Mercosur : le piège des biocarburants

2007/04/20 | Par André Maltais

Sur la photo: Le président Lula reçoit au Brésil son homologue George W. Bush


Le virage des pays du Nord pour remplacer le pétrole par des sources d’énergie renouvelables et vertes est en voie de piéger les pays fondateurs du Mercosur, affirme, dans un récent numéro de son bulletin (no 112, novembre 2006), le Mouvement mondial des forêts (MMF).

En effet, selon les chercheurs Chris Lang et Camila Moreno, le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay consacrent une superficie toujours plus grande de leur territoire aux cultures permettant la fabrication de biocarburants comme le bioéthanol (produit à partir de la canne à sucre, du maïs, du bois et des résidus agricoles) et le biodiésel, provenant surtout d’huiles végétales comme celles du soja et de la palme africaine.

En plus d’ignorer les conséquences humaines et écologiques de cette politique, les quatre pays vont jusqu’à se quereller entre eux comme le montre le conflit entre l’Uruguay et l’Argentine à propos de l’installation par le premier de l’usine de pâtes et papiers finlandaise, Botnia, sur les bords de la rivière Uruguay, qui sépare les deux pays.

Le mouvement en faveur des biocombustibles est bel et bien en marche, expliquent les auteurs.

Dans les pays scandinaves (et même au Québec avec Tembec), plusieurs entreprises de pâtes et papier transforment peu à peu leurs usines en raffineries de biocarburants tandis que certaines grandes pétrolières, comme Shell, se convertissent déjà en leaders de ce nouveau marché.

Le gouvernement Bush vient de décider une réduction de 10 % de la dépendance des États-Unis envers le pétrole au cours des dix prochaines années, réduction qui s’opérera en incorporant 10 % d’éthanol dans l’essence vendue dans le pays.

Une directive européenne, quant à elle, veut que, d’ici 2010, 5,75 % des carburants utilisés en Europe pour les transports soient remplacés par des biocombustibles. Ce pourcentage passe à 20 % pour 2020.

Mais, comme pour le pétrole et le gaz, nous dit Pablo Ramos, de l’Agence de presse du Mercosur, les matières premières nécessaires à la production de biocombustibles ne proviendront pas des pays qui en ont besoin.

L’Europe, par exemple, si elle ne devait compter que sur elle-même pour respecter son échéancier de 2020, devrait consacrer 70 % de ses terres cultivables à la production de biocombustibles.

De plus, son climat l’obligerait à utiliser, comme matière première, le bois de ses forêts existantes, ce à quoi s’oppose la Conférence européenne des pâtes et papiers au motif que cela ferait augmenter le prix du bois destiné au chauffage et à la construction, en plus de la déforestation.

Mais ce qui est mauvais pour la Suède est bon pour l’Amérique du Sud, dit Chris Lang. C’est pourquoi de plus en plus d’usines de pâtes et papiers scandinaves se déplacent vers le Brésil et l’Argentine pour profiter de vastes espaces et d’un climat plus clément (les arbres poussent dix fois plus vite au Brésil qu’en Suède).

En plus des avantages naturels, les compagnies bénéficient en Amérique latine du faible coût de l’électricité et de l’abondance de l’eau pour alimenter des usines extrêmement voraces en hydroélectricité et, donc, loin d’être plus vertes que les raffineries de pétrole.

Le Brésil se présente maintenant comme un chef de file mondial en matière d’énergie d’origine agricole. Investissements et contrats de construction d’usines de traitement et de raffinage des biocarburants se multiplient partout au pays.

Mais les monocultures de soja transgénique et d’eucalyptus (ces dernières, pour produire du charbon végétal) provoquent une concentration des terres qui va en sens inverse de toute réforme agraire.

De plus, Decio Gazzoni, responsable de formuler le programme national brésilien d’agro-énergie, propose maintenant de reboiser l’Amazonie avec du palmier africain pour y produire du biodiésel.

Pour éviter d’affronter le Mouvement des sans terre (MST), certains grands producteurs brésiliens ont implanté leurs cultures jusqu’en territoire paraguayen. Le sociologue Tomas Palau décrit ainsi la triple perte de souveraineté de son pays :

Nous dépendons des exportations d’un seul produit dont les semences proviennent d’une seule entreprise (Monsanto); nous perdons le contrôle de grandes étendues de notre territoire dont les terres sont achetées par des étrangers; enfin, nous perdons notre souveraineté alimentaire parce que la monoculture remplace la diversité des cultures de subsistance paysannes .

En Argentine, selon un dossier de l’hebdomadaire uruguayen Brecha, la fièvre pour le soja génétiquement modifié n’a pas de limites . Le pays en produit et en exporte annuellement déjà plus de 40 millions de tonnes et se serait engagé auprès de la Banque mondiale et des multinationales qui opèrent là-bas à atteindre bientôt les 100 millions de tonnes.

Pour le Groupe rural de réflexion argentin, le territoire du pays est, depuis dix ans, un vaste laboratoire d’expériences en matière de biotechnologies pour le compte des Monsanto, Syngenta, Cargill et Bayer.

L’Uruguay, pour sa part, consacrerait déjà entre 50 % et 70 % de ses terres agricoles à la culture du soja au profit de firmes étrangères.

Pourtant, dit Camila Moreno, les effets dévastateurs de ces monocultures sont bien connus : déboisement, destruction écologique, perte de biodiversité, déplacement forcé des populations paysannes et indigènes, création de milices privées, chômage et, enfin, menace sur l’alimentation.

Mme Moreno fustige la hâte des pays du Mercosur qui, au nom de la souveraineté énergétique, acceptent la responsabilité de produire les carburants dont le monde a besoin, au rythme imposé par le modèle de production industriel, la consommation et l’accumulation de capital .

Pour Chris Lang, l’augmentation des cultures agro-énergétiques se fera au détriment des superficies déjà consacrées à l’alimentation humaine et aux dépens des forêts, notamment de la forêt amazonienne.

Plus personne ne voudra produire pour l’alimentation, dit-il, tellement il sera plus rentable de le faire pour les biocarburants.

Quant aux forêts, Lang prévoit que leur disparition créera, au niveau mondial, un déficit écologique dont l’ampleur surpassera plusieurs fois le faible gain représenté par un remplacement partiel des hydrocarbures par les biocarburants.

Ce n’est pas, ajoute Camila Moreno, en tombant dans le piège des biocarburants qui tend à prolonger la matrice hydrocarbures du 20e siècle, que l’Amérique latine va se débarrasser du modèle colonial.

Le danger est maintenant grand de voir le Mercosur, bloc commercial qui se targue d’échapper aux griffes de l’aigle états-unien, se transformer en une espèce d’Arabie saoudite des biocombustibles.

Le 8 mars, lors de sa visite au Brésil, George Bush en aurait profité pour proposer au président Lula da Silva la création d’une OPEP des biocombustibles avec, comme membres, les pays fondateurs du Mercosur et les États-Unis, premier exportateur mondial d’éthanol fait à partir du maïs.

La réalisation d’une telle union signifierait, bien sûr, la fin du Mercosur et, au-delà, du projet bolivarien d’union sud-américaine.

Car, non seulement referait-elle de l’Amérique latine la cour arrière de l’Oncle Sam, mais aussi, en excluant de ses rangs les pays pétroliers hostiles à Washington comme le Venezuela, la Bolivie et l’Équateur, elle amputerait le bloc régional d’opposition à Washington de son aile la plus progressiste.