Les écoles privées sont à l’ordre du jour électoral

Stéphane Vigneault, coordonnateur du Mouvement L’école ensemble

2018/02/23

En septembre 2016, le Conseil supérieur de l’éducation tirait sur la sonnette d’alarme en déclarant que « notre système scolaire, de plus en plus ségrégé, court le risque d’atteindre un point de bascule et de reculer sur l’équité ».  À l’époque, seules quelques personnalités ont souligné l’importance cruciale de ce constat. Cependant, des résidents de Gatineau ont pris le dossier au sérieux en mettant sur pied le Mouvement L’école ensemble.

Le Mouvement mène actuellement campagne, selon le coordonnateur de l’organisme Stéphane Vigneault, pour que les partis politiques incluent dans leur plate-forme leurs trois revendications : 
1. Mettre fin à tout financement public direct ou indirect de l’école privée. 2. Mettre fin à la sélection des élèves, au primaire comme au secondaire. 3. Au sein d’une classe commune, consolider l’aide aux élèves en difficulté et développer une offre d’apprentissage enrichie pour les élèves les plus performants.

Stéphane Vigneault reconnaît que « la question des subventions publiques à l’école privée est un des grands tabous du Québec », mais ajoute que les élites québécoises ne sont pas au diapason de la population. Il en donne pour preuve les résultats du sondage commandé à la firme CROP et financé à même les dons de citoyens appuyant leur mouvement.

« Les résultats sont clairs : Les trois-quarts (73 %) des Québécois ne veulent plus payer pour l’école privée et veulent que leurs taxes et impôts servent à l’école publique. Les deux tiers des Québécois rejettent aussi l’écrémage dans le réseau public. La politique officieuse de ségrégation scolaire en vigueur au Québec depuis 50 ans a fait son temps. Il y a un alignement exceptionnel entre ce qui est bon pour le Québec et ce qui serait payant électoralement », d’ajouter Stéphane Vigneault.

Le Mouvement a compris qu’il lui fallait défaire l’argumentaire des partisans des subventions à l’école privée, dont l’argument massue de nature économique est que le transfert des élèves du privé au public alourdirait le fardeau fiscal du gouvernement. « Dans un premier temps, raconte Stéphane, il faut s’entendre sur les chiffres. Contraire-ment au chiffre de 60 % généralement véhiculé, nous croyons que le privé est plutôt financé à hauteur de 74,8 % au secondaire, 63,9 % au primaire et 63,6 % au préscolaire. » 

Comment expliquer cet écart ? « Il faut comparer des pommes avec des pommes. Les écoles privées sont situées dans les villes et les banlieues. Il faut les comparer avec les écoles publiques des mêmes milieux et non avec le coût moyen d’un élève partout au Québec, qui comprend des classes moins remplies et des primes d’éloignement pour les profs. Le rapport Champoux-Lesage, du groupe d’experts présidé par l’ancienne Protectrice du citoyen Pauline Champoux-Lesage qui a remis son rapport en 2014, a fait tous ces calculs et en arrive donc à 75 % de financement direct pour les élèves du privé subventionné », précise-t-il. 

« Il faut aussi, selon lui, tenir compte du financement indirect, c’est-à-dire des crédits d’impôt versés aux donateurs des fondations des écoles privées. Valérie Vierstraete de l’Université de Sherbrooke a compilé les chiffres ; cela fait passer le taux de financement par les contribuables à 79 % au secondaire. » 

Le Mouvement émet l’hypothèse que l’abolition des subventions verrait le pourcentage d’élèves fréquentant l’école privée chuter de son taux actuel de 20 % à 5 %, ce qui est la situation actuelle en Ontario où il n’y a pas de subventions publiques à l’école privée. Le Ministère n’ayant plus à subventionner ces enfants et finançant déjà 79 % des 15 % d’élèves qui seraient transférés au public, il en résulterait une économie de 14 millions $ par année. 

Reste l’autre question : Qu’advien-dra-t-il des établissements privés ? « Bien sûr, leur modèle d’affaires va s’écrouler. Ils devront réaliser une étude de marché pour voir si leur territoire contient un nombre suffisant de personnes capables et intéressées à payer des frais de scolarité élevés, avance Stéphane Vigneault. Dans le cas contraire, la plupart de ces anciennes écoles privées pourront être acquises par le ministère de l’Éducation et intégrées au réseau public. Ces établissements, acquis des communautés religieuses, sont des organismes à but non lucratif (OBNL) qui ont un rôle de fiduciaire de la mission d’enseignement. Ils ne peuvent pas être transformés en condos. » 

Pour que l’afflux d’élèves performants transforme de fond en comble le réseau public, il faudra également mettre fin aux projets particuliers sélectifs, qui regroupent 20 % de la clientèle scolaire. « Le réseau public ne sera plus alors perçu par la population comme un réseau perdant, prédit Stéphane. Les meilleurs élèves tireront l’ensemble de la classe vers le haut. Et, concernant les profs, les cas d’épuisements professionnels et d’abandons de la profession seront en baisse. » 

Quel sort sera réservé aux projets particuliers, si populaires auprès de nombreux parents ? Plusieurs, dans le réseau de l’éducation, croient qu’ils pourront être maintenus, mais sans être sélectifs. Le Mouvement L’école ensemble propose également une offre d’apprentissage enrichie pour les élèves les plus performants. Plutôt qu’un nivellement vers le bas, ce sera la fin de la ségrégation scolaire, la réduction du décrochage scolaire et de l’épuisement professionnel des profs, et une école plus performante pour l’ensemble des élèves.

Reste à convaincre les partis politiques d’inscrire ces revendications dans leur plateforme électorale. C’est l’objectif que s’est donné le Mouvement L’école ensemble. Seul Québec Solidaire a jusqu’ici répondu positivement à l’appel.