La longue guerre de Washington contre la Syrie

2017/05/04 | Par Stephen Gowans

Stephen Gowans, auteur de Washington’s Long War on Syrie (Baraka Books, 2010).
Le texte qui suit présente les grandes lignes de la conférence prononcée par Stephen Gowans le 2 mai dernier au Centre Saint-Pierre, à Montréal. Traduction de Robin Philpot.

 

Ce livre examine la longue guerre que Washington livre à la Syrie et les raisons qui expliquent l’hostilité à l’égard des différents gouvernements syriens, et pas seulement celui de Bachar al-Assad. Mais aussi celui de son père et des gouvernements précédents dans lesquels des nationalistes arabes et des communistes ont joué un rôle important.

Quand je dis que les États-Unis ont livré une longue guerre, je précise qu’elle n’a pas commencé en 2011 lors des bouleversements dans les pays arabes et au moment où le président Obama a demandé au président syrien de quitter le pouvoir.

Je ne parle pas d’une guerre qui a commencé en 2003, lorsque les États-Unis ont envahi le voisin de la Syrie, l’Irak, dans le but d’éliminer l’un des seuls gouvernements du monde arabe qui n’était pas pro-Américain.

Et ce n’est pas la guerre qui a commencé en 2001 lorsque l’administration Bush a développé l’idée de se servir du 11 septembre 2001 comme prétexte pour changer le portrait du monde arabo-musulman.

 

Chronologie de la guerre contre la Syrie

Au milieu des années 1950, Washington complote avec Londres pour purger l’influence nationaliste arabe de la Syrie. Leur cible : le triumvirat de nationalistes et de communistes arabes que Washington et Londres perçoivent comme une menace pour les intérêts économiques occidentaux au Moyen-Orient.

Kermit Roosevelt, de la célèbre famille Roosevelt, est chef comploteur. C’est lui qui a dirigé aussi le coup d’État qui a chassé du pouvoir le premier ministre de l’Iran, Mohammed Mossadegh, parce que Mossadegh avait commis le gravissime crime contre la domination occidentale : il a nationalisé l’industrie pétrolière iranienne.

Roosevelt et les services britanniques du MI6 recrutent l’aide des Frères musulmans pour renverser les trois hommes de Damas qu’ils voient comme une menace aux intérêts économiques occidentaux.

Dans les années 1960, les Frères musulman organisent des grèves, des manifestations et des émeutes en Syrie sous le slogan : « Islam ou Ba’as » - autrement dit, Islam ou laïcité, s’opposant à ce que les Frères musulmans appelaient le régime « hérétique ». En 1967, les Frères musulmans déclarent la guerre sainte aux nationalistes laïques, les dénonçant comme des infidèles et des ennemis de Dieu.

Dans les années 1970, les Frères musulmans établissent une organisation paramilitaire clandestine, sorte de précurseur des soi-disant rebelles d’aujourd’hui. Les « rebelles » des années 1970 reçoivent leur entraînement militaire et les armes de l’extérieur de la Syrie, tout comme ceux d’aujourd’hui qui sont formés en Jordanie et au Qatar avec les fonds provenant des États-Unis, de l’Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie. Les Frères musulmans lancent alors une campagne de guérilla urbaine d’envergure, en assassinant des Socialistes arabes du Ba’as, en tuant des fonctionnaires du gouvernement, en tuant des officiers de l’armée et en attaquant des bureaux gouvernements syriens et des installations militaires.

En 1973, Hafez al-Assad, père de l’actuel président, préside à l’élaboration d’une Constitution pour la Syrie qui proclame la mission de l’État syrien : favoriser l’unité du monde arabe et surmonter les différences religieuses et autres afin de réaliser la libération du monde arabe de la domination étrangère, de moderniser l’économie et de la remettre entre les mains du peuple syrien.

On y arriverait par la planification et la propriété publique – ce que Washington et d’autres appelleraient le socialisme.

En effet, à Washington, on traite Assad père de communiste arabe. Il ne l’était pas; en réalité, il se méfiait des communistes.

Mais, aux yeux de Washington, il aurait pu être un communiste, parce que ses politiques avaient le même impact pour le « corporate America » que celles qu’auraient adoptées d’authentiques communistes.

 

1980 : la Syrie est « l’épicentre du terrorisme islamique »

Dans les années 1980, Robert Baer, un officier de la CIA, qui a passé des décennies au Moyen-Orient, observe que la Syrie est « l’épicentre du terrorisme islamique. » Baer écrit : « La première fois que j’ai mis les pieds à Damas en 1980, j’ai estimé que Assad avait 3 ou 4 ans devant lui avant d’être renversé. Les Frères musulmans contrôlaient la rue. Les écoles coraniques enseignaient le Djihad… le système de  haut parleurs des mosquées diffusaient très fort des messages de haine et de revanche… je me suis dit : on va le pendre haut et court au centre-ville de Damas, comme bien d’autres Syriens ».

Dans les années 1980, les Frères musulmans créent un Front islamique syrien dont le manifeste déclare la guerre permanente jusqu’à l’extermination du Socialisme arabe Ba’as, soit la laïcité.

En 1982, les Frères musulmans prennent le contrôle de Hama, la 4e ville de Syrie. Ils se déchaînent dans des attaques sanglantes, prenant d’assaut des postes de police et tuant des soldats. Tous les dirigeants Ba’asistes de la ville sont exécutés, dont plusieurs par décapitation.

Dans l’opération visant à réprimer la révolte, l’armée syrienne arabe saisit plus de 15 000 mitrailleuses provenant de l’étranger et capture des prisonniers, dont des forces paramilitaires formées par la Jordanie et la CIA. De même, les « rebelles » en Syrie aujourd’hui sont formés par la CIA et par d’autres services occidentaux en Jordanie et au Qatar.

Dans les années 1990, les Frères musulmans établissent une alliance avec d’autres islamistes sunnites sectaires pour former ce qui devient le Front national du salut de la Syrie. On aurait pu l’appeler le Front national du salut de la Syrie de la laïcité. Le Front a deux objectifs : assassiner Assad père; et créer un État islamique fondée sur le Coran.

 

Ajoutée à l’Axe du mal de Bush

Avançons jusqu’en 2001. Dans la foulée des attaques du 11 septembre, le général américain à la retraite, Wesley Clark, a dit à un journaliste que pendant une visite au Pentagone il a appris que des plans ont été élaborés pour envahir certains pays, dont l’Irak—où il y a eu invasion—, la Libye—qui a subi une attaque militaire—, et la Syrie.

En 2002, l’administration Bush ajoute la Syrie à son Axe du mal – cette liste de pays ciblés pour un changement de régime. Washington prétend que la Syrie développe des armes de destruction massive et appuie le terrorisme – les mêmes accusations sans fondement que Washington a dirigées contre l’Irak comme prétexte pour renverser le gouvernement nationaliste arabe à Bagdad et pour privatiser une économie irakienne que Washington traitait de socialiste – et disons-le, il s’agissait bel et bien d’une économie planifiée et le rôle de l’État y était considérable.

L’Irak se servait de ses ressources pétrolières, de ses sociétés d’État et de sa planification pour faire en Irak ce qu’un porte-parole du Département d’État américain a décrit comme son « Âge d’or ». Selon ce porte-parole : « des écoles, des universités, des hôpitaux, des usines, des théâtres et des musées foisonnaient; tous avaient un emploi de sorte qu’il y eut pénurie de main-d’œuvre. »

Le même représentant du Département d’État écrit au sujet de Kadhafi qu’en mettant à contribution la richesse pétrolière, les sociétés d’État, la planification économique, le gouvernement de Kadhafi avait permis aux Libyens de vivre « bien mieux que jamais leurs parents et grands-parents auraient pu rêver de vivre ».

En 2003, dans la foulée de l’invasion américano-britannique de l’Irak, les États-Unis songent à étendre les opérations militaires en Irak à la Syrie voisine, mais concluent qu’ils ont les mains pleines avec la pacification de l’Irak et de l’Afghanistan et qu’il faut s’y prendre autrement pour changer le régime en Syrie.

 

Des sanctions de destruction massive

La première alternative à l’intervention militaire directe consiste à imposer des sanctions massive à la Syrie afin d’atteindre les objectifs de toute sanction : détruire l’économie afin de rendre la vie misérable pour les gens ordinaires de sorte qu’ils renversent leur propre gouvernement.

Les sanctions sont un excellent outil de propagande. Une fois l’économie d’un pays en ruine, on peut attribuer les difficultés économiques au fait que le gouvernement n’a pas poursuivi un système de libre entreprise, de politiques économiques de libre-marché qui, selon Washington, sont essentielles à la prospérité – et il est vrai qu’elles sont essentielles à la prospérité des banques américaines, de ses grands investisseurs et de ses grandes entreprises.

Les sanctions répondent aux attentes : la Syrie est dévastée. En octobre 2011, le New York Times rapporte que l’économie syrienne « s’écroule sous la pression des sanctions occidentales ».

Au printemps 2012, l’hémorragie financière provoquée par les sanctions « force les dirigeants syriens à arrêter de fournir des services essentiels d’éducation, de santé et autres dans certaines parties du pays ».

En 2016, selon un document interne de l’ONU, « les sanctions économiques des États-Unis et de l’Union européenne contre la Syrie… provoquaient une grande souffrance parmi les Syriens ordinaires et empêchaient les services d’aide humanitaire ».

Patrick Cockburn comparait les sanctions imposées à la Syrie à celles que les États-Unis ont imposées à l’Irak de 1990 à 2003.

Selon l’ONU, les sanctions en Irak ont entraîné la mort d’au moins 500 000 enfants irakiens pour cause de maladie et de malnutrition – c’est-à-dire plus de morts que n’ont causé toutes armes de destruction massive de toute l’histoire.

Deux politicologues, John et Karl Mueller, les ont qualifiées de « sanctions de destruction massive », plus dévastatrices que les bombes nucléaires larguées sur Hiroshima et Nagaski.

Bref, les États-Unis ont pris des mesures qui équivalaient à l’impact de deux bombes nucléaires sur l’Irak.

On oublie généralement que les sanctions de cette envergure détruisent la Syrie depuis 14 ans. Nous voyons bien les attaques perpétrées par les armées de procuration de Washington, mais nous ne voyons pas les effets invisibles, mais tout aussi dévastateurs des sanctions.

Fait significatif : dès la levée des sanctions sur l’Irak nationaliste arabe défait en 2003, les sanctions ont été immédiatement imposées à la Syrie nationaliste arabe qui se tenait encore debout.

Cela veut dire que de 1990 à 2017 – un quart de siècle – les États-Unis et ses alliés ont livré une guerre économique hautement destructrice – l’équivalent commercial d’une attaque nucléaire – d’abord à l’Irak, ensuite à la Syrie; et ils le font parce qu’ils s’opposent aux efforts des nationalistes arabes de mettre la politique et l’économie du monde arabe sous le contrôle des peuples qui y vivent et travaillent. 

 

Raviver la guerre islamiste

Les sanctions constituaient la première mesure visant le changement de régime. La deuxième, c’est de raviver la guerre islamiste contre l’État syrien.

En 2006, les Frères musulmans syriens assistent à au moins deux réunions à la Maison Blanche, selon le Wall Street Journal.

En 2007, les Frères musulmans participent à la création du Front national du salut. Ce front rencontre régulièrement le Département d’État et le Conseil de sécurité national américains, ainsi que le Middle East Partnership Initiative, qui est financé par les États-Unis.

 En 2009, les Frères musulmans syriens dénoncent le gouvernement syrien comme un élément étranger et hostile qui devait être éliminé.

Tard en 2010, quelques mois avant que des émeutes n’éclatent dans la ville syrienne de Daraa, ce qui marque le début de ce qu’on appellerait le « printemps arabe en Syrie » — mais ce qui était en fait une reprise de la révolte islamiste— les Frères musulmans expriment le souhait qu’une révolte de la population mette dehors le gouvernement impie d’Assad. Mais ce souhait ne serait exaucé que quelques mois plus tard – ce qui est exactement ce que les États-Unis et les Frères musulmans préparaient depuis 2006.

Or, tôt en 2011, avant le soulèvement de Daraa, alors que le monde arabe connaissait d’importants soulèvements, tout était tranquille en Syrie.

 

Tout est tranquille en Syrie

Le silence syrien préoccupait les médias occidentaux.

Pourquoi des manifs en Tunisie, pourquoi en Égypte? Pourquoi y avait-il un soulèvement en Libye? Mais rien de ce genre en Syrie?

Le New York Times et Time dépêchent des journalistes pour trouver la réponse. La voici :

  • Tout est tranquille en Syrie parce que le gouvernement jouit d’un grand appui.
  • Tout est tranquille en Syrie parce que même les critiques reconnaissent que Assad est populaire.
  • Tout est tranquille en Syrie parce que Assad a réussi à se faire aimer par la population, surtout la jeunesse – cette partie de la population d’où on s’attend qu’il y ait rébellion, si une telle rébellion devait se produire.
  • Tout est tranquille parce que les tentatives d’organiser des protestations contestant le gouvernement ont échoué. Les Syriens ne sentaient pas le besoin de manifester contre leur gouvernement.

Une recherche Internet d’articles sur la Syrie en février et mars 2011 dans les archives du New York Times et de Time révèle tout ça.

 

Pas de soulèvement populaire

À la mi-mars 2011, il y a des émeutes à Daraa. Violentes. Des émeutiers sont armés. Des immeubles sont incendiés, des véhicules aussi.

Selon le New York Times, même des autorités américaines « reconnaissent que les manifestations n’étaient pas pacifiques et que certains manifestants portaient des armes. »

Dans la mythologie développée plus tard sur les origines du conflit, après 2010, on racontera que « les manifestations étaient en grande partie pacifiques »; plus tard, on laisse tomber l’expression « en grande partie », pour dire simplement : « les manifestation étaient pacifiques. » Mais au moment où cela se passait, ni le New York Times ni les porte-paroles du gouvernement américain n’y voyaient des manifestations pacifiques; ils reconnaissaient qu’elles étaient violentes.

Une semaine après l’éruption de la violence à Daraa, Time rapporte que « il ne semblait pas avoir d’appels à grande échelle pour le renversement ou la destitution du régime ou du président qui est relativement populaire. » Ça heurte de front le récit, la mythologie, qui s’est imposée par la suite.

Plus d’un mois après le début de la violence, Anthony Shadid du New York Times rapporte que : « les manifestations … sont très loin des soulèvements populaires qui ont caractérisé les révolutions en Égypte et en Tunisie ».

Fait à noter, Time a rapporté que l’Islam jouait un rôle prépondérant dans les manifestations en Syrie.

Donc, voici le portrait.

  • Des perturbations civiles par des Islamistes depuis les années 1960
  • De la guérilla islamiste depuis les années 1970, atteignant un sommet en 1982 avec la prise de contrôle de Hama.
  •  Des Islamistes qui rencontrent la Maison Blanche, le département d’État et le Conseil de sécurité nationale à partir de 2006, après que Washington abandonne son plan d’intervention militaire directe en Syrie.
  • Et voici que l’Islam joue un rôle prépondérant dans les manifestions, lesquelles sont violentes et où on retrouve des armes.

Dans la même veine, en 2012, la Defense Intelligence Agency, l’une des nombreuses agences américaines de la communauté des renseignements des États-Unis, révèle que la révolte était islamiste et qu’elle est dirigée par les Frères musulmans et al Qaeda en Irak, précurseur de l’État islamique. 

Un indice suit l’autre, qui démontre que le soulèvement n’était pas un mouvement laïque pacifique en faveur de la démocratie libérale, mais le renouvèlement d’une guerre vieille de plusieurs décennies opposant Islamistes et Laïcistes, les premiers ayant le soutien des États-Unis et de ses alliés.

La Defense Intelligence Agency a bel et bien dit que les rebelles étaient appuyés par l’Occident, les monarchies arabes du Golfe et par la Turquie. (…)

 

Assad n’est pas le seul ennemi

Le modus operandi dans les campagnes américaines de changement de régime consiste à réduire les gouvernements que Washington déteste à un seul individu qu’on peut diaboliser comme un Hitler, ou qu’on traite de dictateur brutal, d’animal, ou d’être immoral. Mais l’ennemi n’est pas un individu.

Si Assad devait quitter le pouvoir aujourd’hui, laissant sa place à un successeur qui partage les mêmes valeurs du socialisme arabe Ba’asiste, la guerre se poursuivrait.

Quand le socialiste Ba’asiste Saddam a été chassé en Irak, le dictateur militaire que Washington a installé en Irak, Paul Bremer, a lancé une campagne de-Ba’asification du pays : soit de destituer des postes dans l’État irakien de TOUS les membres du parti socialiste arabe du Ba’as.

Washington a alors imposé une Constitution qui interdit pour toujours aux nationalistes arabes laïques  d’occuper un poste dans l’État irakien.

L’objectif de la longue guerre de Washington contre l’Irak n’était pas d’éliminer Saddam tout seul, mais d’éliminer de l’État irakien tout ce qui venait du parti socialiste Ba’as.

De même, l’objectif de la longue guerre de Washington contre la Syrie n’est pas la destitution d’Assad seulement, mais l’élimination de l’État syrien de tout ce qui vient du parti Ba’as.

 

Idem pour Kadhafi

Un an après que les Islamistes soutenus par l’OTAN eurent renversé et assassiné Mouammar Kadhafi, qui s’inspirait aussi des objectifs nationalistes arabes d’unité, de liberté et de socialisme, le Wall Street Journal a révélé que les pétrolières occidentales avaient poussé en faveur de son renversement parce qu’il négociait de façon trop serrée et qu’il insistait que les Libyens profitent de leurs propres ressources pétrolières.

Les grandes pétrolières américaines croient que les ressources pétrolières des pays arabes et musulmans doivent enrichir leurs actionnaires et ne devraient pas profiter aux peuples qui habitent ces parties du globe. Kadhafi s’y opposait de façon catégorique. Il a été éliminé!

 

Blessures – Norman Bethune

À la veille de l’envoi de ce livre chez l’imprimeur, j’ai lu un court texte d’un Canadien remarquable, Norman Bethune. Le texte s’intitule : Wounds ou Blessures. Bethune était un chirurgien talentueux et innovateur, qui était à l’avant-garde de la lutte pour un réseau de santé public au Canada. Mais il est surtout connu pour sa participation à deux guerres : la guerre civile espagnole et la Seconde guerre entre la Chine et le Japon. 

Bethune s’est joint comme chirurgien aux forces de Mao dans la résistance aux tentatives japonaises de coloniser la Chine.

C’est en Chine que Bethune a écrit ce texte, une méditation sur les causes de la guerre dans laquelle il s’est impliqué et qui produisait les blessures qu’il devait soigner.

L’épigraphe de ce livre est  Blessures

« Les guerres d’agression ou les guerres de conquêtes de colonies … sont-elles que des affaires des grandes entreprises? Il semblerait que oui, même si ceux qui commettent de tels crimes nationaux cherchent à camoufler leurs vrais objectifs sous des bannières d’idées et d’idéaux nobles. »

(Aujourd’hui, les idées et idéaux nobles sont exprimés dans la prétention que les États-Unis ont une obligation morale d’agir, qu’on ne peut rester bras croisés, et ainsi de suite. La plus perspicace des observations de Bethune, à mon avis, se trouve dans le dernier paragraphe.)

« Les ennemis de la race humaine ressemblent à quoi. [Il fait référence à ceux qui, dans la recherche de profits, déclenchent des guerres qui entraînent les blessures qu’il est, lui, appelé à soigner.]

« Portent-ils au front un signe pour qu’on puisse leur parler, les bannir ou les condamner comme des criminels?

« Non, au contraire. Ce sont des gens respectables.

« On les honore. Ils se considèrent des « gentlemen » et on les appelle des « gentlemen ».

« Ce sont des piliers de l’État, de l’Église et de la société.

« Ils appuient les charités privées et publiques grâce à leurs richesses excessives. Ils font des dons à des institutions.

« Dans la vie privée, ils sont gentils et respectueux…

« Mais un signe peut trahir ces gentils hommes. Dès qu’on menace de réduire [leurs profits], la bête en eux se réveille brutalement. Ils deviennent des sauvages sans merci, brutaux comme des fous, des bourreaux sans remords. »

Quand on lit dans le Wall Street Journal que les pétrolières occidentales se sont plaintes auprès du Département d’État qu’il fallait faire quelque chose avec Kadhafi, qui a menacé de réduire leurs profits, on ne peut s’empêcher de penser aux piliers de la société, aux gens respectables dont parlaient Bethune.

Bethune termine son texte comme suit : « Un telle organisation de la société humaine qui leur permet d’exister doit être abolie ».

Un thème global de ce livre est le suivant : on ne peut comprendre la longue guerre de Washington contre la Syrie que dans le contexte d’une organisation de la société humaine qui permet à ces ennemis de l’humanité d’exister.