Garder l’œil ouvert sur les politiques et non sur le parti

2007/06/26 | Par Jim Stanford

Jim Stanford est économiste pour les TCA-Canada
Notre traduction d'un article paru dans l’édition du 22 juin du Globe and Mail

Tony Blair quitte la scène politique britannique la semaine prochaine. Quel est son bilan ? Cela est ouvert au débat. Qu’il ait remporté trois élections consécutives en fait le plus populaire premier ministre de gauche du pays. Mais l’est-il vraiment?

J’adhère à la vieille notion selon laquelle ce que réalise un politicien en fonction est plus important que le nombre d’élections qu’il remporte. Selon ces critères, il est difficile de conclure que M. Blair était de gauche.

La Grande-Bretagne a reculé au cours de cette période dans les domaines les plus importants pour les gens qui sont de notre côté du spectre politique. La Grande-Bretagne est une société plus inégale que lorsque M. Blair est arrivé au pouvoir. Et si l’on considère qu’il devait composer avec l’héritage de Mme Thatcher, cela n’est pas peu dire.

Bien entendu, personne ne s’attendait à ce que M. Blair renverse les changements dramatiques effectuées par Mme Thatcher. Il a pris le pouvoir en 1997 après avoir délibérément dilué les politique du Parti travailliste et en prenant ses distances avec le passé. Mais peu de personnes croyaient qu’il entraînerait la Grande-Bretagne dans une mauvaise direction.

Sept domaines où il a péché

Voici sept domaines où la Grande-Bretagne a viré vers la droite durant les mandats successifs de M. Blair. Cette liste ne comprend même pas l’appui aux aventures militaires de George W. Bush. Elle se concentre sur la politique intérieure.

Inégalités. L’inégalité des revenus et la pauvreté n’ont pas bougé, demeurant aux niveaux atteints sous Mme Thatcher. L’inégalité au plan de la richesse est encore pire. En 1997, le 1% le plus riche des Britanniques possédaient un quart de toute la richesse (excluant les résidences). Aujourd’hui, ils en possèdent le tiers.

Enfants. Rien n’en dit plus sur l’âme d’une nation que la façon dont elle traite ses enfants. L’an dernier, le Royaume-Uni est arrivé au dernier rang de la liste de 21 pays industrialisés préparée par l’UNICEF sur la qualité de vie des enfants.

Frais de scolarité. Même lorsqu’ils fréquentent les institutions d’enseignement, M. Blair ne ménage pas les jeunes. Il a renié une promesse électorale en introduisant des frais de scolarité « sensibles au marché » qui représentent plusieurs milliers de dollars pour les études universitaires.

Syndicats. M. Blair a maintenu presque toutes les législations anti-syndicales de Mme Thatcher et le taux de syndicalisation a continué de chuter.

Industrie. Plus de 1,25 million d’emplois manufacturiers ont disparu sous le gouvernement de Blair, consolidant le statut de la Grande-Bretagne comme ayant jadis été un pays industrialisé. Il a supervisé la presque disparition de l’industrie automobile et a assisté à l’augmentation du déficit commercial pour les produits industrialisés jusqu’à 6,5% du Produit industriel brut.

Privatisations. M. Blair a poursuivi la politique de vente des actifs publics de Mme Thatcher, mais en le faisant de façon déguisée. Il a créé des Partenariats public-privé dans lesquels les payeurs de taxes assument les risques et les investisseurs empochent les profits.

Le Parti travailliste. Inutile de dire que les militants qui ont travaillé pour faire élire M. Blair ont rapidement perdu leur enthousiasme devant son absence de principes. C’est de façon délibérée que M. Blair a rompu le lien entre les politiques gouvernementales et les décisions de son parti. C’était normal que le membership du parti chute de moitié au cours de son règne, laissant son successeur sans organisation de base.
Dans tous les cas, ce n’est pas que M. Blair ait failli à rappeler les politiques de droite de Mme Thatcher. C’est plutôt le fait qu’il ait engagé la Grande-Bretagne dans une mauvaise direction. En dépit de quelques mesures positives (comme l’établissement d’un salaire minimum et de modestes augmentations des dépenses dans les services publics), il ne fait aucun doute que le pays demeure un des pays les plus orientés vers le marché, les plus dominés par les milieux d’affaires des pays développés.

Des leçons pour la gauche

Des leçons peuvent être tirées de l’héritage de M. Blair pour ceux qui aspirent encore à construire une société plus inclusive, plus égalitaire. La plus importante est que de se contenter d’élire quelqu’un qui professe partager vos orientations ne nous assure pas qu’il va se diriger dans la bonne direction. En somme, on peut dire aujourd’hui que le but de M. Blair était de se faire élire, non de changer la société. En dépit du soulagement que constituait le fait de mettre fin au règne des Conservateurs, cela n’a pas suffi à remettre la Grande-Bretagne sur la bonne voie.

Pire encore, les groupes qui auraient dû exiger plus de M. Blair ont été bâillonnés à cause de leur soutien à la stratégie électorale du Parti travailliste. La plupart sont demeurés cois quand il était évident que M. Blair empruntait une direction de plus en plus conservatrice. Ce n’est que tout récemment qu’ils ont recouvré la voix.

C’est une leçon cruciale que la gauche canadienne doit garder en mémoire, étant donné notre paysage politique fracturé et confus. L’expérience du « blairisme » démontre qu’il faut garder les yeux sur l’objectif (c’est-à-dire de meilleures politiques – et non sur le parti.