Sarkozy : travail, lèche et bonapartisme

2007/08/10 | Par Camille Beaulieu

Rouyn-Noranda- Émule d’Iznogoud, ce « workoolic » devient sympathique de manger si compulsivement ses bas pour la présidence. L’étalage public de ses déboires conjugaux vaut bien le coït interrompu de Félix Faure, lequel, raillait Clemenceau, vécut César pour mourir Pompée. Mais Nicolas Sarkozy s’inspire plutôt de Napoléon, le réformateur iconoclaste.

Catherine Nay (experte en grands fauves : Mitterand, Giscard et Chirac) brosse un portrait à la hussarde du paquet surprise que les Français viennent de porter à l’Élysée. Nicolas Sarkozy fascine et dérange, constate-t-elle, parce qu’il : « est à tous égards un homme politique hors normes. »

Racines « draculesques »

Côté cour, Nicolas Sarkozy est le fils d’un hobereau hongrois, Pal Sarkozy de Nagybosca. Racines « draculesques » auxquelles le blason familial, un loup nanti d’un sabre, ajoute un je-ne-sais-quoi d’inquiétant. Réfugié en France à la fin de la guerre, le papa délaisse sa nichée, fait fortune dans la publicité et se dissout dans le plaisir. « Son retour vers la famille, constate Nay, sera proportionnel à la montée de Nico en politique.»

Ce déchirement est la source vraisemblable de l’incroyable énergie mise, sa vie durant, par Sarkozy à arriver.

Un pouvoir nommé désir

Côté jardin, notre homme rafraîchit. Non qu’il soit tout blanc, lui aussi traîne ses casseroles, ce qu’on appelle des affaires en France; mais qui n’a pas ses petits défauts. Sarkozy s’est mérité la confiance d’une large majorité des Français dans son rôle de réformateur inflexible au Budget puis à l’Intérieur. Le Sarkozy d’« un pouvoir nommé désir » détonne de ses prédécesseurs par sa mesure. Mitterand, hédoniste inspiré du Quattrocento. Chirac, faux soudard aux saillies de casernes : « À nos femmes. À nos chevaux. Et à ceux qui les montent ! »

Pour le meilleur comme pour le pire, Sarkozy, lui, reflète des valeurs bourgeoises: travailleur, efficace, égotiste et tout à la fois roublard et sentimental.

Lèche et trahisons

Nicolas Sarkozy est né à 19 ans, en collant sa première affiche pour l’UDR en 1974. Il devient gaulliste alors que Pompidou se meurt. Au portillon des présidentiables de droite, Valéry Giscard d’Estaing se pourlèche les babines avec la langue de Jacques Chirac dans le dos du candidat gaulliste officiel, Jacques Chaban-Delmas.

Cette trahison accouchera d’un néologisme : « se faire chabaniser ». Ce sera la première leçon de politique d’un Nicolas trop jeune pour voter. Fidèle, Sarko ne deviendra l’homme de Chirac qu’après la création du RPR sur la dépouille de l’UDR en 1975.

La lèche, par contre, Nicolas Sarkozy la pratique sans vergogne. Les hiérarques historiques d’abord, les André Malraux, Michel Debré ou Olivier Guichard : « Vous êtes mes idoles ! ». Puis viennent les allégeances plus significatives. Charles Pasqua, qui l’intronisera en politique croyant trouver son homme lige.

Suivront au fil des ans, Jacques Chirac, pour le cornaquer de gré ou de force, le plus souvent de force, jusqu’à la présidence. Achille Peretti, dont le trépas le fera maire de Neuilly en 1983, la plus riche ville de France. Édouard Balladur, enfin, par qui il devient ministre du Budget et s’émancipe de Chirac dès 1993.

Dans l’orbite de chaque mentor, Nicolas accélère sa trajectoire par effet de fronde gravitationnelle, quitte à casser la baraque: « Qu’est-ce qu’il a ce garçon, s’inquiétera Charles Pasqua. Il a toujours voulu prendre mes places ! » Sarkozy observera, un jour de lucidité : « Je les ai tous niqués ! »

L’affaire Human Bomb, la prise en otage de 21 écoliers dans sa bonne ville de Neuilly en1993, l’extirpe enfin du peloton des interchangeables politiques. Sarkozy ira sept fois seul dans la classe négocier des libérations. Le ravisseur sera abattu à l’issue de deux jours de palabres incohérents.

Les présidentielles de 1995 portent Chirac à l’Élysée. Sarkozy qui s’est commis en faveur de Balladur, ex-premier ministre de Mitterand, passe un mauvais quart d’heure. Nouvelle cohabitation en 1997, Alain Juppé cède Matignon au socialiste Lionel Jospin. Sarkozy et Balladur profitent du flottement pour investir le RPR. Les deux hommes « chabaniseront » progressivement le président en s’acoquinant avec Philippe Séguin jusqu’à contrôler et le groupe parlementaire et le parti.

L’indispensable

En 2001 Sarkozy signe un ouvrage : « Libre », qu’il pourrait, comme Montaigne, résumer par : « je suis la matière de mon livre ! » Ses classes sont faites, Sarkozy est devenu indispensable. « Si je nomme Sarko à Matignon, confie Chirac, trois mois plus tard on se demandera qui est le grand type derrière lui sur la photo ! » Sarkozy ira donc à l’Intérieur;…En liberté surveillée : « Je décide, lance lourdement Chirac, et il exécute ! »

Or, l’insécurité est l’un des soucis majeurs des Français. Sarkozy réforme les polices et rassure par une opération quotidienne. Ce qui lui vaut des sobriquets politiquement porteurs : « Speedy Sarko » et « Premier flic de France. » Sa popularité grimpe en flèche malgré quelques impairs: la racaille à Argenteuil, la pédophilie héréditaire, les suicides de jeunes pour cause d’instabilité génétique.

C’est qu’il n’est pas toujours con Sarkozy. Fin 2002, le ministre de l’Intérieur attaque de front deux dossiers pièges. L’Islam de France, qu’il unifiera au sein du Conseil français du culte musulman, comme Napoléon l’a fait pour les Israélites en 1807. Puis, pareille coïncidence ne s’invente pas, la Corse, où son référendum plus ou moins constituant échouera sans lui brûler les doigts. « La différence entre les ministres ne tient pas au talent, confie-t-il, mais à la charge de travail ! » Épaté, Chirac lui demande : « Comment tu fais ? »

De ce jour, l’hallali a sonné. La bête politique draine 6 600 000 téléspectateurs à : « 100 minutes pour convaincre » en 2003. Sarko raille maintenant ouvertement les manies présidentielles, ainsi de la ferveur de Chirac pour le Sumo : « Ces combats entre des types obèses au chignon gominé. Mitterand lui au moins avait du goût ! »

L’affaire Clearstream

Nicolas Sarkozy monopolise le terrain sans que l’Élysée ne trouve de contre-feu. Alain Juppé se fait oublier au Québec. Dominique de Villepin, manque de stature. Intervient alors cet épisode rocambolesque, où Villepin, ministre des Affaires étrangères en 2004, scrute avec le général Rondeau des comptes bancaires au Luxembourg parmi lesquels figure un certain Nagybosca, patronyme originel de Sarkozy. Il y aura enquête. C’est l’affaire Clearstream, qui menace aujourd’hui d’arroser l’arroseur.

Le cocu

La vraie crise reste cependant à venir. Nicolas Sarkozy hérite publiquement, en 2005, des cornes du cocu au profit d’un play-boy, Richard Attias, patron de Publicis Events. De ruptures en retrouvailles, sa femme, Cécilia, papillonne entre son amant à New York et son mari à Paris. Mais c’est Sarko qui perd des kilos : « Un séisme de force 9 à l’échelle de l’ego » diagnostique Catherine Nay.

Sarko se donne « cent jours »(sic) pour reconquérir sa belle. Incroyable mais vrai, il enlèvera puis remettra son alliance jusqu’à l’été 2006, selon que Cécilia branle côté politique ou publicité. Le Paris Match compte les « rounds. » Les Français, fascinés, ne perdent rien des rebondissements. Nicolas a cinquante ans. Il devient « le ministre au coeur blessé. »

Mais nous sommes dans l’univers de Perrault et le Petit Poucet réintègre le bercail avec les beaux jours. Coïncidence, les élections présidentielles sont en route. Coincé, Chirac pardonne... à charge de revanche après les élections ? Conséquence, Niko l’emportera sur Ségo.

Catherine Nay brossse avec un brin de complaisance la saga tragi-comique d’un volontariste prédestiné : « Je n’ai pas envie d’être président, dira-t-il en 2006. Je dois être président ! » Son logiciel politique, constate la biographe, tient au compromis entre un État très présent et dirigiste, et les lois du marché et de la mondialisation. Cette étiquette politique s’appelle bonapartisme. Un programme qui ressemble à la quadrature du cercle et promet de désespérer Billancourt.30

Un pouvoir nommé désir
Biographie de Nicolas Sarkozy
Par Catherine Nay
Grasset 2007