Le poids de la langue québécoise

2007/08/28 | Par Jean-Claude Germain

Au Québec, chaque fois que les oiseaux volent bas, que la vie est poche et que le ciel est moche ; lorsque les chats sont nerveux et les enfants malcommodes ; chaque fois que les urgences débordent, que les ponts sont bloqués et que les portes d’ascenseur coincent ; quand le taux des suicides dépasse le taux des décrochages et des licenciements ; lorsque le niveau de l’eau baisse et que la fréquentation du bingo et des assemblées du PQ est en régression ; quand on a usé de tous les atermoiements, étiré tous les délais et épuisé tous les recours ; bref, quand on ne peut plus tergiverser, branler dans le manche ou stâller plus longtemps : le temps est mûr pour lancer une nouvelle campagne du Bon parler français. Ça marche à tout coup !

Lorsque rien ne va plus, blâmez l’orthographe et la grammaire pour toutes les fautes de la société. C’est une riposte imparable pour détourner l’attention et occulter les débats. Depuis maintenant plus d’un siècle, peu importe le diagnostic, la médication linguistique est toujours la même : il faut guérir la langue par la langue.

(Photo: Mathieu Roy. L'auteur au lancement du livre Rue Fabre, centre de l'univers, le 18 juin dernier)

La nouvelle Passionnara de l’orthographe

À preuve tout récemment, la même ministre qui avait sabré avec une remarquable insouciance dans les services de l’Office de la langue française et dans les programmes de francisation, Michelle Courchesne en l’occurrence, s’est révélée soudainement une véritable Passionnara de l’orthographe face aux fautes de français des élèves dans les écoles. No pasaràn ! Y passeront pas ! Mais ils ne redoubleront pas non plus ! Ce qui lui a valu l’appui unanime de tous les commentateurs et des éditorialistes !

Les fautes d’orthographe, c’est l’état ponctuel de la langue ! La francisation, c’est le poids de la langue ! Et nous ne sommes pas descendu dans la rue pour réclamer des dictées, mais pour exprimer nos vives inquiétudes sur le poids de la langue française dans la société québécoise, son poids dans la vie courante, dans le monde des affaires, dans le monde universitaire, collégial, son poids au conseil municipal de la ville de Montréal, dans le monde du travail, dans l’affichage, sur les ondes, l’Internet et son poids dans le doublage des films.

L’approche unique du Dr Camille Laurin

Nous sommes également ici pour célébrer le 30ème anniversaire de la Chartre de la langue français et honorer la mémoire du seul homme politique qui, dans toute l’histoire du Québec, a su proposer et imposer une approche linguistique autre que celle d’une campagne du Bon parler : le docteur Camille Laurin.

Il revenait sans doute à un authentique psychiatre d’établir que la schizophonie n’était pas une maladie atavique, mais un symptôme. « Si le Québec a mal à sa langue, c’est que le corps entier de la nation est malade. Et c’est tout le corps qu’il faut guérir », répétait le docteur, au moment de l’adoption de la loi 101, en 1977.

«La Charte de la langue française n’est rien d’autre que le geste d’un peuple qui est résolu à vivre sa vie. Ce n’est pas au nom d’une vénération inconditionnelle pour la langue française prise comme une abstraction que le Québec se donne maintenant cette loi historique. C’est au nom du respect de soi-même.»

Le miroir de Lucien Bouchard

On se souviendra, lors du 20e anniversaire que le Premier ministre Lucien Bouchard avait des problèmes avec son miroir lorsqu’il oubliait de lui parler anglais. Ce qu’on ignore généralement, c’est qu’il en avait de plus graves encore lorsque le miroir lui répondait avec la voix posée et calme du docteur Laurin.

« L’apprentissage collectif de la confiance en soi suppose que nous nous débarrassions de ce sentiment de culpabilité qui nous paralyse à toutes les fois que, comme peuple, nous tentons de nous définir. Il faut cesser de croire que nous constituons un peuple généreux et admirable, parce que nous supportons vertueusement et dans un silence unanime une lente mais implacable dépossession.»

Quand la langue française fait du mauvais gras parce qu’on la gave de chips, pis de pinottes, pis de gros macs, pis de roteux all-dressed, pis de Kentucky fried chicken pis de fast food et de free delivery, on peut le prendre personnel.

Mais quand la langue française perd du poids à vue d’œil parce qu’on baisse les bras, qu’on regarde ailleurs en écoutant la musique du monde dans nos écouteurs, qu’on voudrait pas faire de peine à personne, qu’on s’accommode pour pas avoir l’air malcommode et qu’on crée une commission sur l’identité alors que le problème de l’identité canayenne – traduisez québécoise - est réglée depuis le XVIIe siècle et que la diversité culturelle fait partie de la réalité montréalais depuis l’ouverture de la première saison de traite. Là, y faut le prendre historique !

Radio-Canada a déjà remis la « province de Québec » à la mode, la commission Bouchard-Taylor s’apprête à redonner vie aux «french canadians », l’anniversaire du 30e de la loi 101 est l’occasion de ne pas oublier de se souvenir de ce que le docteur Laurin a incarné : la conviction inébranlable que l’identité, la langue et la culture d’un peuple et d’une nation ne sont pas négociables.