Transport ferroviaire néolibéral, ça existe !

Plus long et plus vite qu’un train normal

2019/03/22

Si la tragédie ferroviaire de Mégantic n’était pas suffisante pour que Marc Garneau accepte enfin d’obliger les compagnies de chemin de fer à serrer les freins à main lorsqu’un train s’arrête sur une pente, celle qui a coûté la vie à trois Britanno-Colombiens, le 4 février dernier, a finalement fait bouger le ministre canadien des Transports. 

Cependant, l’arrêté ministériel, pourtant nécessaire, n’est pas passé comme une lettre à la poste. Il n’aura fallu que quelques jours pour que le Canadien Pacifique (CP), le Canadien National (CN) et l’Association des chemins de fer du Canada (ACFC) demandent à un tribunal d’annuler la décision du gouvernement fédéral les obligeant à appliquer ces mesures de sécurité. Peu importe le nombre de morts, ces compagnies refusent les pratiques plus sécuritaires. À vrai dire, il n’y a rien là de surprenant. Depuis des années, elles décident elles-mêmes des règles qu’elles doivent suivre et elles sont chargées de s’auto-inspecter, et ce avec la bénédiction d’Ottawa.  

Le 10 octobre 2008, le conservateur John Baird remplaçait Lawrence Cannon à titre de ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités. C’est durant son mandat qu’il confirme l’autorité suprême des sociétés privées en matière de réglementation de la sécurité ferroviaire au Canada. C’est là que réside la source du problème puisque les compagnies sont en quête du profit maximum pour remplir les poches de leurs actionnaires.
Pour faire de l’argent, il faut « optimiser » le transport. Des compagnies, comme la Montreal, Maine and Atlantic Railway (MMA) qui était en cause dans le drame de Mégantic, optent pour le train-bloc. Des trains plus longs qui peuvent rouler jusqu’à 28 % plus vite qu’un train normal. 

Même si les convois peuvent mesurer jusqu’à deux kilomètres de long et qu’ils transportent du pétrole ou d’autres matières dangereuses, la MMA avait obtenu l’autorisation de Transports Canada de n’assigner qu’un seul opérateur à ses trains. Le laxisme du fédéral dans la réglementation du transport ferroviaire, conjugué à l’appât du gain de la MMA, a permis à la compagnie de mettre en place ce fameux one man crew. Une façon de faire dangereuse qui sera d’ailleurs pointée du doigt par le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST), dont le rapport comporte des blâmes sévères envers Transports Canada et la MMA pour l’accident de Lac-Mégantic. 

«  La MMA ne gérait pas efficacement les risques ni dans ses activités courantes, ni quand elle a réduit le nombre des membres d’équipe de deux à un, ni quand elle s’est mise à transporter de plus en plus de pétrole brut. C’était une compagnie où la culture de sécurité était faible, où les employés faisaient le strict nécessaire pour accomplir leur travail plutôt que de toujours suivre les règles, une compagnie où on tolérait des conditions dangereuses et des pratiques dangereuses », a affirmé l’administrateur en chef des opérations au BST, Jean Laporte, lors du dévoilement du rapport.
Sans la tragédie de Mégantic, aurions-nous pu faire la lumière sur les pratiques d’opération douteuses de la Montreal, Maine and Atlantic Railway ? Certainement pas. Il aurait sans doute fallu attendre un autre drame. Si la scène apocalyptique de Mégantic a marqué notre imaginaire collectif, la mort des travailleurs de l’industrie ferroviaire devrait aussi nous donner la chair de poule.

Dans son billet « Les effets de la déréglementation sur la tragédie de Lac-Mégantic », Bertrand Schepper de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) explique malheureusement trop bien où nous en sommes relativement à la sécurité ferroviaire.

 « Avec la transformation du marché du transport canadien liée au boom pétrolier albertain, la dérèglementation semble être un non-sens. Pourtant, ces décisions s’inscrivent dans une logique de gestion bien précise nommée le néolibéralisme et dans le cadre duquel les États sont appelés à gérer l’impôt des populations dans l’intérêt de l’entreprise privée. Ce type de politiques mène à privatiser les profits pour les entreprises tout en socialisant les coûts. Malheureusement, lorsque l’on parle de sécurité publique les coûts sont parfois extrêmement lourds, comme en témoigne le déraillement du 6 juillet 2013 », écrit-il.

Inutile de dire que j’aimerais bien entendre l’ex-ministre John Baird, qui fut par la suite nommé au conseil d’administration du Canadien Pacifique, où il siège toujours aujourd’hui, à ce sujet. 

Je rappelle que le gouvernement fédéral a déjà tenu des commissions d’enquête pour les déraillements de Mississauga en Ontario (Commis-sion Grange, 1980) et de Hinton en Alberta,  qui ont tué 23 personnes et blessés 95 autres (Commission Foisy, 1986) et il est grand temps qu’il en tienne une sur la tragédie de Lac-Mégantic. Cette commission d’enquête pourrait sans doute mettre en lumière tout ce qui cloche dans le système actuel. Elle pourrait permettre de sauver des vies en protégeant mieux les travailleurs de l’industrie ferroviaire et, par conséquent, protéger toute la population. Nous pourrions nous assurer de ne jamais revoir un drame comme celui qui a secoué le Québec le 6 juillet 2013.