L’agenda secret de Daniel Audet

2007/10/04 | Par Pierre Dubuc

Daniel Audet a été le conseiller spécial du chef du Parti Québécois André Boisclair. Dans le magazine L’actualité (15 octobre 2007), il nous présente ses « 15 idées pour un Québec fort ». Disons qu'on l'a échappé belle !

Invité à l’émission Christiane Charrette de Radio-Canada (29 septembre), Daniel Audet déclarait qu’il peut maintenant dire tout haut ce qu’il pensait tout bas lorsqu’il était le principal conseiller d’André Boisclair.

Ce qu’il dit a effectivement le mérite d’être clair. « Les  lucides  ne vont pas assez loin », affirme aujourd’hui celui qui s’est trouvé une niche au lendemain des dernières élections à titre de vice-président du Conseil du patronat.

Les 15 idées de son agenda secret

Cet ancien directeur du cabinet de relations publiques National – qui se vante d’avoir fait de la politique au Parti libéral, du Québec et du Canada, avant de joindre au Parti Québécois – affirme dans les pages de L’actualité qu’« après 40 ans d’investissement dans le domaine social, il est temps que le Québec investisse dans la création de richesse, la productivité et l’esthétique (sic!) ».

Évidemment, il se garde bien de nous expliquer comment le Québec aurait pu se doter de tels programmes sociaux s’il n’avait pas créer de richesses au cours de ces 40 ans !

Daniel Audet dit avoir acquis la conviction que « le Québec est prêt pour son big-bang » qu’il résume en 15 idées. Au nombre de ces « brillantes idées », il y a celle de priver les finances publiques du Québec de deux de ses principales vaches à lait avec la privatisation de la Société des Alcools – sous le fallacieux prétexte que l’État n’a « rien à faire dans le commerce de détail » – et d’Hydro-Québec pour rembourser la dette et « libéraliser le secteur de l’énergie ». Par là, il entend, bien entendu, une hausse importante des tarifs d’électricité pour « refléter les prix du marché ».

Il n’est pas sans intérêt de se rappeler que M. Audet était dans l’entourage immédiat d’André Boisclair lorsque celui-ci a renversé une décision prise aux deux-tiers par le Conseil national du Parti Québécois en faveur de la nationalisation du secteur éolien.

Tout pour soulager le capital, rien pour soulager la misère

Il y a également lieu de se demander si les propos d’André Boisclair en faveur de l’adoption de politiques visant à « soulager le capital » ne lui avaient pas été chuchotés dans l’oreille par son conseiller spécial.

Au nombre des « idées » de ce dernier, il y a la proposition « d’alléger sensiblement la fiscalité des particuliers et tendre vers la diminution, voire l’élimination complète de la fiscalité des sociétés ».

La déclaration incendiaire d’André Boisclair à la veille des élections exprimant son intention de « mettre fin aux dîners bien arrosés avec les chefs syndicaux » a été mise sur le compte de son inexpérience politique, mais on peut légitimement se demander si elle n’était pas intentionnellement provocatrice lorsqu’on lit les propositions de celui qui était son principal conseiller.

Daniel Audet propose rien de moins que de « mettre fin à la sécurité d’emploi dans la fonction publique » et d’« introduire la concurrence dans la prestation de services à la population, entre les secteurs public et privé ».

C’est faire table rase – sans doute avec beaucoup d’« esthétisme » – d’un des principaux acquis de la Révolution tranquille, soit la création d’une fonction publique moderne, à l’abri du favoritisme et du trafic d’influence. On voit en effet mal quel chef syndical pourrait se retrouver aux côtés d’un chef de parti politique tenant de tels propos, ne serait-ce que pour l’apéro !

Un programme de saccage des programmes sociaux

Daniel Audet n’oublie pas qu’il a déjà siégé au conseil d’administration de l’Institut économique de Montréal. Aussi propose-t-il de « légaliser l’assurance maladie privée pour tous les services de santé ».

Une « idée » faite sur mesure pour les compagnies d’assurance, dont les deux plus importantes au Canada – la London Life et la Great-West – appartiennent à Power Corporation. Rappelons que c’est la femme de Paul Desmarais Jr, Hélène Desmarais, qui est à la tête de l’Institut économique de Montréal et que Power Corporation est un des principaux bailleurs de fonds de l’organisme.

Daniel Audet ne lésine pas. Si le Québec adoptait ses « idées », nous assisterions au retour des « Boubou-macoutes ». Il propose en effet d’ « instaurer un régime de travail et de formation obligatoire pour les bénéficiaires de l’aide sociale aptes au travail ».

Sa logique marchande s’insinue même dans les programmes sociaux les plus sensibles. Il prône d’ « établir un moratoire de 10 ans sur tout nouveau programme social non autofinancé ou non rentable à terme ». Pour illustrer son propos, il donne l’exemple des proches aidants dans le domaine de la santé. Un tel programme pourra être envisagé seulement, écrit-il, « s’il réduit les coûts du système de santé public. Autrement, il sera interdit. »

Dans son programme de destruction de l’État, M. Audet n’épargne personne. Il y en a pour le monde agricole avec sa proposition de « mettre fin aux régimes de gestion de l’offre et de contrôle des prix dans toutes les industries du Québec ».

Bien sûr, fera-t-on peut-être remarqué, il demande d’ « investir massivement dans l’éducation ». Mais il s’abstient de proposer le gel des frais de scolarité, encore moins la gratuité scolaire. Évidemment, lorsqu’on élimine l’impôt des corporations comme source de revenus, qu’on privatise Hydro-Québec et la SAQ, il faut bien aller chercher l’argent quelque part.

Le pôvre se sent bâillonné !

Nous ne saurons sans doute jamais combien de personnes partageaient les idées de Daniel Audet au sein de la direction du Parti Québécois, mais nous voyons bien que ses « 15 idées pour un Québec fort » constituent l’ossature du programme que les représentants de la droite québécoise propagent depuis quelques années en se servant de toutes les tribunes possibles. Et celles-ci ne manquent pas !

Cependant, les Québécoises et les Québécois leur opposent une farouche résistance, comme le confirment leur réaction aux propos de Lucien Bouchard sur le fait que nous ne travaillerions pas assez et leur opposition au projet du Cirque du Soleil à Pointe St-Charles, de Rabaska à Lévis, du CHUM dans la cour de triage d’Outremont.

Dans L’actualité, Daniel Audet présente ces quatre exemples comme « victimes » de ce qu’il appelle « le tribunal populaire des médias » en proclamant qu’ « il est urgent de mettre fin à cette démocratie du bâillon » ! Autrement dit, il appelle à faire fi du jugement populaire et à l’instauration de la « démocratie » des esprits éclairés comme le sien.

Nous prépare-t-on un « big bang »?

Comment vaincre la résistance populaire ? Daniel Audet déclare à L’actualité : « De mes conversations avec les représentants de cette élite québécoise, j’ai acquis la conviction que le Québec est prêt pour son big-bang ! ».

Ce sont là ses propos les plus inquiétants. Au cours des dernières années, les partisans du néolibéralisme ont compris qu’il fallait créer de toutes pièces une « crise » ou profiter d’une crise naturelle pour déjouer la résistance populaire et faire accepter des politiques similaires aux « 15 idées » de Daniel Audet.

L’auteure Naomi Klein analyse, dans son dernier ouvrage The Shock Doctrine: The Rise of Disaster Capitalism, cette théorie du « big bang » à partir des exemples du coup d’État au Chili en 1973, de l’intervention américaine en Irak, de l’ouragan Katrina et du Tsunami. (Nous y reviendrons dans un prochain article.)

La question qui se pose : M. Audet et ses collègues préparent-ils une « crise » artificielle ou encore s’apprêtent-ils à utiliser une crise d’origine naturelle (verglas, par exemple) pour faire avaler par la population québécoise leurs « 15 idées pour un Québec fort » ? Autrement dit, Daniel Audet a dévoilé son agenda secret, mais y a-t-il un mode d’emploi toujours caché?