Nouvelle pelletée de terre du fossoyeur en chef

2012/09/12 | Par Marc Laviolette et Pierre Dubuc

Respectivement président et secrétaire du SPQ Libre

Dans son dernier livre, Lettres à un jeune politicien, dont des extraits ont été publiés dans l’édition du 10 septembre du Journal de Montréal, Lucien Bouchard s’en prend vivement au référendum d’initiative populaire.

Selon l’ancien premier ministre, ce serait un « comble » qu’un référendum puisse être déclenché si 15% des électeurs en exprimaient le désir. Une « poignée d’activistes » pourraient envoyer le Québec « à l’abattoir » avec une « question rédigée à la sauvette » en faisant « fi de l’opinion majoritaire » et des « prérogatives de l’Assemblée nationale ».

Difficile de trouver autant de démagogie en si peu de mots. Premièrement, il a été établi clairement par Mme Marois que l’Assemblée nationale aurait le dernier mot. La question référendaire émanera donc du gouvernement, qui pourra prendre le temps voulu pour la rédiger.

Deuxièmement, faire signer 15% de l’électorat ne peut être l’œuvre d’une « poignée d’activistes ». Soyons réalistes. Si 850 000 personnes se déplacent pour apposer leur signature sur un registre dans les bureaux prévus à cet effet, ce sera une indication d’une volonté populaire beaucoup plus significative que n’importe quel sondage.

D’autant plus qu’il est facile de prédire que la presse fédéraliste se déchaînera contre cette initiative populaire. On n’a qu’à constater l’ampleur de la réaction actuelle – dont le texte de M. Bouchard n’est que le dernier avatar – pour que le Parti Québécois abandonne cet engagement électoral.

Que M. Bouchard s’enrôle dans cette croisade n’étonne pas. À plusieurs reprises, depuis quelques années, il s’est prononcé contre l’option souverainiste, sous prétexte comme il le réaffirme dans son livre qu’« il ne faut pas s’exposer inconsidérément à perdre un référendum ».


La capitulation de Lucien Bouchard

Cependant, on peut légitimement se demander si le Québec ne serait pas aujourd’hui indépendant si la possibilité avait existé que la volonté populaire s’exprime, par un référendum d’initiative populaire, en faveur de la tenue d’un nouveau référendum sur la souveraineté lorsque M. Bouchard a pris la succession de Jacques Parizeau en 1995. Selon les sondages, l’appui à la souveraineté dépassait alors les 60%.

Mais M. Bouchard a tourné le dos aux Québécois et a refusé de profiter des «conditions gagnantes». Alors que tous s'attendaient - autant au Québec qu'au Canada anglais - à ce qu'il prenne appui sur la quasi-victoire des souverainistes pour déclencher des élections et préparer un nouveau référendum, il a déposé l'arme au pied.

Dans la biographie qu'il a consacrée à Jean Chrétien, le journaliste Lawrence Martin écrit que Lucien Bouchard a capitulé devant les menaces de partition du territoire québécois proférées par le Canada anglais en cas du victoire du OUI. Est-ce vrai? M. Bouchard devra un jour expliquer pourquoi il a refusé le rôle que l'histoire lui assignait à ce moment charnière de notre lutte d'émancipation nationale.

M. Bouchard a préféré centrer l'attention du Québec sur l'objectif du déficit zéro, cédant piteusement aux pressions de Wall Street, comme il l’a reconnu dans un article du journal Les Affaires du 5 novembre 2005.

Les résultats sont connus. La marche forcée vers le déficit zéro a complètement déstructuré le réseau de la santé, avec des milliers de départs prématurés à la retraite, et vient encore hanter le Parti Québécois, comme nous l’avons vu lors de la dernière campagne électorale.

Au déjà lourd fardeau que Lucien Bouchard a laissé au Parti Québécois en héritage, nous pourrions également ajouter la politique catastrophique des fusions municipales. Laquelle, comble de l’ironie, a été renversée par des référendums d’initiative populaire mis en place par le gouvernement Charest. On se rappellera, en effet, que des référendums ont eu lieu lorsque 10% des citoyens d’une municipalité fusionnée signaient le registre ouvert à cet effet, sans que personne n’y voit un accroc à la démocratie.


La destruction de la grande coalition souverainiste

La grande coalition souverainiste, rassemblée par Jacques Parizeau à l'occasion du référendum et réunissant avec le Parti québécois et le Bloc québécois les grandes centrales syndicales, les organisations communautaires, les artistes et les groupes de femmes, n'a pas résisté à l'électrochoc du déficit zéro.

Et pour s'assurer que la coalition soit bel et bien détruite, le gouvernement Bouchard a adopté 11 lois d'exception antisyndicales pendant une des périodes de relations de travail parmi les plus calmes de notre histoire.

Alors que M. Parizeau avait réussi à rallier les groupes de femmes à la cause souverainiste en promettant la Loi sur l'équité salariale au lendemain de la marche Du pain et des roses de 1995, Lucien Bouchard s'est aliéné les mêmes groupes en répondant aux revendications de la Marche mondiale des femmes de 2000 avec une ridicule augmentation de 10 ¢ de l'heure du salaire minimum. Cette attitude a conduit Françoise David et les groupes de femmes à fonder Québec solidaire.

Nous avons été à même d’en voir les résultats lors du dernier scrutin. Peu importe la méthode de calcul, il est clair que les votes en faveur de Québec solidaire ont coûté au Parti Québécois la majorité parlementaire.

Plutôt que de s’être appuyé sur les Québécois au moment où les « conditions gagnantes » étaient réunies, Lucien Bouchard les a blâmés, au moment de sa démission, «pour avoir été étonnamment impassibles devant les offensives fédérales»!


Le « bonhomme Sept-Heures »

Un mois après sa démission, il se joignait au cabinet d'avocats Davies, Ward, Phillips & Vineberg. Depuis, il joue périodiquement au «bonhomme Sept-Heures» en agitant le spectre de la dette, en blâmant les Québécois de ne pas travailler suffisamment, et maintenant en condamnant le référendum d’initiative populaire.

Pour meubler ses loisirs, M. Bouchard siège à de nombreux conseils d'administration et préside l’Association pétrolière et gazière du Québec (APGQ), avec des honoraires versés par l’albertaine Talisman Energy.

Mais il s’est surtout employé, dans les coulisses, à susciter la formation d’un parti politique nationaliste, mais non souverainiste. Après des efforts infructueux auprès de Mario Dumont, à l’époque de la publication du Manifeste des Lucides, il a jeté son dévolu sur François Legault, comme nous l’apprenait le journaliste Alex Castonguay dans son reportage « Dans le ventre de la CAQ », publié dans l’édition de mai 2012 du magazine L'Actualité.

L’échec de la CAQ amène le fossoyeur en chef à jeter une nouvelle pelletée de terre pour enterrer le projet de souveraineté du Québec.