Il faut étendre la Loi 101 aux cégeps

Vers l’effondrement du réseau des cégeps de langue française à Montréal ?

2018/09/07

Un texte publié dans Le Devoir du 19 juin relance la question de l’anglicisation des cégeps de langue française. L’auteur, un professeur au cégep Bois-de-Boulogne, fait le portrait d’un réseau collégial de langue française, qui est en train de s’effriter alors que les programmes dits « bilingues » se multiplient. Le moteur qui pousse à l’anglicisation des institutions de langue française semblant être la baisse de clientèle que subissent ces dernières.

Pour y voir plus clair, j’ai obtenu les dernières données d’inscriptions au collégial du ministère de L’Éducation et de l’Enseignement supérieur, en date du 24 février 2018. Les données concernent les inscriptions à un programme de DEC, à temps plein et en première année du secteur préuniversitaire. J’ai aussi obtenu les demandes d’admission aux cégeps de la région de Montréal, via le Service d’admission du Montréal métropolitain (SRAM). L’ensemble des cégeps anglophones et francophones de la région de Montréal et de l’Outaouais y participe, à l’exception notable de Dawson (le plus gros cégep au Québec) et de Marianopolis College, qui gèrent eux-mêmes leurs demandes d’admission et qui doivent donc être exclus de l’analyse qui suit.

Les inscriptions au préuniversitaire dans les cégeps de langue anglaise sont quasi stables entre 2013-2014 et 2017-2018, passant de 12 894 à 12 866 étudiants (perte de 28). Cependant, pour la même période, les inscriptions sont en baisse significative pour le secteur de langue française, passant de 40 203 à 38 022 étudiants (perte de 2 181). Sur cette période, le pourcentage d’inscriptions au cégep français a baissé de 75,7 % à 74,7 %. En termes relatifs, cela correspond à une érosion de 5,4 % du nombre d’étudiants en quatre ans.

Pour la période 2013-2017, les demandes d’admission au premier tour pour les cégeps anglophones affiliés au SRAM ont crû de 3,85 % pour John Abbott, de 28,8 % pour Heritage College (en Outaouais), de 2,4 % pour Vanier College et de 0,3 % pour Champlain-Lennoxville. À noter que les demandes d’admission ne sont pas des inscriptions. Cependant, les demandes d’admission donnent une bonne idée du désir de s’inscrire dans un cégep particulier (sans que cela ne se réalise nécessairement). A contrario, sur la même période, les demandes d’admission au premier tour pour les cégeps francophones ont diminué de 11,1 % pour Maisonneuve, de 13,1 % pour Bois-de-Boulogne, et de 12,8 % pour Vieux-Montréal.

Conclusion ? La population globale des cégeps est en baisse. Cependant, seuls les cégeps de langue française en sont affectés. En quatre ans, ils ont perdu 2 181 étudiants, soit l’effectif d’un cégep de bonne taille. La chute du nombre de demandes d’admission au premier tour des « gros » cégeps de langue française de Montréal est particulièrement frappante. En seulement quatre ans, ceux-ci ont vu leurs demandes d’admission au premier tour reculer de plus de 10 %. Cependant, le nombre de demandes d’admission au premier tour dans les cégeps de langue anglaise augmente, alors que le nombre d’inscriptions est stable. Cela indique que le nombre de places dans ceux-ci est actuellement contingenté. Si le gouvernement du Québec finançait des places d’études en anglais à la hauteur du nombre de demandes d’admission, la chute des inscriptions dans les cégeps de langue française serait encore plus rapide qu’elle ne l’est actuellement.

Si la tendance se maintient, en 10 ans, le quart de la clientèle des cégeps de langue française de Montréal sera perdu ; en 20 ans, la moitié. Il existe deux façons d’inverser cette tendance dans les inscriptions : 1) rendre les cégeps « français » le plus anglophone possible de façon à augmenter leur « attrait » ou 2) étendre les clauses scolaires de la Loi 101 au niveau collégial.
La première « solution » signifie à terme l’effondrement du système d’éducation postsecondaire de langue française au Québec. Car, enfin, si on parvient à hausser les inscriptions dans les cégeps « francophones » en les anglicisant, on vient tout de même de changer la nature de ces dernières !

La deuxième solution est la seule qui puisse assurer la pérennité du réseau postsecondaire français au Québec. Précisons qu’il faudrait non seulement étendre les clauses scolaires de la Loi 101 au cégep, mais il faudrait aussi du même coup que les cégeps francophones soient tenus d’enseigner…. en français. Il faut pour cela appliquer au niveau collégial l’article de la loi sur l’instruction publique, qui spécifie que la langue d’enseignement au primaire et au secondaire dans les écoles françaises est bien le français. 

Cependant, cette deuxième solution n’est pas celle qui est actuellement privilégiée par notre élite politique, qui a clairement choisi la démission comme politique linguistique. Ce choix de la démission collective ne garantit cependant aucunement le maintien du « statu quo », comme l’imaginent certains, mais est plutôt en train de sceller le sort des cégeps de langue française à Montréal.