Le mur de fer

2007/10/24 | Par Benoit Rose

La politique israélienne du fait accompli. Imposer un état de fait permanent. Le terrain est occupé, la présence palestinienne est morcelée, les oliviers sont déracinés. « Tout ce que nous prenons maintenant, nous le garderons », a dit Ariel Sharon. Alors il faut tout prendre, développer rapidement les infrastructures, et ainsi rendre irréalisable le projet d’un État palestinien en Cisjordanie. Un État, mais où?

En Cisjordanie, de mois en mois et depuis des années, Israël avance et ne recule jamais. Deux pas en avant, zéro en arrière. Sharon a bien retiré les colonies dans la mince bande de Gaza, mais pour mieux faire progresser la confiscation de la Cisjordanie. C’est Jérusalem, trésor sans prix, princesse intimement adorée, qui est la pierre angulaire du conflit.

C’est ce dont nous parle en projection spéciale, au Cinéma du Parc, le film Le mur de fer, de Mohammed Alatar, un documentaire tourné à l’été 2005 et terminé début 2006. D’un gouvernement à l’autre, de dirigeants en dirigeants, le nombre de colonies israéliennes ne cesse de croître sur le terrain pour aujourd’hui dépasser deux cents. Tassez-vous les Palestiniens. Réfugiez-vous.

Avaler le territoire

Et bien sûr le Mur. Encore un. Un long rempart au physique éclectique : ici des clôtures et des fils barbelés, là un immense mur de béton qui s’étire vers le ciel. Le tracé du mur ne fait pas que solidifier la frontière avec la Cisjordanie : il la repousse, entre à l’intérieur et annexe de fait les implantations israéliennes. Il avale le territoire et crée des enclaves à Palestiniens, faisant de la liberté de mouvement un rêve et de la réalité, un cauchemar. Ce mur est un long serpent qui étouffe les populations arabes.

Là où les Palestiniens se butent à des contrôles interminables et humiliants aux check points, les Israéliens empruntent des autoroutes rapides de contournement. Misère chez les uns, nouvelle banlieue pour les autres. Les colons vivent en Cisjordanie dans un monde à part, pendant que les Palestiniens tentent de faire pousser la dignité dans les miettes de la Terre sainte.

Un très grand nombre de colons israéliens ne sont pas des colons dits idéologiques, mais simplement des gens désespérés par la rareté de logements à prix abordables, et alléchés par les avantages économiques offerts par leur gouvernement. Belles maisons flambant neuves, pas chères, dans les colonies. Gadi Algazi, professeur d’histoire à l’Université de Tel-Aviv et cofondateur de l’association judéo-arabe Taayoush (Vivre ensemble), parle dans un texte intitulé Le nouveau « Far est » du capitalisme israélien d’une alliance entre l’État, les promoteurs immobiliers et les colons extrémistes.

Hébron

Parce que colons extrémistes, il y a aussi. Le film témoigne de la violente réalité à Hébron, ville palestinienne mais aussi bastion d’une poignée de sionistes radicaux qui aimeraient bien la nettoyer. Moins de mille Juifs y vivent entourés de 150 000 Palestiniens. Dans le film, deux anciens soldats témoignent de leur expérience à Hébron. Il y a cette anecdote : une nuit, un homme décide d’agrandir sa résidence en s’accaparant un commerce palestinien voisin. Le soldat entend le bruit des travaux de rénovation, curieux. C’est une pure annexion. Chérie, j’ai agrandi la maison.

Selon un témoignage, à Hébron, on peut tuer un Palestinien ou s’emparer de sa maison sans craindre de se faire réprimander par la police. Pire, la police aurait peur des fanatiques religieux.

Guerre, paix et sécurité

Les dirigeants israéliens disent vouloir la paix. Tout le monde veut la paix. Il y a eu les accords signés à Oslo en 1993 par Yasser Arafat et Itzhak Rabin, et la joie qui en découla chez les populations israéliennes et palestiniennes. La paix, peut-être, enfin. Mais dans les faits, de 1993 à 2000, le nombre d’habitants dans les colonies juives a plus que doublé. « When they say they want peace, they mean piece of land », comme certains disent en anglais.

Gadi Algazi écrit : « Les gestes symboliques, les initiatives diplomatiques et les déclarations publiques s’évanouissent sur le terrain devant les faits bruts : puits et oliveraies, bâtiments et routes, émigration et implantation. C’est le paysage même qui se trouve radicalement bouleversé, et non les seules frontières politiques ». Imposer les faits.

Le réalisateur du film Mohammed Alatar habite aux États-Unis. Soucieux d’informer les Juifs américains de façon pertinente, il dit avoir voulu présenter plusieurs des idées du film via des Israéliens dits mainstream : le respecté commentateur du journal Ha’aretz, Akiva Eldar, l’expert de l’observatoire Peace Now, Dror Etkes, le professeur et analyste Jeff Halper, aussi coordonnateur du Comité israélien contre la destruction des maisons, et Michal, une femme qui habite une colonie juive.

Le film Le mur de fer est un autre document sur la Palestine. Encore un. Mais pas le moindre. Il a le mérite de mettre en lumière la colonisation israélienne et surtout, cette volonté de créer un état de fait permanent empêchant la création d’un État palestinien, et de montrer comment on crée en Cisjordanie un apartheid local, où nombre de colons vivent dans leur monde israélien moderne alors qu’à côté, tout juste à côté, les Palestiniens sont bulldozés, contrôlés, écrasés.

Dans son merveilleux récit Les abeilles et la guêpe, paru en 2002, l’éditeur français François Maspero écrivait que c’est le monde entier, à l’image de la Palestine, qui est en train de se couvrir de check points. « Au nom d’un droit du plus puissant à garantir sa sécurité en frappant, frappant encore et toujours : to kill for not to be killed. »

Le mur de fer, un documentaire de Mohammed Alatar, Palestine, 52 minutes.

Liens:
Pour en savoir plus sur le film, sur d'éventuelles projections ou pour vous procurer le dvd, contactez le PAJU (Palestiniens et Juifs Unis) via leur site internet : www.pajumontreal.org