Pour comprendre le phénomène Boko Haram

Le film de Xavier Muntz s’avère un véritable livre d’Histoire

2017/06/20

Le film intitulé Boko Haram, les origines du mal était présenté à la Cinémathèque québécoise dans le cadre du Festival Vues d’Afrique. Le réalisateur Xavier Muntz explique dans son documentaire pourquoi la secte religieuse, du nom de Boko Haram (l’Éducation occidentale est un péché), est devenue le groupe terroriste le plus meurtrier au monde. 

« Le but au départ était de comprendre ce qu’est Boko Haram. En France, on avait tous entendu parler de Boko Haram lors de l’enlèvement des lycéennes de Chibok, sans plus », de déclarer Xavier Muntz, en entrevue avec l’aut’journal. 

Pour comprendre le phénomène, il faut remonter à 2002. Maiduguri, capitale de l’État du Borno, dans le nord-est du Nigeria, est le berceau de la secte Boko Haram. Dans cet État, les lois islamiques sont en vigueur depuis le 11e siècle. Pour moraliser la vie politique, la majorité musulmane souhaite voir la charia appliquée plus strictement. Boko Haram va s’appuyer sur cette revendication populaire pour émerger et s’accroître.

Un jeune homme de 32 ans commence à se faire connaître dans certaines mosquées de Maiduguri. Ses prêches sont considérés comme étant trop fondamentalistes, mais sa personnalité et son charisme impressionnent de plus en plus. Mohamed Yussuf, le fondateur de Boko Haram, se fait rapidement de nouveaux adeptes. Il dénonce les dirigeants politiques. Il devient très populaire, car il est un très bon orateur et qu’il tient des sermons très politiques. 

« Il s’est levé contre l’establishment et contre les abus dans la société, en leur donnant une interprétation religieuse. Le thème principal est que l’État est corrompu », raconte le réalisateur. Ainsi, il disait à la population qu’elle devait avoir son propre territoire où régnerait la justice. « On gouvernera différemment et il y aura la justice pour tous », affirmait-il. 

Cela s’est produit au moment où les idéaux socialistes et communistes se sont écroulés. Dans les universités, il y avait beaucoup de marxistes et de socialistes. Beaucoup de jeunes rêvaient à une société alternative. Avec la fin du communisme, les gens sont devenus plus religieux. 

Les Britanniques ont laissé aux dirigeants du Nigeria un pays profondément divisé. Le Sud est riche en pétrole et regroupe les communautés chrétiennes qui ont profité des programmes d’éducation mis en place par l’ancienne puissance coloniale. Le Nord est pauvre et rural et regroupe les communautés musulmanes. Dans certains milieux traditionnels, l’éducation occidentale est toujours perçue comme une prolongation de la situation coloniale. 
Le Nigeria est aujourd’hui la première puissance économique d’Afrique. Pourtant, plus de la moitié de sa population vit sous le seuil de la pauvreté. Gangrené par la corruption des élites, le gouvernement perd progressivement la confiance de sa population. 

Les pauvres se joignent alors au discours de la secte, car on leur promet de mettre en place un État islamique rêvé et la charia qui est, pour eux, une forme de justice sociale. Désormais, les riches ne pourront plus détourner l’argent public. On joint la secte parce qu’on est convaincu qu’elle va permettre d’améliorer la vie quotidienne à travers une pratique plus rigoureuse de l’islam. 

La cible la plus importante pour Mohamed Yussuf était la jeunesse. Les jeunes l’écoutaient et sentaient qu’il les représentait. Ils ont joint la secte Boko Haram. Ce fut le point de départ. Yussuf a bâti sa mosquée dans un quartier défavorisé et s’est donné une mission sociale en nourrissant les orphelins. 

« Un terrain favorable aux idées radicales s’est installé dans cette région du monde. Le fanatisme n’est pas la seule raison de cette montée de violence. L’État est aussi responsable de cette situation », d’analyser Xavier Muntz. 

Yussuf prêche « qu’on ne peut pas vivre dans un État qui place la constitution au-dessus du Coran. Car les droits des musulmans vont être bafoués à un moment donné ». Yussuf reçoit l’appui d’Ali Modu Sherrif, le gouverneur du Borno. Celui-ci propose une alliance contre nature, pour s’attirer les votes aux élections, et propose une charia plus étendue. Lorsqu’il est élu gouverneur, Sherrif n’applique pas la charia comme Yussuf le désirait. Alors, ce dernier dénonce le gouverneur l’accusant de ne pas respecter ses promesses. Sa popularité en fait plus qu’une simple figure religieuse. Il devient aussi une figure politique. 

En juin 2009, prétextant une loi sur le port du casque à moto, pourtant rarement appliquée, la police intercepte des motards de la secte, lors de funérailles. Les motards de Boko Haram refusent d’obéir et la police ouvre le feu. 

Dans son prêche suivant, Yussuf déclare : « Si la police est capable de tuer des gens lors de funérailles, il n’y a plus aucun respect ». L’émotion provoquée par la fusillade provoque une tension parmi les fidèles de la secte. L’aile radicale, représentée par Abubakar Shekan, appelle à la vengeance immédiate. 

« Mohamed Yussuf est devenu plus qu’un leader charismatique. Politique-ment, il est devenu une menace pour les autorités du Nigeria. Il tenait des discours violents et anti-autorité », d’expliquer Xavier Muntz. 

Boko Haram prend la ville en otage et attaque des églises. Ses fidèles sont déchaînés. L’armée est appelée en renfort pour régler le problème. Près de 1 000 personnes sont tuées, mais on dénombre peu de victimes parmi les combattants de la secte. Certains se sont échappés lors de l’opération militaire, mais Yussuf est arrêté. 

Durant son interrogatoire, Yussuf apprend aux autorités que Shekan est devenu son bras droit et qu’il va continuer la lutte. Cinq minutes après avoir été libéré, Yussuf tombe sous les balles en pleine rue. En juillet 2010, Boko Haram lance ses premières actions terroristes. Devenue clandestine, la secte met sur Internet des messages vidéo de son nouveau leader, Abubakar Shekan. 

L’armée nigériane est constituée essentiellement de chrétiens du Sud, qui ne parlent pas le dialecte du Nord-Est du pays. Donc, quand un soldat dit : « Haut-les-mains », les gens ne comprennent pas et l’armée tire dans le tas, raconte le réalisateur. L’armée croit que tous les citoyens du Borno sont des partisans de Boko Haram et les traitent comme s’ils étaient des combattants djihadistes. Par ses gestes, l’armée devient agent recruteur pour Boko Haram.  On ne peut comprendre le phénomène Boko Haram, si on fait abstraction des atrocités de l’armée nigériane.

 Avec la création d’une milice originaire du Borno, la stratégie de Boko Haram a changé. Il s’en prend désormais à des civils, pour les dissuader de se joindre aux milices.  L’été 2014 représente l’expansion territoriale de la secte. Boko Haram s’empare de plusieurs villes et met l’armée en déroute. Les combattants djihadistes récupèrent les armes et les véhicules laissés par l’armée en fuite. 

Dans une vidéo de 2015, Boko Haram prête allégeance à l’État islamique. La secte dirigée par Abubakar Shekan prend alors le nom d’État islamique de l’Afrique de l’Ouest. La secte a soulevé l’indignation mondiale en kidnappant 276 lycéennes à Chibok. Aux yeux de tous, Boko Haram prend le visage de la barbarie. 

Cet excellent documentaire est le troisième film de Xavier Muntz. Parsemé d’images d’archives, le film est un véritable livre d’Histoire.