Tony Blair : un modèle pour le Québec?

2007/06/26 | Par L’aut’journal 

Le Premier ministre britannique Tony Blair tire sa révérence et quitte Downing street après 10 ans à la tête du pays. Pour l'occasion, nous vous présentons trois textes qui posent un regard critique sur ses années de gouvernance au sein du Parti travailliste.


SOMMAIRE

1. Le « New Labour » : un modèle pour le Québec?
par SPQ Libre

2. Garder l'oeil ouvert sur les politiques et non sur le partipar l'économiste Jim Stanford

3. Les PPP sous Tony Blair, par L'aut'journal d'après un article paru dans Le Monde Diplomatique de juin 2007.

Le « New Labour » : un modèle pour le Québec?

Il vaut mieux y regarder de plus près...

par SPQ Libre

Il est de bon ton dans certains milieux de vanter la soi-disant réussite économique du gouvernement de Tony Blair, son contrôle de la dette publique, son faible taux de chômage. Mais, avant d’ériger en modèle l’exemple néo-travailliste, il vaut mieux y regarder d’un peu plus près. Deux livres publiés récemment, Thatcher And Sons (Penguin) de Simon Jenkins et Le royaume enchanté de Tony Blair (Fayard) de Philippe Auclair tracent un bilan des dix années de gouvernement Blair. En voici les faits saillants.

Une piètre performance économique

L’alter ego de Tony Blair, le ministre des Finances Gordon Brown, déclarait dans sa présentation du budget 2006 : « La Grande-Bretagne vit aujourd’hui sa plus longue période de croissance économique soutenue depuis qu’on a commencé à la mesurer en 1701. En termes d’inflation, d’emploi et de niveau de vie, elle n’a pas offert une telle combinaison depuis des générations. »

Dans le contexte actuel de flambée des prix du pétrole, la Grande-Bretagne a l’énorme avantage de pouvoir bénéficier de l’extraction du pétrole de la Mer du Nord. Sa production de brut équivaut à sa consommation.
 
Malgré cela, le Royaume-Uni est tombé au 19e rang sur les 25 pays européens pour la performance économique. Au troisième trimestre de 2005, sa croissance n’a été que de 1,75 %. Sa performance est la plus modeste des pays du G-8.

Un endettement astronomique

Alors qu’entre 1997 et 2002, tous les autres grands pays de l’Union européenne réduisaient leurs prélèvements fiscaux, la Grande-Bretagne les augmentait de 1,6 %. Cela ne l’empêchait pas de briser la « règle d’or » du traité de Maastricht, selon laquelle le déficit budgétaire d’un pays ne doit pas excéder 3 % du PIB. Il atteint aujourd’hui 3,3 %, alors qu’il n’était que de 1,53 % en 2002. La participation de la Grande-Bretagne à la guerre en Irak et en Afghanistan n’y est pas étrangère.

Avec une dette « officielle » de 644 milliards d’euros, le ministre des Finances Gordon Brown affirme qu’il contient l’endettement de l’État sous la barre des 40 % du PIB. Mais ces chiffres sont contestés. Ils ne tiennent pas compte de la somme astronomique de 1000 milliards d’euros que le gouvernement doit assumer pour le paiement des retraites. Ni des 145 milliards de dettes qu’on a fait disparaître par un tour de passe-passe comptable dans les fameux partenariats publics-privés, ni le passif de 30 milliards du Network Rail, la firme dite d’intérêt public qui gère le réseau des chemins de fer. La dette totale s’élèverait donc à 1 819 milliards d’euros, soit 652 milliards de plus que la dette jugée « catastrophique » de la France !

Lucien Bouchard et les Lucides ont pointé du doigt la faible productivité des travailleurs québécois. La solution ne réside manifestement pas dans le modèle blairiste. La productivité des travailleurs anglais est de 10 % inférieure à celle de leurs collègues allemands et français.

Des chômeurs camouflés en « malades »

Le « New Labour » se vante d’un taux de chômage qui tourne autour de 5 %. Mais deux chercheurs de l’université Hallam de Sheffield se sont intéressés à l’évolution des courbes du taux de chômage et du nombre de Britanniques touchant une pension d’invalidité ou une allocation maladie de longue durée. Ils se sont rendu compte que la deuxième courbe augmentait pendant que la première déclinait.

Dans leur étude intitulée Glissement du « chômage » vers la « maladie », Christina Beatty et Stephen Fothergill démontrent que le nombre de « malades » a quadruplé en 25 ans, si bien qu’au 1er janvier 2006, on dénombrait 1 530 000 sans-emploi pour 2,7 millions de « malades » qui n’étaient pas pris en compte dans les statistiques du chômage. Comme par hasard, les régions dans lesquelles on recense le plus de « malades inemployables » sont celles où la désindustrialisation a été la plus brutale. Selon les calculs des deux auteurs, le taux de chômage véritable s’établirait à 8,8 %.

Une nouvelle catégorie sociale : les « fat cats »

Depuis l’arrivée au pouvoir du « New Labour », la fracture sociale s’est aggravée. Entre 1993 et 2003, les revenus ont augmenté de 45 % en moyenne, mais de 288 % pour les plus hauts revenus, ceux que les Britanniques appellent les « fat cats ». De 1986 à 2002, les 1 % les plus riches de la population ont vu leur part de la richesse nationale passer de 25 à 35 %, alors que celle de la moitié la plus pauvre n’était que de 6 %. Des chiffres records pour l’Europe.

Selon l’indice de pauvreté en vigueur en Europe, il y a 13 millions de pauvres en Grande-Bretagne, soit près du quart de la population. Un enfant sur trois et un retraité sur cinq vivent sous le seuil de la pauvreté. Il faut remonter à 1935 pour voir un gouvernement britannique construire moins de logements sociaux que le « New Labour ».

L’endettement personnel des Britanniques est plus du double de ce qu’il était lorsque le « New Labour » a pris le pouvoir. Il faudrait que les 60 millions de Britanniques versent l’intégralité de leurs revenus pendant un an et demi pour éponger leur dette personnelle. On estime que tout étudiant parvenu au terme du bac aura accumulé 30 000 euros de dettes.

Le salaire minimum est un des moins généreux de toute l’Europe. Cela n’est pas étranger au fait que le taux de syndicalisation soit passé de 32,7 % à 29 % entre 1995 et 2004.

Le « New Labour » a réduit le poids de l’impôt sur le revenu et augmenté les taxes indirectes qui frappent indistinctement riches et pauvres. Il s’oppose farouchement à toute idée de redistribution de la richesse pour ne pas « pénaliser » la réussite.

Faut-il se surprendre que la population carcérale soit passée de 61 114 à 77 388 prisonniers entre 1997 et 2005, soit le nombre record de prisonniers par habitant en Europe ?!

Une école à trois vitesses

« Mes trois priorités sont : l’éducation, l’éducation et l’éducation », déclarait Tony Blair à la convention du Parti travailliste en 1997. Son parti a instauré le libre choix de l’école et un mode de financement par objectifs (« targets ») qui vise à récompenser par des subventions accrues les établissements qui prouvent leur réussite et à pénaliser les autres.

On parle aujourd’hui d’un système à trois vitesses avec l’école privée, l’école confessionnelle et l’école laïque en bas de l’échelle. Avec cette ghettoïsation, c’est finalement les écoles qui choisissent leurs parents et non l’inverse. Nous pourrions également parler longuement du réseau de la santé avec ses PPP, sa pénurie de personnel, son sous-financement et ses listes d’attente.

Le « New Labour », un modèle pour le Québec ?

Après onze années de contre-révolution conservatrice avec Margaret Thatcher, marquées d’affrontements violents avec le mouvement syndical, par le démantèlement de l’État-providence et des politiques favorisant l’enrichissement d’une minorité, les Britanniques avaient mis beaucoup d’espoir dans l’élection du Parti travailliste de Tony Blair.

Mais une fois au pouvoir, Blair a révisé le programme du son parti pour se démarquer de la social-démocratie, a rompu avec sa base syndicale et a proposé une « nouvelle social-démocratie » (« New Labour ») qui n’était que la continuation sous une autre forme des politiques thatchériennes. Tony Blair et son successeur présumé Gordon Brown sont bel et bien les fils spirituels de Margaret Thatcher comme l’affirme Simon Jenkins dans Thatcher And Sons.

En transformant le « Labour Party » en « New Labour », Tony Blair privait les Britanniques de leur parti progressiste et les laissait sans alternative face à la droite conservatrice. Ils en payent aujourd’hui le prix.

Marc Laviolette, Président
Pierre Dubuc, Secrétaire
Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre

Garder l'oeil ouvert sur les politiques et non sur le parti

La leçon à retenir des années Tony Blair

par Jim Stanford
Jim Stanford est économiste pour les TCA-Canada
Notre traduction d'un article paru dans l’édition du 22 juin du Globe and Mail

Tony Blair quitte la scène politique britannique la semaine prochaine. Quel est son bilan ? Cela est ouvert au débat. Qu’il ait remporté trois élections consécutives en fait le plus populaire premier ministre de gauche du pays. Mais l’est-il vraiment?

J’adhère à la vieille notion selon laquelle ce que réalise un politicien en fonction est plus important que le nombre d’élections qu’il remporte. Selon ces critères, il est difficile de conclure que M. Blair était de gauche.

La Grande-Bretagne a reculé au cours de cette période dans les domaines les plus importants pour les gens qui sont de notre côté du spectre politique. La Grande-Bretagne est une société plus inégale que lorsque M. Blair est arrivé au pouvoir. Et si l’on considère qu’il devait composer avec l’héritage de Mme Thatcher, cela n’est pas peu dire.

Bien entendu, personne ne s’attendait à ce que M. Blair renverse les changements dramatiques effectuées par Mme Thatcher. Il a pris le pouvoir en 1997 après avoir délibérément dilué les politique du Parti travailliste et en prenant ses distances avec le passé. Mais peu de personnes croyaient qu’il entraînerait la Grande-Bretagne dans une mauvaise direction.

Sept domaines où il a péché

Voici sept domaines où la Grande-Bretagne a viré vers la droite durant les mandats successifs de M. Blair. Cette liste ne comprend même pas l’appui aux aventures militaires de George W. Bush. Elle se concentre sur la politique intérieure.

Inégalités. L’inégalité des revenus et la pauvreté n’ont pas bougé, demeurant aux niveaux atteints sous Mme Thatcher. L’inégalité au plan de la richesse est encore pire. En 1997, le 1% le plus riche des Britanniques possédaient un quart de toute la richesse (excluant les résidences). Aujourd’hui, ils en possèdent le tiers.

Enfants. Rien n’en dit plus sur l’âme d’une nation que la façon dont elle traite ses enfants. L’an dernier, le Royaume-Uni est arrivé au dernier rang de la liste de 21 pays industrialisés préparée par l’UNICEF sur la qualité de vie des enfants.

Frais de scolarité. Même lorsqu’ils fréquentent les institutions d’enseignement, M. Blair ne ménage pas les jeunes. Il a renié une promesse électorale en introduisant des frais de scolarité « sensibles au marché » qui représentent plusieurs milliers de dollars pour les études universitaires.

Syndicats. M. Blair a maintenu presque toutes les législations anti-syndicales de Mme Thatcher et le taux de syndicalisation a continué de chuter.

Industrie. Plus de 1,25 million d’emplois manufacturiers ont disparu sous le gouvernement de Blair, consolidant le statut de la Grande-Bretagne comme ayant jadis été un pays industrialisé. Il a supervisé la presque disparition de l’industrie automobile et a assisté à l’augmentation du déficit commercial pour les produits industrialisés jusqu’à 6,5% du Produit industriel brut.

Privatisations. M. Blair a poursuivi la politique de vente des actifs publics de Mme Thatcher, mais en le faisant de façon déguisée. Il a créé des Partenariats public-privé dans lesquels les payeurs de taxes assument les risques et les investisseurs empochent les profits.

Le Parti travailliste. Inutile de dire que les militants qui ont travaillé pour faire élire M. Blair ont rapidement perdu leur enthousiasme devant son absence de principes. C’est de façon délibérée que M. Blair a rompu le lien entre les politiques gouvernementales et les décisions de son parti. C’était normal que le membership du parti chute de moitié au cours de son règne, laissant son successeur sans organisation de base.
Dans tous les cas, ce n’est pas que M. Blair ait failli à rappeler les politiques de droite de Mme Thatcher. C’est plutôt le fait qu’il ait engagé la Grande-Bretagne dans une mauvaise direction. En dépit de quelques mesures positives (comme l’établissement d’un salaire minimum et de modestes augmentations des dépenses dans les services publics), il ne fait aucun doute que le pays demeure un des pays les plus orientés vers le marché, les plus dominés par les milieux d’affaires des pays développés.

Des leçons pour la gauche

Des leçons peuvent être tirées de l’héritage de M. Blair pour ceux qui aspirent encore à construire une société plus inclusive, plus égalitaire. La plus importante est que de se contenter d’élire quelqu’un qui professe partager vos orientations ne nous assure pas qu’il va se diriger dans la bonne direction. En somme, on peut dire aujourd’hui que le but de M. Blair était de se faire élire, non de changer la société. En dépit du soulagement que constituait le fait de mettre fin au règne des Conservateurs, cela n’a pas suffi à remettre la Grande-Bretagne sur la bonne voie.

Pire encore, les groupes qui auraient dû exiger plus de M. Blair ont été bâillonnés à cause de leur soutien à la stratégie électorale du Parti travailliste. La plupart sont demeurés cois quand il était évident que M. Blair empruntait une direction de plus en plus conservatrice. Ce n’est que tout récemment qu’ils ont recouvré la voix.

C’est une leçon cruciale que la gauche canadienne doit garder en mémoire, étant donné notre paysage politique fracturé et confus. L’expérience du « blairisme » démontre qu’il faut garder les yeux sur l’objectif (c’est-à-dire de meilleures politiques – et non sur le parti.

Les PPP sous Tony Blair

Une formule coûteuse, inefficace et destructrice de la fonction publique

par L'aut'journal

Dans son édition de juin 2007, le mensuel français Le Monde Diplomatique publie, sous la plume de Richard Gott, un bilan de la gouverne de Tony Blair. Tout l’article est à faire lire à ceux qui voudraient s’inspirer du « New Labour » de Blair pour « moderniser » la social-démocratie.

Particulièrement instructif et approprié dans le contexte actuel est le bilan de cette initiative de Margaret Thatcher développé par Blair que sont les Partenariats Privé-Public, connus en Angleterre sous le vocable PFI pour Private Finance Initiative. Citons ce qu’en dit Richard Gott :

« Le prolongement le plus significatif du thatchérisme a été l’initiative pour le financement privé (Private Finance Initiative, PFI) permettant aux entreprises privées de fournir des prestations de santé et d’éducation jusque-là assurées par le service public. La PFI était un projet de M. Major, avancé en 1992, par le chancelier de l’Échiquier de l’époque, M. Norman Lamont. Il visait à mobiliser des entreprises privées pour construire et gérer des hôpitaux et des écoles. Les sociétés concernées disposeraient d’une concession pouvant aller jusqu’à cinquante ans, et récupéreraient leur mise de fonds par des versements annuels du contribuable.

Des projets pilotes furent mis en place par les conservateurs, mais la PFI ne prit réellement son ampleur que lorsqu’elle fut adoptée avec enthousiasme en 1997 par M. Gordon Brown, chancelier de l’Échiquier. M. Brown s’était engagé à augmenter les investissements dans le secteur public, tout en ne sortant pas des étroites limites des capacités d’emprunt de l’État héritées des conservateurs. Le problème paraissait insoluble, mais la PFI apportait la réponse. Le gouvernement pouvait se procurer aujourd’hui les fonds nécessaires aux investissements et les rembourser ultérieurement.

La finance privée est plus coûteuse

Le revers de la médaille était que les sommes ainsi avancées devraient être remboursées à un niveau très supérieur à celui d’un investissement traditionnel. Ainsi, à la fin de l’année 2005, avaient été signés des contrats d’une hauteur de presque 50 milliards de livres, engageant les contribuables à verser vingt annuités de 7,5 milliards de livres, soit un total de 150 milliards de livres.

La PFI s’est maintenant étendue à la construction de routes et de prisons, aux technologies de l’information, cependant que les autorités locales l’utilisent pour le logement, les bibliothèques, l’éclairage public. C’est le ministère de la Défense qui est le plus gros utilisateur de la PFI. Au point que les conservateurs ne reconnaissent plus la paternité de ce positif. M. Lamont déclarait ainsi en 2002 : « La PFI n’avait jamais été conçue comme une manière de trouver des financements alternatifs. Je pense qu’elle est dangereuse car la finance privée est plus coûteuse. »

La « modernisation » de l’État : les consultants remplacent les chapeaux melons et parapluies

Pour les bénéficiaires des contrats de la PFI figurent les innombrables consultants de quatre grandes sociétés : Pirce-WatherhouseCoopers, KPMG, Deloitte & Touche et Ernst & Young.

L’une des ambitions de M. Blair était de « moderniser » le fonctionnement de l’administration, et il parlait d’une « réforme du service public centrée sur des objectifs ». L’explosion des contrats de consultants privés impliqués dans les activités jusque-là assurées par des fonctionnaires a effectivement entraîné des restructurations fondamentales de l’administration.

Les fonctionnaires des films comiques de l’après-guerre, arborant chapeau melon et parapluie, ont depuis longtemps disparu. Ils avaient été formés pour conseiller les décideurs politiques, pas pour gérer des projets. Ces tâches sont maintenant entre les mains de jeunes consultants privés.

La PFI, qui figure parmi les projets de prédilection de M. Blair, s’est révélée hautement impopulaire, et de plus en plus incapable de remplir ses objectifs. Ceux fixés pour les écoles et les hôpitaux n’ont pas été atteints. Les réformes en matière de technologies de l’information se sont avérées coûteuses et inadéquates. Les infirmières et les enseignants sont descendus dans la rue pour manifester leur mécontentement. Un ancien conseiller ministériel a pu parler de l’« échec de l’État McKinsey ».

D’autres ont évoqué le mécanisme de la « porte-tambour » : des consultants privés sont recrutés pour gérer des projets publics, cependant que des hauts fonctionnaires partent en retraite anticipée pour se faire engager par les sociétés conseil. La politique n’est plus associée aux idées, mais à l’efficacité de la machine administrative. Le seul choix offert aux électeurs est de désigner le personnel jugé le plus apte à gérer ces réformes administratives. »

Bien entendu, toute ressemblance avec les projets du gouvernement du Québec du prolongement de l’autoroute 25 ou de l’îlot Balmoral n'est que le fruit du hasard.