Les employés d’Aveos avaient servi de monnaie d’échange

Nouvel épisode dans la saga des centres d’entretien

2017/10/06

Le 19 septembre dernier, Air Canada signait deux ententes, évaluées à 500 millions de dollars, avec l’entreprise américaine AAR pour l’entretien de 125 avions à l’usine de Premier Aviation de Trois-Rivières. Une des ententes concerne l’entretien des avions Airbus A319, A320 et A321, pour une durée de 10 ans. L’autre entente, de cinq ans, vise les avions d’Embraer E190. Par la même occasion, AAR annonçait l’acquisition des installations de Premier Aviation, une entreprise trifluvienne, pour réaliser l’entretien des avions d’Air Canada. 

En entrevue avec l’aut’journal, Jean Poirier, porte-parole de l’Association des anciens travailleurs des centres de révision d’Air Canada (AATCRAC), se réjouit du retour des emplois en entretien d’avions au Québec. « Il faut malgré tout comprendre que l’entretien de la flotte d’Embraer se faisait déjà à Trois-Rivières. Donc, ce contrat n’est pas une nouveauté. En plus, AAR avait déjà le contrat d’entretien de la flotte des Airbus aux États-Unis. En achetant Premier Aviation, ils ont ramené le travail au Québec. » 

« L’autre côté de la médaille, c’est que Premier Aviation était une entreprise québécoise, qui avait son siège social au Québec, avec des actionnaires d’ici, et que l’argent était géré au Québec. Maintenant, cet argent s’en va aux États-Unis », de déplorer Jean Poirier. 

Rappelons les conditions établies, en 1988, lors de la privatisation d’Air Canada. L’objectif était d’autoriser le recours au capital privé afin de permettre au transporteur canadien de se développer. À l’époque, les parlementaires ont accordé cette possibilité à Air Canada, mais ils ont aussi obligé l’entreprise à conserver son siège social au pays, à offrir obligatoirement les services dans les deux langues officielles et à préserver les emplois au pays et non de les sous-traiter à l’extérieur du pays. D’où le maintien des centres de révision. 

« En 2003, Air Canada s’est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers. Par la suite, la compagnie ACE Aviation est devenue la société mère d’Air Canada. Avec cette restructuration, on a créé différentes unités, soit Aéroplan, Jazz, la compagnie aérienne Air Canada et les Services techniques Air Canada. Puis, Ace Aviation a vendu ces divisions. Jazz est cédé pour un milliard de dollars. Aéroplan est liquidé pour environ le même montant. Finalement, ils ont vendu Services techniques Air Canada pour 850 millions de dollars. Le consortium Aveos a alors acheté la division d’entretien des avions d’Air Canada », d’expliquer Jean Poirier. 

« Les employés d’entretien sont tout de même restés des employés d’Air Canada jusqu’en 2011, poursuit-il. En juillet 2011, c’est le début des transferts d’employés vers cette nouvelle entité qu’est Aveos. Les dirigeants d’Aveos étaient des spécialistes de fermeture d’entreprises. Huit mois plus tard, la clé était sous la porte. Il y avait une loi qui protégeait ces emplois à Montréal, Winnipeg et Mississauga. Air Canada ne l’a pas respectée », d’indiquer M. Poirier. 

En 2012, le Syndicat des employés d’Aveos et le gouvernement du Québec déposent une poursuite contre Air Canada. C’est une victoire sur toute la ligne en Cour supérieure. Le jugement déclare que l’entretien des avions d’Air Canada doit se faire au Canada. La cause a été portée en appel par la compagnie aérienne. Nouvelle victoire en Cour d’appel. Le jugement précise même que le nombre d’emplois en 1988 est un niveau plancher. Air Canada va à nouveau en appel, cette fois-ci en Cour suprême. 

« Nous étions sur le point d’obtenir une nouvelle victoire lorsqu’il y a eu une entente entre Air Canada, le gouvernement du Québec et Bombardier. L’entente porte sur l’achat, par Air Canada, de 45 avions Série c à Bombardier. Le gouvernement du Québec abandonne les procédures judiciaires en échange de cette entente », d’expliquer M. Poirier. 

« Le ministre Marc Garneau se félicite de la signature de cette entente et annonce une modification à la loi pour qu’il n’y ait plus de litige dans le futur. En juin 2016, le gouvernement Trudeau adopte la Loi C-10, qui retire à Air Canada l’obligation d’octroyer le travail d’entretien de ses appareils au Canada », de préciser Jean Poirier. 

Toute cette saga a laissé un arrière-goût amer aux ex-employés d’Aveos. D’ailleurs, ils ont déposé un recours collectif contre Air Canada et les gouvernements du Canada et du Québec. Ils soutiennent que le transporteur a violé impunément sa loi constitutive en fermant ses centres d’entretien, et que Québec et Ottawa ont cautionné et toléré cette décision, qui a eu des conséquences dramatiques pour les 2 600 ex-employés concernés au pays.