L’éprouvant combat des pompiers contre le cancer

Chris Ross, vice-président de l’Association des Pompiers de Montréal

2018/04/20

L’Association des Pompiers de Montréal (APM), avec ses 2 400 membres, a récemment adhéré à l’Asso-ciation internationale des pompiers - International Association of Fire Fighters (AFLC-CIO-CTC), qui regroupe 300 000 membres en Amérique du Nord, dont 22 000 membres au Canada. C’était en quelque sorte des retrouvailles parce que l’APM s’était jointe à l’IAFF en 1918, avant de quitter ses rangs en 1931 pour la joindre à nouveau en 1948, avant de se désaffilier encore une fois en 1974. 

Le vice-président de l’APM, Chris Ross, rencontré dans les bureaux du syndicat à Montréal, explique ce geste par la nécessité d’un partage des connaissances et des coûts de la recherche sur les maladies professionnelles – particulièrement les cancers et les problèmes cardio-vasculaires – en nette progression chez les pompiers.

Chris Ross, qui est également responsable du dossier de la santé-sécurité, m’indique concrètement l’ampleur du problème. « Sur mon bureau, j’ai deux types de dossiers. Les accidents de travail dans des chemises rouges et les cancers dans des chemises roses. Avant, je n’avais pratiquement que des chemises rouges. Aujourd’hui, comme tu peux le voir, j’ai autant, sinon plus, de dossiers roses. » 

Depuis 2002, on dénombre une centaine de cas de cancers chez les pompiers. La cause en est la présence toujours plus importante de produits synthétiques. « Regarde l’ameublement de mon bureau. Il n’y a pas de bois, pas de produits naturels. Ce sont tous des bois traités, des matériaux informatiques, des plastiques, des produits à base d’hydrocarbures. De plus, ils sont souvent ignifuges. Ça retarde la progression de l’incendie et permet aux gens d’évacuer les lieux. Mais ça finit par brûler et ça dégage des fumées nocives, souvent cancérigènes. »

« Les normes pour les mousses ignifuges et les retardateurs de flammes, m’explique le pompier, ont été établies en Californie. Elles ont été conçues en mettant le produit au contact d’une flamme nue. Mais la flamme nue, on ne la trouve que dans les incendies criminels. La grande majorité des incendies résultent d’une cigarette oubliée ou d’une défectuosité électrique. Il se dégage, de cette combustion lente, plus de substances toxiques et cancérigènes. D’ailleurs, la Californie est en train de revoir ses normes pour en tenir compte. »

La reconnaissance des cancers

Pour faire face à cette situation, le syndicat mène la lutte sur deux fronts : la reconnaissance de ces maladies professionnelles par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et la prévention dans les casernes et sur les lieux des incendies.

Avec fierté, Chris Ross me raconte que le syndicat a réussi, le 4 avril 2016, à obtenir de la CNESST une reconnaissance administrative de sept cancers d’origine professionnelle (rein, vessie, larynx, poumon, myélome multiple, lymphome non hodgkinien, mésothéliome non pulmonaire et pulmonaire).

Mais l’APM ne veut pas se contenter de cette reconnaissance administrative. L’Association veut également leur inscription dans l’Annexe I de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). « Dans le cas de la reconnaissance administrative, c’est l’employé qui a le fardeau de la preuve. Si c’est dans la loi, le fardeau de la preuve repose sur l’employeur », souligne-t-il.

La prévention

Mais le meilleur remède contre ces maladies professionnelles demeure la prévention. « Cela nécessite, reconnaît le vice-président de l’APM, un énorme changement de culture. Pour les pompiers, l’habit de combat sale était une badge d’honneur. Une fois de retour à la caserne, ils montaient directement au dortoir, sans même prendre de douche. L’habit de combat durait 10 à 15 ans. »

Aujourd’hui, le Syndicat voudrait une première décontamination de l’habit sur les lieux même de l’incendie. « Sinon, on contamine le véhicule, constate-t-il. On veut aussi des lingettes sur place pour se laver le visage et les bras avant de manger. »

De retour à la caserne, la douche est obligatoire. L’habit doit être nettoyé en utilisant un détergent. Il est envoyé à une firme professionnelle, une fois l’an, pour un nettoyage en profondeur. Chris Ross dépose sur la table un habit de pompier et me montre qu’il a trois épaisseurs.  « Auparavant, il était impossible d’extirper la membrane intérieure. Aujourd’hui, c’est possible. On peut la faire nettoyer ».

Les mesures de prévention doivent également se traduire par des modifications aux camions et aux casernes. « On doit procéder à l’achat de 25 nouvelles autopompes. Elles devront avoir, entre autres, un boyau-jardin et de l’eau chaude. Il faut prévoir à long terme. Un camion a une durée de vie de 20 à 25 ans ».

Les casernes ont une durée de vie de 100 ans. « Des douches doivent être ajoutées près du garage. Il y a des modifications en cours en ce sens à la caserne 18. L’idéal serait un corridor de transition entre l’espace contaminé et l’espace viable », ajoute Chris Ross.

Mais le responsable à la santé-sécurité sait que le travail le plus important sera de convaincre ses collègues de la nécessité de telles mesures de prévention. « Il a fallu cinq ans de combat pour faire accepter l’obligation du port de la partie faciale du casque. 

Ça va prendre une couple d’années pour faire accepter les procédés de décontamination », d’admettre celui qui connaît bien la culture d’esprit de corps des pompiers.