Qui gouverne au Québec?

2007/08/27 | Par Jean Dorion

Mes chers amis,

Les trente années de la Loi 101 ont été marquées par des progrès, mais aussi par des échecs et des incertitudes qui, présentement, s’accroissent au lieu de diminuer.

Ne méprisons pas les progrès accomplis, en particulier ceux qui ont changé, dans une certaine mesure, les attitudes des diverses composantes de notre population : francophone, anglophone et allophone qui, chacune à sa façon, avaient tendance avant l’adoption de la Loi 101 à considérer le statut inférieur des Québécois de souche comme une inaltérable réalité de la vie, et à en tirer les conclusions dans leurs comportements respectifs. Ceux d’entre nous qui sont assez âgés pour avoir connu le Québec d’avant 1977 sont les plus en mesure d’apprécier à cet égard les effets de la Loi.

(photo: Normand Lacasse. Jean Dorion, lors d'un discours le 29 avril dernier)

Les tribunaux ont imposé l’usage du français parallèlement à l’anglais

Cela dit, les tribunaux canadiens ont démantelé la Loi. D’une loi qui normalisait le statut du français au Québec, en lui donnant les prérogatives que détiennent habituellement les langues nationales dans leurs pays respectifs, les tribunaux ont fait graduellement une loi autorisant ou, dans le meilleur des cas, imposant l’usage du français, mais parallèlement à celui de l’anglais. Ce fut le cas entre autres pour la langue du commerce, la langue de travail, la langue des services professionnels, la langue des lois et des tribunaux.

Dans le cas des services professionnels, par exemple, la loi originale donnait à tous le droit de recevoir en français les soins de santé, y compris le dossier médical, la prescription, etc., (sans interdire une autre langue si le patient le demandait).

En 1983, la Cour supérieure a décidé que le droit au français n’existait que si le patient en faisait la demande préalable. Disons que, surtout dans l’état actuel de nos services de santé, ce n’est pas la priorité de celui qui est hospitalisé d’urgence, encore moins s’il comprend l’anglais.

Le patient n’a aucun rapport de force dans un hôpital et ne veut surtout pas faire d’histoire et indisposer le personnel soignant. J’ai vécu moi-même l’expérience et me suis retrouvé avec dossier et prescription en anglais.

La Cour Suprême a permis le jugement en anglais du juge Hilton

Dans le cas de la langue des lois et des tribunaux, c’est à une décision de la Cour Suprême de 1979, annulant un chapitre entier de la Loi 101, que nous devons d’avoir reçu cette semaine du juge Hilton un jugement de 41 pages en anglais seulement, dans un procès qui concerne éminemment toute la population du Québec et où notre gouvernement était une partie en cause. Avec la Loi 101 originale, cela eût été impossible.

Mais le plus grave dans le jugement Hilton-Dalphond, c’est sa portée, bien sûr, que vous connaissez tous. Il permettrait aux riches de contourner les dispositions de la Loi 101 concernant l’accès à l’école anglaise. Pas besoin d’être très riche : le coût d’une seule année pour un seul enfant dans une école non-subventionnée règlerait le cas de la famille entière et de sa descendance. Et même les pauvres pourraient profiter de fondations mises sur pied à cet effet. Et Ottawa aime bien financer ce qui peut diviser les Québécois.

Forcés en plus de choisir nos mots

Que conclure, quand deux personnes nommées par le Premier ministre du Canada (parce qu’on parle de la Cour d’Appel du Québec, mais elle n’appartient pas du tout au Québec, c’est le fédéral qui nomme les juges), que conclure quand ces deux personnes prétendent annuler d’un trait de plume une loi de protection du français, une loi votée unanimement par les élus du peuple québécois, tous nos élus, ceux des trois partis représentés à l’Assemblée nationale ?

Que conclure quand en plus ces deux personnes agissent en s’appuyant sur une constitution imposé de force au Québec, en 1982, par dix gouvernements anglophones, un texte si contraire à nos intérêts nationaux, que tous nos gouvernements québécois ont refusé de le signer ?

René Lévesque, Pierre-Marc Johnson, Robert Bourassa, Daniel Johnson, Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, Bernard Landry, tous ont refusé de signer et Jean Charest aussi refuse de signer cette constitution que deux personnes invoquent pour défaire une loi protégeant l’avenir du français au Québec !

Et en plus, on nous balance 41 pages en anglais, sans même une traduction pour les indigènes, comme au temps béni des colonies!

Il paraît que c’est dangereux de dire que c’est méprisant ça ; il paraît que, si on dit que c’est méprisant, on risque de se retrouver en cour pour outrage au tribunal, avec une grosse amende à payer.

Alors je ne le dirai pas.
Mais il paraît qu’on a le droit de dire comment on se sent.
Moi, je me sens méprisé. Et vous autres?

Que conclure? Sinon que la liberté du peuple québécois, elle reste à conquérir.

Ça n’a pas de bon sens que de laisser les institutions d’un pays anglophone comme le Canada, où nous sommes seulement 22% de la population, décider de ce qu’on peut faire ou de ce qu’on ne peut pas faire pour protéger le français chez nous.

Retrouvons l’esprit qui animait Camille Laurin

C’est parce que vous savez cela que vous êtes ici aujourd’hui. La loi 101 de Camille Laurin a rompu avec la longue tradition de soumission observée tant par notre peuple que par ses élites depuis la Conquête et plus encore depuis l’écrasement de la Rébellion de 1837-38.

Camille Laurin ne s’est pas demandé si sa réforme plairait à nos maîtres, qu’ils soient d’Ottawa, de Toronto ou de Westmount. Il l’a faite contre eux.

Camille Laurin, le psychanalyste, connaissait mieux que quiconque les peurs ataviques de ses compatriotes : il ne s’est pas demandé si son projet obtiendrait l’appui spontané de René Lévesque, il a plutôt entrepris de le convaincre de sa nécessité.

Les trente ans de la Loi 101, célébrons-les dans l’esprit qui animait Camille Laurin et les militants de son temps. Cette célébration, elle ne marque pas la fin d’un cycle, elle est le coup d’envoi d’une nouvelle et longue et dure bataille, que nous allons gagner!

Merci.
Jean Dorion, 26 août 2007