Jean-Claude Germain à l’honneur

Hommage à une vie vouée à la connaissance de notre histoire

2018/11/03

Discours de présentation dans le hall de l’Hôtel de Ville de Montréal (19 septembre 2018)

Madame la mairesse, mesdames et messieurs les  invité/es d’honneur, membres de la Société historique de Montréal, c’est pour moi un grand honneur de présenter aujourd’hui à Jean-Claude Germain la médaille que lui remet la Société historique de Montréal, société  qui a atteint le double de son âge, puisqu’elle fête cette année son 160e anniversaire. 

Présenter Jean-Claude Germain ? Mais tout le monde le connait. Ou plutôt pense le connaître, car il a fait tant de choses dans sa vie que je me demande s’il réussit à s’en souvenir lui-même ! Et pourtant à voir tous les personnages de notre histoire qu’il a ressuscités, toutes  les anecdotes qu’il a rapportées, toutes les aventures, historiquement fondées, qu’il a imaginées, on a peine à ne pas croire qu’il soit doté d’une mémoire exceptionnelle. La mémoire de Montréal, la mémoire du Québec, la mémoire … de Jean-Claude Germain. Essayons quand même, en quelques minutes, de brosser l’essentiel, surtout en ce qui concerne l’histoire.

Car Jean-Claude Germain, c’est d’abord et avant tout un homme de théâtre. Quand on passe devant le Centre du Théâtre d’aujourd’hui, ce beau théâtre de la rue Saint-Denis, on peut dire : voilà son oeuvre. En effet, il en a été le directeur de 1972 à 1982. Ce théâtre fête d’ailleurs cette année ses 50 ans (1968-2018), et chaque année, pendant les treize premières années, Jean-Claude a écrit une pièce et l’a mise en scène. La plupart de ces pièces ont été publiées d’abord chez Leméac, ensuite chez VLB, maison qu’il a contribué à fonder en 1976. Parlant théâtre, Jean-Claude a aussi été professeur à l’École nationale de théâtre. Un de ceux qui a mis le joual à l’honneur dans notre théâtre, on n’hésite pas à parler de lui comme d’un «  des pères fondateurs du théâtre québécois ». 

Mais arrivons vite à l’histoire, qui nous rassemble aujourd’hui. Sait-on qu’après des études au Collège Sainte-Marie où j’aurais pu le croiser si j’y étais arrivé plus tôt, il s’est inscrit à des études d’histoire à l’université de Montréal ? Le goût de la recherche l’a piqué  et ne l’a jamais quitté depuis. Ajoutant à cette passion la truculence du verbe et la volonté d’instruire en s’amusant, il saura captiver ses auditoires sans jamais les ennuyer. Après le théâtre, on le retrouve à la radio et à la télévision. Sautons plusieurs séries des années 1980 pour arriver au 350e anniversaire de Montréal, qu’il souligne par 350 épisodes de chroniques historiques sur chacune des 350 années de cette histoire. Ces chroniques sont livrées chaque  matin, à l’émission CBF Bonjour, du 3 septembre 1991 au 31 décembre 1992. 

Il les présentera ensuite au théâtre dans une version de quatre « bals-à-gueule » et les publiera dans une série de trois ouvrages intitulés Le Feuilleton de Montréal, qui font une somme de 1 280 pages.  N’en citons qu’un mot de Charles Le Moyne, cité à la dernière page, et qui résume bien l’esprit de notre médaillé : « Le repli appauvrit, l’ouverture enrichit ».

Nous voici en 1993 : le mariage de Jean-Claude avec l’histoire ne s’arrêtera plus. Mille tâches l’accaparent pourtant. De 1990 à 1998, le voici président d’honneur du Salon du livre de Montréal ; de 1992 à 2001, membre de la Commission de toponymie de Montréal. Il s’implique partout : à la radio communautaire de CIBL, à l’aut’journal. L’histoire demeure cependant son premier cheval de bataille. Il la diffuse partout et au meilleur de sa connaissance. Il tient une chronique au Journal de Montréal. On le retrouve à la radio, dans plusieurs séries à Radio-Canada, à la télévision, avec, par exemple, une chronique d’histoire sociale à Télé-Québec, peut-être et surtout dans une série de conférences qu’il donne à travers toute la province sur l’histoire du Québec et de sa culture.

Et il participe à je ne sais combien de documentaires, où la vivacité de sa langue et la couleur de ses propos captivent à coup sûr l’auditoire. Dans les termes du journaliste Jean-François Nadeau, Jean-Claude Germain est notre « grand agitateur de l’histoire ».

Pensez-vous qu’il a délaissé la plume ? Que non ! Voici une nouvelle série de trois volumes sur l’histoire du Québec : Nous étions le nouveau monde, publiés chez Hurtubise en 2009, 2012 et 2017, sous forme de feuilleton, là aussi. Le dernier, tout récent (2017), s’intitule d’ailleurs, par un de ces jeux de mots dont  il a le secret : Le feuilleton du ciel rouge et de l’enfer bleu.
 
Entre ces deux séries de feuilletons, il s’est laissé aller à une autobiographie, sous forme d’historiettes, dont quatre volumes sont parus à ce jour. Du premier, Rue Fabre, centre de l’univers, je me permets de lire avec vous cette présentation de la quatrième de couverture, qui le  décrit si bien : « Écrivain, dramaturge, metteur en scène, directeur artistique, acteur, conférencier, journaliste, chroniqueur, raconteur, historien, amoureux des livres et fin goûteur de souvenirs, Jean-Claude Germain aime redonner vie à l’histoire, la grande comme la petite ». Je ne saurais mieux dire. 

Je m’arrête là, car il y aurait trop à dire. La reconnaissance suit-elle une vie si dévouée à l’histoire ? Sans doute  pas autant qu’on pourrait le penser, car Jean-Claude Germain n’entre pas dans la catégorie des auteurs canoniques. Il est par trop irrévérencieux. Et est-il rien de plus pointilleux que la vénérable Société historique de Montréal ? 

L’hommage est d’autant plus remarquable qu’il vient  d’une société qu’on aurait cru baignant dans l’orthodoxie traditionnelle. Mais il faut reconnaître le mérite là où il se trouve et, avec Jean-Claude Germain, on est avec quelqu’un qui est près du peuple, mais tout aussi au courant des documents, lus avec passion et transmis sans fard, avec vigueur, et parfois aussi avec humour, ironie 
truculence et même à l’occasion, 
irrévérence. 

Nous ne vous en tirons pas moins, cher Jean-Claude, notre plus profonde révérence, en vous remettant, au nom de la Société historique de Montréal, qui veut se faire ici l’interprète de la société québécoise toute entière, sa médaille qui rend hommage à une vie vouée à une meilleure  connaissance de notre histoire, que ce soit par le théâtre, la plume ou le verbe. Bravo, lâchez pas : L’Histoire a encore besoin de vous !

Allocution de remerciement
L’envers et l’endroit de la médaille

En m’invitant à joindre l’aréopage de l’histoire de l’Histoire du Québec, je ne peux que remercier la Société historique de Montréal de l’honneur qu’elle me fait. La longue liste de mes prédécesseurs en dit autant de leurs regards sur l’histoire de leur époque que sur l’Histoire québécoise proprement dite. Et je m’ajoute à la liste au même titre. 

L’histoire d’un pays n’est pas univoque, les faits sont polymorphes et c’est la tâche de chaque génération de refaçonner le récit non pas du passé mais d’un passé où le présent était déjà en gestation. Ainsi les missionnaires ont connu leur heure de gloire, puis les Patriotes et Louis-Joseph Papineau sont arrivés à point nommé et maintenant, il semble que les réformistes de l’Union refont surface. 

J’ai été étudiant libre en Histoire à l’Université de Montréal à la fin des années cinquante et c’est un privilège de prendre une place aux côtés de deux de  mes professeurs : Guy Frégault et Michel Brunet. Il est difficile d’imaginer deux historiens plus dissemblables. Frégault était une sorte d’entomologue rigoureux qui tenait à bien identifier et épingler sur un tableau comme des papillons les diverses sciences historiques. 

Brunet était tout le contraire, il professait un pragmatisme à l’américaine : Il aimait déboulonner les grands hommes, en leur rappelant que c’étaient les événements qui les avaient fait et non le contraire.  Pour lui, le grand marqueur de l’Histoire n’était pas celui des idées, mais un  rapport de force favorisant le nombre, le nombre et le nombre. Une réplique qu’on retrouve dans Le Déclin de l’Empire américain de Denys Arcand, un de ses anciens élèves, qui l’a sûrement entendue aussi souvent que moi.

L’historien qui m’a le plus inspiré de ce qu’on appelle maintenant l’École de Montréal a été  Maurice Séguin, et j’aimerais l’associer à la médaille que la Société historique de Montréal me remet puisque j’ai remarqué qu’il ne faisait pas partie de l’aréopage. Maurice Séguin nous a rappelé que le mot « colon » porté comme une badge d’honneur depuis la Nouvelle-France, en passant par le Saguenay, l’arrière pays gaspésien, les Cantons de l’est, les Laurentides, et l’Abitibi, bref, que ce mot noble avait aussi une autre déclinaison historique que celle d’un colonisateur : celle d’un colonisé. 

Face à sa lumineuse démonstration de la mise en action perpétuelle du plan, concerté par Durham, d’une assimilation par la culture politique et le poids éventuel du nombre, la Bonne Entente apparaissait alors comme un leurre et l’Autonomisme provincial comme un pis-aller. Seule l’indépendance pouvait permettre au Québec de se réaliser dans toutes ses grosseurs, pour emprunter les mots de Jacques Ferron. 

Guy Frégault  a écrit quelque part qu’« on est toujours le continuateur de quelqu’un ». Ou d’une famille de pensée. J’ai rencontré la mienne avant de la connaître. Lorsque j’ai fait mes études au Collège Sainte-Marie, coin Bleury et Dorchester, nous passions beaucoup de temps hors les murs, d’abord pour se sustenter dans les restos des alentours et ensuite pour tuer le temps en flânant dans les librairies avoisinantes et les magasins de disques où à l’époque on pouvait les écouter.
 
Les mardis et les jeudis après-midi de congé, surtout l’hiver, il fallait se trouver un asile provisoire. J’avais déniché une vieille bibliothèque, le Fraser Institute, rue University, coin Dorchester, qui semblait dater du temps de Dickens, tant au niveau du personnel que du décor. 
 
Il y avait des livres français, surtout anciens qui affichaient un ex libris différent, celui de l’Institut canadien de Montréal. Je l’ignorais à l’époque, mais c’était la fameuse bibliothèque mise à l’Index par Mgr Bourget avant la fermeture de l’Institut. 

Si je suis le continuateur de quelqu’un, c’est des rouges qui ont été les continuateurs de Papineau. Joseph Doutre, Jean-Baptiste Éric Dorion, Louis-Antoine Dessaules, Arthur Buies : tous grands défenseurs de la liberté de pensée et de parole.

Avec l’Institut Canadien de Montréal, ils ont créé une bibliothèque ouverte à tout le monde et à tous les auteurs sans restriction morale et accueilli tous les journaux d’ici et d’ailleurs sans restrictions politiques, en plus d’instituer la tradition des débats contradictoires et d’inaugurer un embryon d’université populaire pour la classe ouvrière avec des conférences régulières, sans cesser de défendre l’héritage républicain de Papineau.

J’aimerais discuter avec eux de sujets qui leur tenaient à cœur lors des élections 1857-58 par exemple ; l’éducation pour tous ; un financement adéquat pour l’éducation de tous ; la rémunération indécente des instituteurs et encore plus des institutrices ; la nécessité d’un enseignement non confessionnel et d’un système d’éducation gratuit. Mais, je me sentirais mal à l’aise de leur révéler que plusieurs de ces problèmes-là sont toujours en attente d’un règlement. Qui sait si une fois retirés des affaires courantes, ils n’ont pas conservé l’espoir que ça change… pourquoi le leur enlever ? 

Une fois installés dans l’éternité, ils ont confié leur participation à notre histoire aux historiens qui, bon an mal an, au fil changeant des temps, ont rempli leur mandat de la mettre à jour. Encore faudrait-il que le gouvernement de notre presque pays se charge maintenant de faire plus que de presque l’enseigner.

Jean-Claude Germain