Ingrid Betancourt sera-t-elle libérée ?

2007/10/16 | Par André Maltais

La franco-colombienne, Ingrid Bétancourt, chef d’un parti environnementaliste, a été enlevée le 23 février 2002 près de la municipalité de Florencia, en compagnie de sa responsable de campagne électorale, Clara Rojas.

Elle est détenue par les Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC), une guérilla mythique, en armes depuis 1964, et qui a résisté à une dizaine de présidents et aux plans américains Colombie et Patriote.

(Photo: César Carrion / Le président vénézuélien Hugo Chavez est reçu en Colombie par le président Alvaro Uribe, le 31 août 2007)

Les FARC, « l’ennemi indispensable »

Les FARC comptent aujourd’hui 17 000 combattants et sont dirigées par le légendaire « Manuel Marulanda » (dont le vrai nom est Pedro Antonio Marin) qui a plus de 70 ans et n’a jamais mis les pieds dans une grande ville.

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Alvaro Uribe, un président plus proche des paramilitaires que de toute autre composante de la société, la guérilla propose d’échanger 45 politiciens (incluant Bétancourt), militaires et policiers contre environ 500 de ses guérilleros emprisonnés.

Mais le gouvernement, qui s’entête à vouloir anéantir la guérilla n’a d’autre stratégie que de la couper politiquement de la population en lui collant sur le dos les atrocités commises par les forces armées et des paramilitaires qui, aujourd’hui, sont cravatés et infiltrés au sommet de l’État.

Même qu’au fil du temps, la guérilla démonisée (certains médias vont jusqu’à dire que les guérilleros mangent des enfants!) est devenue un ennemi indispensable permettant à Uribe d’associer toute opposition de gauche au « terrorisme » des FARC.

La guérilla sert également de prétexte à l’existence même des paramilitaires qui, pendant plus de quinze ans, ont accumulé des fortunes colossales grâce au narcotrafic et à l’appropriation des terres abandonnées par les populations qu’ils terrorisaient.

Pendant ce temps-là, les familles des prisonniers vivent dans l’angoisse perpétuelle d’une aventure comme celle survenue le 18 juin dernier, quand un groupe de mercenaires (comprenant des Britanniques), alléché par les récompenses promises par le gouvernement, provoquait la mort de onze otages en attaquant une embarcation des FARC.

Sarkozy entre en scène

Au début de l’année, le professeur Gustavo Moncayo, père d’un policier détenu depuis dix ans par la guérilla, entreprend une longue marche à travers le pays qui suscite une immense sympathie dans la population.

Puis, dès mai dernier, le nouveau président français, Nicolas Sarkozy, entame des pressions pour la libération d’Ingrid Bétancourt.

Promettant de plaider la cause de la Colombie dans les instances internationales (et, du coup, aider son nouvel ami George W. Bush en Amérique latine), Sarkozy pousse Uribe à libérer le « ministre des Affaires étrangères » des FARC, Rodrigo Granda, emprisonné depuis 2004, en espérant que cela fasse bouger la guérilla.

Mais Granda évite le piège et refuse d’aider le gouvernement colombien tant et aussi longtemps que celui-ci rejettera un face-à-face avec l’organisation révolutionnaire, admettant par là que celle-ci est une « force belligérante » et non terroriste.

Les FARC demandent une zone démilitarisée en territoire colombien (les « municipios » de Pradera et Florida, dans le département Valle del Cauca) et le retour dans leurs rangs des guérilleros emprisonnés.

Ils veulent aussi échanger trois « contractants états-uniens », dont ils ont abattu l’hélicoptère, le 13 février 2003, contre deux de leurs dirigeants (« Simon Trinidad » et « Sonia »), extradés et emprisonnés aux États-Unis.

Pris entre Sarkozy et la population colombienne, le président Uribe finit, le 15 août, par confier à la sénatrice libérale, Piedad Cordoba, le dossier de l’échange humanitaire.

Hugo Chavez, le médiateur

Ce faisant, il libère un cyclone. Madame Cordoba, très critique envers le président, convainc nul autre que le président du Vénézuéla, Hugo Chavez, de jouer le rôle de médiateur entre le gouvernement colombien et les FARC. Aussitôt, l’initiative déclenche un torrent d’enthousiasme à l’échelle mondiale.

Uribe accepte l’implication de Chavez qui, en échange, laisse entendre que le Venezuela pourrait bien revenir dans la Communauté andine des nations (CAN), organisme qu’il avait quitté parce que le Pérou et la Colombie négociaient des traités de libre-échange avec les États-Unis.

Le 14 septembre, la sénatrice se rend dans la jungle rencontrer le numéro deux des FARC, Raul Reyes, qui lui remet une vidéo pour Hugo Chavez qui, quatre jours plus tard, annonce la tenue d’une première rencontre avec la guérilla, à Caracas.

Mais Chavez ne s’arrête pas là. Il jure au peuple colombien qu’au-delà de l’échange de prisonniers, il veut contribuer à mettre fin au vieux conflit armé et à réintégrer la Colombie au reste de l’Amérique latine.

Depuis ce temps, Uribe craint que le processus d’échange ne lui échappe car, tout à coup, la guérilla devient un acteur clé de la politique colombienne, munie d’un projet révolutionnaire appelé « Plate-forme bolivarienne pour la nouvelle Colombie » qui ressemble à ceux déjà en vigueur en Équateur, en Bolivie et surtout au Venezuela.

Et si le pari d’Hugo Chavez est encore loin d’être gagné, l’intervention spectaculaire de ce dernier risque de montrer à tous qui est l’ennemi véritable de la paix en Colombie.

Alvaro Uribe s’accroche à ses conditions : pas de zone démilitarisée ni de rencontre avec les FARC en territoire colombien et abandon de la guérilla pour les guérilleros libérés. La première condition empêche Hugo Chavez de rencontrer Manuel Marulanda dont la santé ne lui permet pas de voyager jusqu’au Venezuela.

De plus, le 21 septembre, le ministre de la défense colombien, Juan Manuel Santos, déclare ne pas garantir la sécurité des émissaires des FARC qui iront à Caracas tandis que, le 3 octobre, le secrétaire de la Défense états-unien, Robert Gates, exclut l’échange des guérilleros « Simon Trinidad » et « Sonia ».

Compromis dans la guerre colombienne et intéressés à garder leur rapport privilégié et de domination sur Bogota, les États-Unis ne voient pas les événements d’un bon œil surtout qu’Hugo Chavez y est impliqué, ce qui contrarie leur politique d’isolement du Venezuela du reste du continent latino-américain.

Uribe dans le bourbier paramilitaire

Alors que le professeur Moncayo lui demande de « désarmer son cœur », le président colombien, lui, reste embourbé dans sa politique de « sécurité démocratique » et les scandales qu’elle génère.

Le premier d’entre eux, la « démobilisation » des paramilitaires, qui visait à les « normaliser » et à empêcher qu’ils soient jugés pour leurs crimes, a mené au scandale dit de la « para-politique ».

Il s’agit de révélations de paramilitaires qui, réglant leurs comptes entre eux et, surtout, craignant d’être trahis par l’oligarchie, confessent leurs liens avec jusqu’à maintenant 37 congressistes, députés, ministres et chefs militaires, tous emprisonnés.

Autre scandale : la police et l’armée se battent presque ouvertement pour s’approprier les ressources du Plan Colombie et les profits du trafic de cocaïne au point où de nombreux policiers sont victimes de « tirs amis » lors d’opérations conjointes avec les militaires.

La police s’est récemment vengé en épiant les conversations entre des fonctionnaires gouvernementaux et des chefs paramilitaires qui, même en cellule, ordonnent des meurtres et contrôlent le narcotrafic. Le gouvernement a réagi en destituant neuf hauts officiers de la police!

Les paramilitaires sont tellement partout en Colombie que le procureur national vient de juger que 320 « municipios » (30% des villes-régions du pays) n’offrent pas les garanties démocratiques suffisantes à la tenue d’élections.