Les Chartes et une certaine gauche

La contestation judiciaire de la Loi sur la laïcité braque les projecteurs sur une certaine gauche entichée des chartes des droits. Dans son livre Dans quel camp êtes-vous?, Pierre Dubuc critique les positions défendues par des partisans de Québec Solidaire.

« Si nous leur posions la question, je suis convaincu que Francis Boucher et ses amis n’hésiteraient pas une seconde à proclamer leur opposition au néolibéralisme. Mais celui-ci ne se résume pas à l’augmentation des inégalités dans la société.

À ce propos, faisons remarquer aux adeptes de la Charte canadienne et des autres chartes des droits à travers le monde qu’elles n’ont pas empêché une extraordinaire concentration de la richesse aux mains d’une minorité de bien nantis et de grandes corporations. Il ne pouvait en être autrement. Au coeur de ces chartes se trouve la défense de la propriété privée au détriment des droits sociaux et collectifs.

La Charte canadienne ne reconnaît pas le droit à l’autodétermination des peuples québécois et autochtone et a charcuté les droits linguistiques du Québec. Le système judiciaire n’est pas détaché de la structure économique et politique d’un pays.

L’attachement indéfectible d’une certaine gauche envers les chartes des droits est allé de pair avec l’abandon de la critique des fondements capitalistes de la société.

Le néolibéralisme est indissociable de l’idéologie des droits de l’homme et du multiculturalisme. Les deux affirment comme valeur suprême l’individualisme et distillent leur propre discours identitaire (homosexuels, femmes, minorités raciales, etc.) pour miner l’identité de classe – le socle d’une véritable solidarité internationale – et l’identité nationale.

Or, le cadre national est le cadre naturel de la démocratie. Le succès populaire de l’extrême droite, tant européenne qu’américaine, est fondé sur la réhabilitation de la classe ouvrière et de la nation, bien que de façon tout à fait démagogique, en grande partie parce que la gauche lui a abandonné le terrain au profit de la petite bourgeoisie des villes (les « bobos ») et des immigrants (les « exclus »).


La « tyrannie de la majorité »

L’expression « la tyrannie de la majorité » est associée à Alexis de Tocqueville et à son livre De la démocratie en Amérique. Faut-il rappeler que le Bill of Rights, l’ancêtre des chartes des droits de l’homme, a vu le jour dans un pays où le cinquième de la population était réduit en esclavage. Dans l’esprit des Pères de la Constitution américaine, le Bill of Rights n’avait pas pour but une plus grande démocratisation, mais la défense des intérêts de la classe dominante contre les tendances « nivelatrices » de la démocratie, en somme contre la « tyrannie de la majorité ».

Aux États-Unis, la menace aux intérêts des riches venait des petits fermiers endettés, mais dont les maigres ressources donnaient tout de même le droit de vote et la possibilité de contrôler les assemblées locales. Pour protéger les droits de propriété des banques et des autres grandes institutions capitalistes, la classe dirigeante américaine a rapidement vu la nécessité d’un appareil judiciaire dont les membres seraient nommés à vie et qui posséderait le pouvoir de renverser toute loi qui les menacerait.

Dans les pays anglo-saxons, le rempart contre la « tyrannie de la majorité » s’exerçait par le cens électoral et des institutions non électives comme la Chambre haute (Sénat, Conseil législatif) et les institutions monarchiques (Gouverneur-général, Lieutenant-gouverneur).

Au Canada, le BNA Act de 1867 octroyait également au gouvernement central un droit de désaveu des lois provinciales. Cependant, avec l’élargissement du suffrage universel, le Canada et les autres pays anglo-saxons ont progressivement remplacé ces institutions ouvertement antidémocratiques par des chartes des droits, sur le modèle du Bill of Rights américain, et le recours aux tribunaux. »

(Extrait de Dans quel camp êtes-vous?, de Pierre Dubuc.

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