Justin Trudeau ou l’art du déguisement

2018/03/22 | Par Pierre Jasmin

Les Dupond et Dupont d’Hergé à gauche & la famille Trudeau en Inde à droite (mars 2018)

L’auteur est Artiste pour la Paix

 

1- Des déguisements aux effets très nocifs

A) Son voyage familial en Inde et son indice de popularité

La photo est explicite : l’avion officiel du gouvernement canadien nolisé à grands frais puis, devant un militaire qui salue au garde-à-vous, la famille Trudeau dans une attitude pieuse, mains jointes en namasté bouddhiste, sauf le plus jeune, naturel et décontracté, sans doute étourdi par les parfums qui ne manquent pas de surprendre les Occidentaux, même à l’aéroport, lors de leur première visite en Inde.

Ce n’est pas par hasard que l’indice canadien de popularité[1] du premier ministre costumé très mal conseillé est en chute libre, après cette mise en scène puérile, doublée des faux-pas de la présence d'un ex-terroriste sikh canadien dans ses bagages, qui a éclipsé le ministre Harjit Sajjan et du manque de retombées économiques de sa mission dû à la froideur du Premier ministre indien irrité par une semaine de carnaval canadien. Ayoye!

 

B) Ses principes humanitaires à la façade lézardée, face aux Kurdes

Les Artistes pour la Paix et leur ex-vice-président Dimitri Roussopoulos ont maintes et maintes fois interpellé le gouvernement Trudeau sur la situation critique des Kurdes qui ont courageusement combattu et même pratiquement vaincu à eux seuls l’armée islamiste en Syrie du Nord, pour voir cette semaine leur forteresse d’Afrine tomber sous les coups de l’armée turque. Trudeau a choisi de rester muet face aux exactions de cette alliée de l’OTAN présidée par le dictateur Erdogan, qui massacre ou emprisonne des milliers de Kurdes et d’intellectuels, dont le président turc d’Amnistie internationale.

 

C) Son déguisement pro-nucléaire radioactif

Sans doute pour se faire bien voir par Donald Trump, Justin Trudeau n’a pas rejoint le cri d’alarme lancé par 134 pays de l’ONU contre les conséquences que l’humanité pourrait subir de la part des neuf pays assez irresponsables pour augmenter le nombre et le risque de déclenchement accidentel ou autre de leurs bombes nucléaires.

En outre, il a annoncé qu’il compte exporter dans le monde son opinion erronée que l’énergie nucléaire contribue à lutter contre les changements climatiques, en vantant la technologie canadienne CANDU. Rappelons qu’elle a équipé les hors-la-loi du Traité de non-prolifération (ONU) que sont l’Inde et le Pakistan qu’on soupçonne d’avoir transmis à la Corée du Nord sa recette d’armes nucléaires et peut-être même des stocks d’uranium saskatchewanais : ma conférence du 27 mars à Saint-Jean-sur-Richelieu aura pour but d’informer la population du travail effectué depuis 2007 par les Artistes pour la Paix sur ce sujet, avec Pugwash et le Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire.

 

D) Ses appuis déguisés à madame Theresa May

On ne parlera pas ici de sa solidarité étonnante avec la conservatrice Theresa May, partisane d’un Brexit de nature anti-fédéraliste et anti-ALENA, mais de son appui à l’attaque de madame May contre la Russie. Car elle a accusé M. Poutine d’avoir empoisonné, par une sorte d’agent innervant, l’espion russe Sergueï Skripal et sa fille Ioulia, réfugiés en Grande-Bretagne et maintenant à l’hôpital, en fort mauvais état. Personne ne nie l’empoisonnement ni la probable culpabilité d’agents ou mafiosi russes, mais Mme May a attaqué « le pouvoir russe » donc Poutine par un communiqué:

La Première ministre britannique juge «très probable» que le pouvoir russe soit «responsable» de l’empoisonnement de Sergueï Skripal et de sa fille.

C’était le 12 mars. Là où ça devient rocambolesque, c’est sur la base d’une culpabilité « probable » que madame May a annoncé mercredi le 14 mars, devant son parlement, l’expulsion de 23 diplomates russes et le gel des contacts bilatéraux britanniques avec la Russie, précisant qu’il s’agit de la vague d’expulsions de diplomates russes par le Royaume-Uni la plus importante depuis la guerre froide ! Faut-il que sa position chancelante d’autorité et que la tension internationale soit rendues incontrôlables pour qu’elle prenne une mesure aussi extrême plus l’annulation envisagée de la Coupe du Monde de la FIFA qui doit se dérouler en Russie en juin, le tout en réaction à ce qui reste jusqu’à aujourd’hui …UNE SIMPLE PROBABILITE. S’il y a une preuve réelle, déclarera-t-elle la guerre ?? On lira à la fin de cet article un compte-rendu informel par le journaliste Craig Murray d’échanges de savants liés à l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC) prouvant encore une fois que les médias et les pouvoirs occidentaux sautent aux conclusions qui font leur affaire.

 

2- Des déguisements aux effets mitigés

A- Casques bleus

On se souvient du contexte noir des années Harper[2] et des promesses électorales libérales résumées par le cri symbolique Canada is back d’octobre 2015. Après deux ans et demi d’atermoiements, lundi le 19 mars, Justin Trudeau a enfin pris une décision. Faut-il, comme Jocelyn Coulon du CÉRIUM nostalgique de son poste d’influence auprès du ministre Stéphane Dion, blâmer son manque d’ambition par rapport au plan de décembre 2016 qui prévoyait, à l’aide de six cents Casques Bleus canadiens, le commandement de la mission de paix onusienne du Mali? Et ce nouvel engagement réduit à une seule année tiendra-t-il encore la route l’an prochain, à quelques semaines de l’élection fédérale, si le Canada ne trouve pas d’autre pays assez équipé pour le relayer dans cette mission à risque?

Les APLP avaient sévèrement blâmé le général Rick Hillier pour sa décision irréfléchie d’intervenir à Kandahar qui a coûté la vie de dizaines de militaires canadiens en Afghanistan (et de combien d’Afghans torturés en prison?); même s’il a tenté dans sa biographie A Soldier First: Bullets, Bureaucrats and the Politics of War de reporter le blâme sur le compte du ministre libéral Bill Graham et du ministre conservateur Gordon O’Connor lié à l’industrie militaire, les APLP ne regrettent pas d’avoir réclamé la démission de ce dernier, ainsi que celle du général Hillier qui en succédant au général John De Chastelain s’était exclamé : « Enfin, l’armée retrouve sa vraie mission qui est de tuer ». 

Reconnaissons que la prudence s’impose au Mali et que la mission onusienne, où le Canada prend discrètement le relais de l’Allemagne, est un meilleur choix que le commandement global qui aurait présenté un plus grand risque d’enlisement permanent et certainement un bien meilleur qu’une autre expédition militaire genre Kandahar semblable à celle agressive que le président Macron commande contre les djihadistes du Mali. 

 

B- La Syrie

Le Premier ministre avait sagement exclu en début de mandat tout bombardement de la Syrie par des avions canadiens. Vu l’imminente victoire de Bachar al-Hassad pour le meilleur (la fin de la guerre?) et le pire (on connaît la férocité du dictateur), on assiste présentement à un déferlement d’accusations, entre autres une haineuse pétition d’AVAAZ exigeant l’annulation de la FIFA 2018 après avoir blâmé la Russie pour les massacres de la Ghouta. Mais leur responsabilité n’en incombe-t-elle pas en majeure partie à la CIA qui a armé les djihadistes, comme elle l’avait fait en Libye, en Irak et en Afghanistan? L’aut’journal a reproduit un article doublé d’une entrevue par Robin Philpot de mère Agnès-Mariam de la Croix, admirable religieuse syrienne venue à Montréal en novembre 2013 qu’on ne peut accuser de partialité[3].

 

C- Le budget militaire canadien

Face aux dépenses militaires chiffrées par son ministre Harjit Singh Sajjan à 70 milliards de $ supplémentaires sur 20 ans, Justin Trudeau a bloqué la plupart d’entre elles en les reportant APRÈS 2019. Il peut s’agir d’un déguisement électoraliste destiné à engranger les votes québécois moins guerriers. Trudeau n’a hélas pas entériné notre demande d’enquête sur le bombardement de la Libye en 2011 par l’OTAN, dont la flotte aérienne était commandée par le général canadien Charles Bouchard devenu PDG de Lockheed Martin Canada qui cherche à nous vendre ses F-35.

Une telle enquête aurait prouvé le désastre de cette intervention militaire, responsable indirectement de l’arrivée au pouvoir des populistes en Italie, portés par un ressentiment anti-immigrés gonflé par le nombre accru des réfugiés (au nombre mondial de 66 millions, chiffres du Haut-Commissariat des Réfugiés de l’ONU). En dénonçant le militarisme de l’OTAN, Trudeau verrait sa politique d’accueil des réfugiés et sa mission onusienne au Mali confortées et s’épargnerait à la fois sa prise de position absurde pro-nucléaire et la patate chaude d’avions militaires qu’il croit avoir momentanément réglée par l’achat de vieux chasseurs australiens, que le dirigeant conservateur Scheer a eu un plaisir facile à moquer en Chambre des communes.

 

D- Une nouvelle loi sur les armes à feu

Heidi Rathjen, notre alliée de 1995, avait averti les APLP de l’imminence du dépôt du projet de loi du ministre Ralph Goodale sur les armes à feu. S’il s’agit d’une bonne intention du gouvernement Trudeau, la loi décevante, faible et timorée, a sans doute souffert du lobbying intense effectué par les riches fanatiques d’armes à feu[4]. Si semblent se satisfaire de la loi et le vice-président de Tous contre un registre québécois des armes à feu en négligeant la statistique canadienne de 30% d’augmentation des délits criminels par armes à feu en quatre ans, et la co-porte-parole de polysesouvient reconnaissant un petit progrès dans la volonté de la loi de vérifier les antécédents des acheteurs dont les coordonnées devront être inscrites par les marchands d’armes, Nathalie Provost a avec raison déploré qu’on n’interdise pas les armes d’assaut ou armes semi-automatiques : l’AR-15 a tué, au cours des quatre dernières années, 173 personnes aux États-Unis[5].

Boufeldja Benabdallah, vice-président du Centre culturel islamique de Québec: « Nous avons vu les dégâts que les armes à feu peuvent causer lorsqu’elles tombent entre de mauvaises mains. Six veuves et 17 enfants pleurent toujours le massacre de leur mari et de leur père. Comment le gouvernement peut-il répliquer avec un projet de loi aussi timide?» Meaghan Hennegan, survivante de la tuerie de masse au Collège Dawson: «Nous sommes particulièrement déçus de l'échec du gouvernement Trudeau à aborder la disponibilité légale des armes d'assaut. L'arme qui a été utilisée pour tirer sur moi et nombreux de mes camarades de classe est plus facilement accessible qu’alors. C’est totalement ridicule! Les Libéraux ont été élus majoritaires sur la base d’une plateforme pro-contrôle et la grande majorité des Canadiens est en faveur d'une interdiction des armes d'assaut, y compris la majorité des propriétaires d'armes à feu! Sur l’enjeu des armes d’assaut, il semble bien clair que le gouvernement Trudeau se soit rangé du côté du lobby des armes à feu et non de l'intérêt public.»

Il sera intéressant de voir les réactions du NPD et du Bloc, en espérant que les deux partis déploreront, à l’instar des APLP, qu’on n’instaure pas un vrai registre informatisé avec possibilités de mandats de perquisition par la Gendarmerie Royale. En passant, saluons la décision courageuse de Trudeau (ce n’est pas Harper qui aurait fait cela!) de nommer une femme, Brenda Lucki, à la tête de cette institution aux incidents de harcèlements misogynes aussi nombreux et horribles que ceux documentés dans l’armée par le rapport de la juge Marie Deschamps.

 

Addendum

De nombreux échanges de courriels dans les derniers jours ont eu lieu entre spécialistes de Pugwash international et experts de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC) à laquelle adhèrent 193 pays. Comme les règles de convention Pugwash m’interdisent d’identifier des collègues, je cite le journaliste Craig Murray bien informé :

« Le gouvernement britannique a employé, à propos de l’agent innervant utilisé, les mots d’un type développé par la Russie, notez développé et non fabriqué, produit ou fait en Russie. Il s’agirait du premier emploi en Europe depuis la Seconde guerre mondiale d’un tel agent neurotoxique de type militaire. Le laboratoire de recherche britannique Porton Down ne sait toujours pas [à ce jour] si ce sont les Russes qui ont fini par réussir à synthétiser un Novichok. Quand personne ne dévie de la même phraséologie prudente, vous savez que c’est à la suite d’un délicat compromis du Foreign Office qui se souvient des pressions extrêmes exercées pour que les savants signent le sale dossier des Armes de destruction Massive en Irak, tel que relaté dans mon mémoire Meurtre à Samarcande [ces pressions avaient « réussi » à paver  la voie à l’entrée en guerre de Tony Blair contre l’Irak].

Les inspecteurs de l’OIAC ont un accès plein et entier à toutes les installations russes d’armes chimiques depuis plus d’une décennie – y compris celles que mentionne le lanceur d’alerte allégué Mirzayanov – et l’année dernière, ils ont complété la destruction des dernières 40 000 tonnes d’armes chimiques russes. En revanche, le programme de destruction des armes chimiques américaines demandera encore cinq ans pour arriver à son terme et Nétanyahou dispose d’amples stocks d’armes chimiques, car Israël a toujours refusé de les déclarer à l’OIAC ni de devenir membre de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques. Le pays l’a pourtant signée en 1993, mais non ratifiée, parce que cela signifierait l’inspection et la destruction de ses armes chimiques. Indubitablement, Israël a la même capacité technique que n’importe quel autre État à produire des novichoks » [Quant à son intérêt, on sait que Nétanyahou montre plus que de l’enthousiasme à déclencher une guerre occidentale contre l’Iran et la Russie. ATTENTION : ceci ne constitue même pas une probabilité!!!].

 

[1] Pour la première fois depuis son élection, le sondage Angus Reid du 19 mars montre plus de 50% des Canadiens désireux de changer de gouvernement, l’insatisfaction face à Trudeau étant passée de 41% en mars de l’an dernier à 56% cette année.

[4] Pour une idée de leur état d’esprit au Québec, lire:  http://www.artistespourlapaix.org/?p=14304