La ville de toutes les fêtes sauf une

Pourquoi Montréal n’a-t-elle célébré sa fondation française qu’en 1992 ?

2017/06/15

Les voyageurs qui débarquent du bateau à Montréal depuis la fin du XVIIIe siècle ont tous fait le même constat : le français n’y est pas la langue d’accueil. L’un d’eux a noté qu’il n’avait pris conscience de son existence que par le biais des échanges vigoureux des charretiers qui œuvraient sur les quais. Ceux-là mêmes dont les profs nous reprochaient, des lustres plus tard, d’emprunter la langue. 
Bref le français est présent dans les rues et la vie courante, mais son usage demeure la face cachée du visage montréalais. On a beau le savoir de par devers nous, comme aurait pu dire un précurseur de Victor-Lévy Beaulieu et d’Yvon Deschamps, mais on voudrait que ça saute aux yeux itou ! Dans ce contexte qui perdure jusqu’au XXe siècle, célébrer l’anniversaire de la fondation française de Montréal ne pouvait que prendre l’allure d’une revendication, voire d’une provocation. 

Troisième volet 

1942 Montréal vit sous le contrôle militaire de la Loi des mesures de guerre d’Ottawa et la métropole compte maintenant près de 2000 tables d’écoute sur des lignes téléphoniques privées. Son maire Camillien Houde a été incarcéré sans procès dans un camp à Petawawa pour sa dénonciation de l’enregistrement national en août 1940. Sa déclaration a été reprise par les journaux du Canada, des États-Unis et de l’Angleterre. Personne toutefois n’a pu la lire en français au Québec. La Loi des mesures de guerre interdit au français ce qu’elle permet à l’anglais. 

Sa prise de position s’en tient aux faits. Elle n’est pas émotive. « Je me déclare absolument opposé à l’enregistrement national. Il s’agit d’une mesure non équivoque de conscription et le gouvernement, élu en mars dernier, a déclaré par la bouche de ses chefs politiques, du premier ministre Mackenzie King jusqu’au premier ministre du Québec, Adélard Godbout, y compris les ministres Lapointe (Ernest) et Cardin (Joserph-Arthur), qu’il n’y aurait pas de conscription sous quelque forme que ce soit.

« Le Parlement, à notre avis, n’a pas le mandat de voter la conscription. Je ne crois pas être tenu de me conformer à ladite loi, et je n’ai pas l’intention de le faire. Je demande à la population de ne pas s’y conformer, connaissant parfaitement ce que je fais présentement et ce à quoi je m’expose. Si le gouvernement veut un mandat pour la conscription, qu’il vienne devant le peuple sans, cette fois, le tromper ».

Dès sa livraison au camp Petawawa, le prisonnier Houde a été jeté dans une cellule. Il porte maintenant la casaque des politiques. C’est un costume grotesque avec un grand cercle rouge dans le dos de la blouse et une large bande rouge qui entoure la jambe droite des pantalons. Pour le parti au pouvoir à Ottawa, Camillien Houde demeure un ennemi redoutable. Pas question de lui faire le procès auquel il a droit et encore moins de le remettre en circulation au moment où le gouvernement de Mackenzie King tient un plébiscite sur la conscription.

Le 27 avril, la question est posée à l’ensemble du Dominion of Canada. « Consentez-vous à libérer le gouvernement de toute obligation résultant d’engagements antérieurs restreignant les méthodes de mobilisation pour le service militaire ? »

En 1942, tous les journaux québécois, sauf Le Devoir, sont pour le oui. Le 27 avril, le Canada vote oui et le Québec vote non à l’exception de neuf comtés à majorité anglaise de Montréal. « Nous avons peut-être rompu l’unité canadienne mais nous avons rétabli l’unité canadienne-française », commente René Chaloult, au marché Saint-Jacques.  La réponse n’a rien d’étonnant. « Le pays a voté 69 % oui, titre La Presse, et la province de Québec, 71 % non ! Camillien Houde n’est pas près d’être relâché. Lorsqu’il le sera, en 1944, la population le réinstallera à la mairie et il sera réélu par acclamation jusqu’en 1954.

Il va de soi que la célébration du tricentenaire de la fondation de Montréal a été jugée futile et nocive à l’effort de guerre pour la défense de l’Empire, menée par les riches commerçants de Montréal et le Board of Trade. Élu en 1939 à la tête de la Société Saint-Jean Baptiste, le jeune Louis-Athanase Fréchette se révèle le parfait président en temps de guerre, pugnace, impétueux et déterminé.  Sollicité par l’armée dès 1940 pour embrigader la Société dans ses opérations de propagande militaire, sa réponse est succincte : « Duvernay n’a pas fondé la SSJB pour courtiser les pouvoirs publics ». 

Lorsqu’on lui suggère fortement de supprimer cette fois la fête et le cortège, il propose,  sous le thème Leçons d’énergie, d’écarter l’enfant et de sacrifier l’agneau, pour ne plus valoriser l’esprit de soumission. 
Pour célébrer le troisième centenaire, on a prévu une série de grandes manifestations sous la direction d’un comité qui soutient que les Fêtes doivent avoir lieu, en dépit de la guerre et même à cause de la guerre. La SSJB de Fréchette peut fort bien organiser ces fêtes, mais elle ne peut les réaliser sans un appui que lui refuse la municipalité. Le Board of Trade et la campagne fédérale pour l’Emprunt de la Victoire pèsent trop lourd dans la balance. Le comité du tricentenaire est dissout. D’autant qu’un nouveau combat s’est imposé. Sous la houlette de Fréchette, la SSJB de Montréal a adhéré à la Ligue pour la défense du Ca-nada qui mène la  lutte anticonscriptionniste.

Bref, la date anniversaire du tricentenaire montréalais passe inaperçue ou presque et le cortège du 24 juin illustre la fondation de Montréal par un groupe virginal de jeunes filles au milieu d’une débauche de fleurdelysés. C’est le lot d’une province d’avoir des souvenirs là où un pays a une mémoire. Ce qui n’est toujours pas le cas du Canada qui n’a que des allégeances. 

1992 L’histoire radote avec un nouveau référendum fédéral et une nouvelle question : « Acceptez-vous que la Constitution du Canada soit renouvelée sur la base de l’entente conclue le 28 août 1992 ? » Les partisans du oui de la dernière chance énumèrent les trente et un gains de l’Entente de Charlottetown qui deviennent trente et une façon d’induire la population en erreur pour les partisans du non. 

Une innovation toutefois, Pierre Elliott Trudeau fait l’unanimité. « Ce gâchis mérite de recevoir un gros non ! » aboie rageusement le Fier Pet. Le Canada anglais qui l’écoute et le Québec qui ne l’écoute pas votent non pour des raisons diamétralement opposées. Trop de concessions pour l’un, pas assez pour l’autre. Avec ses neuf comtés allo-anglos qui votent oui, Montréal demeure fidèle à sa division séculaire entre l’Est et l’Ouest.

Le 16 mai, néanmoins, les célébrations du trois cent cinquantième débutent par un grand défilé de nuit. C’est la première fois dans l’histoire de la métropole que Montréal fête l’anniversaire de sa fondation. Qu’est-ce qui a changé alors que rien ne change lorsqu’il s’agit de répondre oui ou non ? La réponse saute aux yeux et l’adoption de la Loi 101, il y a 15 ans, n’y est pas pour rien. Montréal a retrouvé son visage français. C’était la seule condition que Jeanne Mance et Paul de Chomedey de Maisonneuve posaient pour parrainer l’événement.

Comment ont-ils réagi face à l’évolution de leur folle entreprise en une entreprise folle et à sa métamorphose ultérieure en une entreprise du monopole et un monopole de l’entreprise ? Ont-ils été rassurés par les cent clochers ou déconcertés par les gratte-ciel ? Se sont-ils inquiétés du silence des églises ou du vacarme infernal du commerce ? Il faut dire que très tôt, l’avenir était prévisible. 

Dès les premières années, la conversion des castors a connu plus de succès que celle des âmes. De toute évidence, c’est la vision du troisième larron qui a prévalu, celle de Charles Le Moyne. Les fondateurs mandatés par la Société Notre-Darne de Montréal avaient pour mission d’enclore le ciel dans leur île. Plus pragmatique, Charles Le Moyne s’est appliqué à l’ouvrir sur des nouveaux mondes. Son approche s’impose et façonnera à tout jamais la personnalité de Montréal. On ne trouve pas la statue du marchand et de l’interprète dans les rues de la métropole – sauf au pied du monument Maisonneuve de la Place d’Armes – mais son esprit perdure. Le repli appauvrit, l’ouverture enrichit. Les grandes villes du monde n’ont jamais eu d’autre devise. C’est dans l’air qu’on y respire !

La commission sur l’avenir politique et constitutionnel du Québec, souvent désignée comme la Commission Bélanger-Campeau, fut établie par l’Assemblée nationale du Québec à l’initiative du premier ministre Robert Bourassa, après le rejet de l’accord du lac Meech.

La commission a pour mandat « d’étudier et d’analyser le statut politique et constitutionnel du Québec et de formuler, à  cet égard, des recommandations » à l’Assemblée nationale. Elle fut présidée par Michel Bélanger et Jean Campeau. Au total, la commission a reçu plus de 600 mémoires, consulté 35 spécialistes et entendu 235 groupes. La plupart des mémoires considéraient l’indépendance du Québec comme la meilleure solution au conflit.

Le rapport Bélanger-Campeau fut déposé le 27 mars 1991 et révisé en 1992. Il avait recommandé de tenir un référendum sur la souveraineté-association en octobre 1992. Les travaux de la Commission mèneront à l’adoption, en juin 1991, de la Loi sur le processus de détermination de l’avenir politique et constitutionnel du Québec.
Pour donner suite au référendum qui s’annonce, Montréal conservera-t-elle son statut de mégalopole régionale ou deviendra-t-elle enfin la métropole d’un pays souverain ?