La Bourse ou le salaire

2007/06/07 | Par Jean-François Vinet

Sur la photo: New York Stock Exchange (La Bourse de NY)


Toutes les statistiques le confirment, le pouvoir d’achat des travailleurs canadiens stagne depuis la fin des années 80. Même les économistes conservateurs les plus doctrinaires en conviennent. Mais, selon certains d’entre eux, les statistiques salariales ne tiennent pas compte de l’enrichissement boursier des travailleurs. Les gains réalisés via leurs régimes de retraite compenseraient donc la stagnation de leurs revenus.

L’économiste Maurice N. Marchon fait partie de ces économistes. Dans un article de la revue Commerce de juin 2007, intitulé Vive l’échangisme, il affirme qu’on «oublie trop souvent que la très grande majorité des travailleurs bénéficient indirectement de l’augmentation des profits des entreprises par leur participation au régime de retraite de leur employeur ou par l’appréciation des actifs financiers qu’ils détiennent».

Les statistiques contredisent l’économiste Marchon

Éric Pineault, professeur de sociologie économique à l’UQAM, rappelle que c’est plutôt une minorité de travailleurs – 40 % en 2006 selon Statistiques-Canada – qui bénéficient d’un régime de retraite. Une proportion qui n’a cessé de diminuer depuis les 10 dernières années. Nous somme donc très loin de cette très grande majorité mentionnée par M. Marchon.

D’ailleurs, il semble exister une corrélation étroite entre la réduction du nombre de travailleurs bénéficiant d’un régime de retraite et la diminution du nombre de travailleurs syndiqués. Ce qu’on appelle le taux de couverture risque donc de poursuivre son déclin au cours des prochaines années.

Disposer d’un régime de retraite est déjà une chose, mais le type de couverture du régime influence grandement l’enrichissement réel des travailleurs.

Deux types de couverture

Dans un premier cas, soit le Régime à prestations déterminées (RPD), les travailleurs savent ce qu’ils recevront mensuellement à leur retraite. Dans l’autre, soit le Régime à cotisations déterminées (RCD), les travailleurs cotisent un certain montant, sans connaître le montant disponible pour leurs vieux jours. Le revenu mensuel de ces derniers dépend directement des performances boursières et de la gestion du régime de retraite.

Pour les travailleurs cotisant religieusement à un régime avec des rentes déterminées d’avance, les surplus du régime sont sans impact. La valeur de leur placement aurait beau centuplée, ils n’en recevraient pas une cent de plus à leur retraite. En contrepartie, ils ont la sécurité de percevoir un montant fixe déterminé d’avance.

Les patrons refilent les risques aux travailleurs

Sans surprise, vous comprendrez que les régimes à prestations déterminés sont de moins en moins offerts par les employeurs. Ces derniers n’aiment pas être prisonnier d’ententes aussi contraignante et préfèrent refiler les risques du marché financier aux travailleurs. Les récentes tentatives d’Air Canada et de GM témoignent parfaitement de la situation.

Pour ceux qui versent de l’argent dans leur régime sans savoir ce qu’ils en retireront, ils n’ont aucune garantie de l’état de leurs finances à leur retraite. Les aléas du marché peuvent détruire leurs années de fidèles économies.

Dans l’éventualité où leur fonds connaîtrait des surplus, des clauses contractuelles en limitent la distribution. On imagine aussi les motifs d’une gestion préventive qu’utilisera une entreprise pour maintenir l’argent dans les coffres de ses fonds.

Des firmes comptables complaisantes

Dans son livre La dette : règlement de comptes, Gaétan Breton nous apprend une autre réalité vécue par les travailleurs. Puisque les employeurs choisissent la firme comptable responsable de la gestion du fonds de retraite, les employeurs ont tendance à prendre une firme qui minimise les montants que l’employeur a à cotiser pour les travailleurs.

Comme les calculs actuariels requièrent une certaine part de subjectivité, les prévisions de cotisations peuvent varier d’une firme comptable à l’autre.

Par exemple, les prévisions du rendement financier des fonds, de la mortalité des travailleurs et de leur conjoint, des probabilités qu’un travailleur demeure en service et du salaire des travailleurs lors de leurs cinq dernières années peuvent différer selon les anticipations des firmes comptables.

Les firmes comptables qui minimisent les cotisations à court terme de l’employeur auront donc toutes les chances d’obtenir le contrat de gestion de son fonds de retraite.

La création comptable de surplus permet aux employeurs de prendre congé de cotisation. Ils peuvent utiliser les nouvelles sommes à d’autres fins. Évidemment, tôt ou tard, la dure contradiction entre les paiements et le manque de liquidités finit par rattraper les fonds.

À ce moment, apparaissent les diagnostiques de faillite et de manque de compétitivité des salaires (jamais ceux des cadres supérieurs et des hauts dirigeants) et les demandes de concessions salariales des travailleurs !

La bourse n’est pas un bon instrument de redistribution de la richesse

Finalement, contrairement à ce que soutient M. Marchon au sujet des actifs financiers détenus par les travailleurs, il faut rappeler que la bourse n’est vraiment pas un espace idéal à la redistribution de la richesse au Canada.

Les 20 % des Canadiens les plus pauvres n’ont aucun investissement et les 40 % suivant détiennent une fraction marginale de l’ensemble des titres financiers détenus au Canada.