Quand le nationalisme embrasse les mules du Pape

2007/05/07 | Par Jean-Claude Germain

Le Vatican a toujours posé un regard paternel sur le Québec et les papes ne se sont jamais gênés pour s’ingérer dans ses affaires politiques. Dans les années quarante, même les enfants d’école connaissaient le nom du nonce apostolique, Mgr Ildebrando Antoniutti.

Avec la Révolution tranquille, on s’était permis d’espérer que toute cette vaticanerie avait été reléguée aux oubliettes. Quel n’est pas notre étonnement d’apprendre qu’en 1983, la tradition revit avec Jean-Paul II qui, dans le cadre d’une audience privée, rappelle au Premier ministre du temps que la vie au Québec ne peut se comparer en aucun cas à celle des Polonais sous la botte des Soviétiques !

Aux dires des témoins, René Lévesque est conforté dans son sentiment que l’indépendance n’est plus légitime et double surprise, en 1984, lorsque qu’il fait l’annonce du beau risque, son virage de 180 degrés, on l’entend répéter comme en écho : Le régime fédéral n’est pas l’idéal pour le Québec, mais ce n’est pas l’enfer sur terre, ni le goulag.

C'est mon héros ! déclare Lucien Bouchard

En 2001, le premier ministre Lucien Bouchard, dans le cadre d’une audience privée avec sa famille, se fait faire plus ou moins la même leçon par Jean-Paul II. C’est mon héros ! a-t-il déclaré après une visite inoubliable. Son combat contre le communisme a été spectaculaire. Fruit du hasard ou coïncidence troublante, peu de temps après Lucien Bouchard démissionnait de son poste de premier ministre, de celui de chef du Parti Québécois et de la cause souverainiste.

Ce n’était pas la première confrontation de la papauté avec le nationalisme québécois. Il y a aujourd’hui à peine plus de 80 ans, son avenir même fut remis en question par un autre entretien privé au Saint-Siège. À chacun sa révélation, le chemin de Damas d’Henri Bourassa passait par Rome. Nationaliste de l’obédience canadienne française au moment de son départ pour l’Europe en 1926, le pape du Devoir en est revenu catholique romain de l’obédience dévote. L’homme politique a été foudroyé par la grâce lors de son audience avec le pape Pie XI qui règnera de 1922 à 1939.

Sa Sainteté apostrophe papalement sa brebis ! Vous dirigez un journal, n’est-ce pas, monsieur Bourassa ? Or, ne l’oubliez pas, l’influence de la presse est immense, pour le bien ou pour le mal, et le premier devoir d’un journaliste catholique est de défendre les causes de Dieu et de l’Église. Les autres causes, monsieur Bourassa, même légitimes, sont secondaires et doivent être subordonnées. Un Catholique ne doit jamais les mettre au premier plan.

Sa Sainteté ne parle pas à travers sa tiare. Elle est très informée et veut être bien comprise. À l’heure actuelle, mon fils, le principal obstacle à l’action de la papauté et de l’Église dans le monde, c’est la prédominance des passions de race dans tous les pays, c’est la substitution du nationalisme au catholicisme. La seule réponse d’un fervent catholique est la soumission. L’homme n’est grand qu’à genoux, disait Louis Veuillot. Sublime lorsqu’il embrasse les mules du pape.

Le castor rouge – une sorte de conservateur enrougi – a été transfiguré. Je me suis embarqué le lendemain de mon audience privée avec le pape et j’ai eu tout le temps de prendre ma décision. Si je peux exercer une influence d’ici la fin de mes jours, ce sera dans le sens des directives du pontife. Dorénavant Henri Bourassa s’emploiera à redevenir le digne fils de son père, Napoléon, le peintre de fresques religieuses. Le tribun se fait prédicateur.

Désormais, il sera infaillible en toute humilité. N’oublions pas que, si nous avons survécu comme peuple, si nous vivons encore avec nos familles, nos traditions, notre langue, avec nos souvenirs et nos espérances, ce n’est pas à la France ni à l’Angleterre que nous le devons : c’est à l’Église d’abord, j’oserais dire à l’Église seule, à l’Église du Christ, à l’Église du pape, à l’Église de nos évêques, de nos prêtres, de nos religieuses, de nos pères et de nos mères, si croyants, si respectueux de l’autorité de ceux à qui Dieu a donné le pouvoir de baptiser et d’enseigner à toutes les nations. Alléluia !

Le syndrome du treizième apôtre

Henri Bourassa aurait entrevu la Jérusalem céleste que sa profession de foi ne serait pas moins absolue. L’Église reconnaît toutes les patries, toutes les formes de gouvernement et les droits de tous les peuples. Elle tolère tous les nationalismes légitimes, mais elle ne se rapetisse à la mesure d’aucun. Elle ne sera jamais nationaliste ! proclame-t-il urbi et orbi. Jamais elle n’a été et jamais elle ne sera l’Église nationale d’aucun peuple.

L’homme de tous les combats s’en remet à la Providence. Sous la tutelle bienfaisante et juste de l’Église, cherchons par-dessus tout le royaume de Dieu et sa justice, le reste nous sera donné par surcroît, prêche-t-il avec l’enthousiasme d’un orateur sacré. Le voilà mon nationalisme ! Bourassa a pris la pose du treizième apôtre pour s’assurer une place au paradis.

À partir de ce moment-là, il ne sera plus que l’ombre ou le halo de ce qu’il a été. En 1942, il retrouve temporairement son éloquence d’antan pour lutter contre la conscription aux côtés des partisans du Bloc populaire et de la Ligue du Canada en 1942. Mais l’embellie est de courte durée. L’année suivante, il fait l’éloge de la France de Pétain et soutient que la principale cause de la guerre est l’oubli de Dieu.

La papalisation du petit-fils de Louis-Joseph Papineau s’avère définitive et irrémédiable.

Pour sa part, celle de Lucien Bouchard se poursuit d’intervention en intervention. Saisi à son tour par le syndrome du treizième apôtre, il prêche de plus en plus l’esprit de sacrifice comme un évêque et ses médiations dans les conflits de travail sont aussi efficaces pour les patrons et désastreuses pour les travailleurs que celles des archevêques au temps de Duplessis.