Le lobby financier est aux commandes à Ottawa

Paradise Papers : la croisade de Gabriel Ste-Marie, parlementaire québécois

2017/12/01


Cellule investigation : Qu’avez-vous découvert en travaillant sur cette convention fiscale avec la Barbade ?

Gabriel Ste-Marie : Je me suis aperçu qu’en réalité ce n’était pas grâce à ce traité fiscal originel avec la Barbade, ni par une loi, que les entreprises canadiennes échappaient à l’impôt. Mais par le biais d’un obscur règlement qui est venu invalider une section du traité fiscal interdisant à l’origine ce stratagème. En 2009, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a « légalisé » 22 autres paradis fiscaux, instaurant une entente de partage de renseignements fiscaux. Les libéraux de Justin Trudeau viennent d’en ajouter un de plus au printemps dernier : les Iles Cook. Le gouvernement Harper a fait en sorte que, dès qu’un accord d’échange de renseignements fiscaux est conclu, alors l’entreprise peut rapatrier ses profits au Canada sans être imposée, de façon automatique. Cela a été fait d’une manière « sournoise » : ils l’ont caché dans un règlement sur le crédit d’impôt pour frais médicaux ! Mais en fouillant ce sujet, nous avons débusqué cet obscur règlement… C’est par un règlement, qui n’est pas voté par le Parlement, que ce stratagème a été rendu légal. Jamais le Parlement canadien n’a voté sur cette question de l’utilisation des paradis fiscaux par les grandes entreprises. 

C. I. : C’est pour cela que vous avez souhaité en faire une question politique ?

G. S. : Absolument. Je voulais porter publiquement le débat suivant : Ce dispositif est certes légal, mais immoral. Mettons le sujet sur la table ! Et à mon grand désarroi, les deux grands partis qui exercent le pouvoir ont voté contre. Pourtant, les élus de tous les partis – incluant celui du Premier ministre – avaient donné leur aval à la motion que je présentais au sein de l’Assemblée nationale du Québec. Mon texte portait donc la voix du Québec tout entier, via son Assemblée nationale. Cela n’a visiblement pas été suffisant pour ébranler le gouvernement à Ottawa.

C. I. : Comment avez-vous réagi au rejet de votre motion ?

G. S. : Bien sûr, j’étais extrêmement déçu. Mais pas vraiment surpris. Cela fait deux ans que je siège à la Chambre des Communes. Je vois le lobby hyper puissant des cinq grandes banques canadiennes qui exercent à Toronto dans le quartier financier de Bay Street. Le ministre des Finances de Justin Trudeau, Bill Morneau, lui-même grand actionnaire de la firme « Morneau Sheppell » recourt aux paradis fiscaux, fait des montages et conseille certains territoires pour « adapter » les paradis fiscaux. Son entreprise a par exemple conseillé les Bahamas afin d’accueillir plus facilement les compagnies d’assurances canadiennes, détenues entre autres par l’empire Power Corporation de l’homme d’affaires Paul Desmarais, qui était lui-même très proche du parti 
libéral.

Le ministre des Finances est en fait très proche du lobby des banques, qui sont au Canada les plus grandes utilisatrices des paradis fiscaux. Ce n’est pas anodin qu’il ait été nommé à ce poste-là. Étant donné la force de ce lobby, les cinq grandes banques de Bay Street donnent leur imprimatur à tous les projets.

Si l’exploitation du pétrole dans les sables bitumineux de l’Ouest canadien est autorisée, c’est parce que les grandes banques financent ces projets.

Le 5 novembre, le député bloquiste Gabriel Ste-Marie a donné une entrevue à la Cellule Investigation de la chaîne France-Inter. Voici la transcription de cette entrevue. 

Si l’avionneur Bombardier – qui vient d’être repris par Airbus – n’avait pas le soutien d’Ottawa, c’est parce que les grandes banques s’y opposaient, elles n’avaient pas d’intérêt financier suffisant. Et ça, c’est un problème. Le gouvernement devrait être au service de toute la population, et non d’un lobby particulier. 

C. I. : Tout cela ne s’oppose-t-il pas à l’image publique affichée par Justin Trudeau et ses engagements de campagne ? 

G. S. : Le gouvernement de Justin Trudeau est au pouvoir depuis deux ans. Les chroniqueurs disent aujourd’hui qu’il s’agit d’un gouvernement maître de la communication. Mais au niveau de la politique économique, il n’y a pas de grande différence avec le précédent gouvernement conservateur.

C’est un as de la communication, mais dans les faits, cela reste un « vieux » gouvernement, plus tourné vers la finance que vers la population. C’est une machine au service de la « grande finance » de Toronto. Ni plus, ni moins. Le lobby financier est en fait aux commandes à Ottawa, pour tout ce qui concerne les questions économiques. Cela ne date pas d’hier.

Le Premier ministre Jean Chrétien avait un ministre des Finances, Paul Martin, qui possédait une compagnie maritime enregistrée à La Barbade pour éviter de payer l’impôt, Paul Martin devenu, par la suite, lui aussi, Premier ministre. C’est l’histoire du Canada : Le pouvoir a « l’oreille » du milieu financier. Le développement économique du Canada est aligné sur les intérêts du lobby financier de Toronto. 

C. I : Avez-vous déjà essayé d’interpeller Justin Trudeau à ce sujet ? 

G. S. : Bien sûr. Lui ou ses ministres répondent qu’ils font beaucoup pour lutter contre les paradis fiscaux, en donnant plus de moyens au fisc canadien pour débusquer les fraudeurs. Cela dit, le Canada est encore nettement à la remorque de ce que font les États-Unis, à ce sujet. Notre législation est encore trop complaisante. Mais le plus grave problème, c’est l’utilisation légale par les multinationales et les grandes banques, de ces paradis fiscaux. Et là-dessus, rien n’est fait. Si on veut vraiment lutter contre l’injustice que représentent les paradis fiscaux, il faut que toute la société se mobilise.