturel lorsqu’il se déverse dans l’environnement. Le bitume extrait des sables bitumineux est trop épais pour être acheminé par pipeline, les pétrolières y ajoutent donc des diluants. Il s’agit d’autres hydrocarbures, plus légers.

En cas de déversement, ces diluants vont s’évaporer dans l’air alors que le bitume dilué, quant à lui, coulera. Par conséquent, il sera plus difficile à récupérer et plus susceptible de contaminer nos sources d’eau. L’eau deviendrait donc rapidement impropre à la consommation, surtout que plusieurs municipalités affirment ne pas avoir de systèmes de traitement des eaux adéquats pour faire face à ce genre de situation. 

Déjà, en mai 2016, et encore récemment lors du Forum sur l’environnement Americana, Guy Coderre, enseignant au Centre national de formation en traitement de l’eau, décriait ce qui attend le Québec en cas de déversement. Faisant état des données recueillies lors du déversement de 100 000 litres de bitume en Saskatchewan, il a expliqué que la pollution s’est propagée sur une distance de 500 km, que trois prises d’eau ont dû être fermées pendant 55 jours, ce qui a eu des répercussions sur environ 70 000 personnes. 

Selon lui, la situation serait encore plus désastreuse pour les résidents du Grand Montréal puisque les réserves disponibles d’eau potable sont uniquement de 12 à 16 heures et que seulement trois stations d’épuration sur 26 autour du fleuve Saint-Laurent ont une prise d’eau alternative. Dans le cas d’un déversement, ce serait quatre millions de Québécoises et de Québécois qui seraient affectés par une pénurie d’eau potable pour une période qui est impossible à déterminer.

Sachant qu’environ 750 incidents sont survenus le long des principaux pipelines au Canada depuis 2008, les risques de déversement sont énormes et Justin Trudeau a le devoir de protéger notre eau. Malheureusement, nous ne pouvons pas compter sur lui, il l’a démontré en donnant le feu vert à Trans Mountain de la compagnie Kinder Morgan, Keystone XL et le remplacement de la canalisation 3 du pipeline d’Enbridge. Le refus du projet Énergie Est passe par l’indépendance du Québec.

L’eau est source de vie. Par chance, nous détenons 3 % des réserves mondiales d’eau douce de la planète. Pour les Premières Nations et pour tous ceux qui habitent le territoire québécois, il est de notre devoir de protéger l’eau potable et de nous mobiliser lorsqu’elle est menacée, aujourd’hui plus que jamais. 

L’eau est à la base de la vie humaine, d’ailleurs nous savons tous que le corps humain est constitué d’eau à raison d’environ 65 %, ce qui correspond à environ 45 litres d’eau pour une personne adulte de 70 kilos. Or, le corps humain ne peut malheureusement pas faire de réserve et notre organisme élimine en permanence cette eau qui doit être remplacée. 

Sans apport d’eau, un être humain ne pourra guère vivre plus de deux ou trois jours ; s’il boit, même s’il n’a rien à se mettre sous la dent, il pourra survivre environ quarante jours et c’est pour cette raison que la priorité de n’importe quel gouvernement devrait être de protéger cet or bleu à tout prix et de s’assurer que tous les citoyens et les citoyennes y ont accès. 

N’oublions jamais que la quantité globale d’eau nécessaire à un adulte de taille moyenne, vivant en région tempérée et ne fournissant pas d’effort physique particulier, est d’environ 2,5 litres par jour. Combien de temps pourrions-nous survivre si nous perdions l’or bleu qui provient des Grands Lacs, de la Rivière des Outaouais, où certains veulent construire un dépotoir nucléaire ? Et que dire des cours d’eau se trouvant le long du tracé prévu pour l’oléoduc Énergie Est ? Pas très longtemps, j’en ai bien peur. Devenons maîtres de notre destin, pour nous, pour les générations futures et pour les Premières Nations.

* L’auteure est députée du Bloc Québécois.