Deadline America

2007/04/29 | Par Pierre Dubuc

Photo: École des médias, UQAM

Oh! Que je n’étais pas de bonne humeur lorsque la dernière édition de l’aut’journal (no. 258) nous est revenue de l’imprimeur et que l’erreur de la première page m’est sautée en pleine face. Les scores sur notre bulletin de note des dernières élections étaient erronées. Nous donnions 38% au Parti libéral, 32% à l’ADQ et 28% au Parti Québécois, alors que les vraies scores sont respectivement de 33%, 31% et 28%.

Tout à fait par hasard, le lendemain, je me suis mis à la lecture de Deadline America, le livre d’Antoine Char et, dès le premier chapitre, je tombe sur le cas du Chicago Tribune qui ne s’était jamais remis d’avoir annoncé en 1948 la victoire du républicain Thomas Dew sur le président sortant Harry Truman.

Le journal est depuis ce jour la risée de la confrérie journalistique pour avoir titré dans sa première édition Dewey defeats Truman. L’erreur fut corrigée dans l’édition suivante. Mais c’était trop tard, le président Truman avait sa copie entre les mains dans le train qui le ramenait à Washington.

Le Chicago Tribune a décidé par la suite de tourner la situation à son avantage et son numéro barré du Dewey defeats Truman se vend 900 dollars l’exemplaire, soit trois fois plus que celui annonçant l’assassinat d’Abraham Lincoln. La boutique du journal fait des affaires d’or avec le t-shirt Dewey defeats Truman.

Mais le journal a exorcisé cette vieille manchette dans la nuit du mardi 7 novembre 2000 alors qu’il titra « As close as it gets » sur les résultats de l’élection opposant George W. Bush et Al Gore, alors que ses principaux concurrents titraient Bush appears to defeat Gore (New York Times), It’s Bush in a Tight One (Boston Globe). Ces derniers durent se rétracter le lendemain, car Bush ne fut élu président qu’au terme d’une folle saga politico-judiciaire de 36 jours. « En une nuit, le Chicago Tribune avait exorcisé la manchette Dewey-Truman », écrit Antoine Char qui était présent cette nuit-là dans la salle de rédaction du quotidien de Chicago.

Professeur à l’école des médias de l’UQAM, Antoine Char raconte dix tranches de vie de la société américaine à partir de la Une de ses grands et petits quotidiens. Il nous relate en détails – parce qu’il était présent dans les locaux des journaux – la couverture de l’exécution de Thimothy McVeigh par le Norman Transcrip d’Oklahoma City, les Jeux olympiques de Salt Lake City vus deux journaux rivaux au pays des Mormons, le Deseret News et le Salt Lake Tribune, l’élection de Arnold Schwarzenegger par le Sacramento Bee, l’approbation des mariages gais par l’État du Massachusetts à travers les pages du Christian Science Monitor, le procès de Michael Jackson pour pédophilie par le Santa Maria Times et quatre autres histoires.

Au-delà du bourdonnement de chacune de ces salles de presse, Char nous présente un portrait vivant de la presse américaine avec en prime son background historique. Bien entendu, ce sont aussi des tranches de vie de la société américaine. À lire pour comprendre le fonctionnement des médias de nos voisins du sud, mais aussi, tout simplement, parce que les histoires sont drôlement bien tournées.

Antoine Char, Deadline America
Hurtubise HMH, 2007