Le pouvoir gris veut corriger 25 ans d’injustice

2007/11/01 | Par Pierre Dubuc

C’est une Mariette Gélinas fort heureuse que j’ai rencontrée le 18 octobre dernier, sur l’heure du midi, au Centre Sheraton de Laval en marge du Conseil général de la CSQ. Mariette est la présidente de l’Association des retraitées et retraités de l’enseignement du Québec (AREQ).

Son association venait d’obtenir la mise sur pied d’un comité parlementaire chargé d’examiner tous les faits pertinents reliés à la non-indexation des régimes de retraite des secteurs public et parapublic depuis 1982. « Les 113 députés présents ont voté en faveur », nous dit Mariette, extrêmement satisfaite de ce premier pas vers la résolution de la principale revendication de l’AREQ.

Quelques jours auparavant, l’AREQ avait présenté en conférence de presse les résultats d’une vaste enquête auprès d’un échantillonnage de ses 50 000 membres sur le profil de la personne proche aidante. Près de 30 % des répondants exercent, selon l’enquête, un rôle de personne proche aidante, une proportion deux à trois fois supérieure à la moyenne québécoise.

« Ça prouve que les personnes retraitées ne sont pas que des bénéficiaires de soins, mais qu’elles sont aussi très impliquées comme personnes proches aidantes », nous dit une Mariette Gélinas qui abhorre le terme « aidant naturel » parce qu’«il n’y a rien de naturel là-dedans »!

D’ailleurs, corriger les préjugés à l’égard des personnes âgées est une autre mission de l’AREQ. Ses représentants qui siègent au Conseil général de la CSQ s’apprêtaient à intervenir l’après-midi pour « corriger » une affirmation contenue dans le power-point présenté le matin par des représentants de la FEUQ sur le financement de l’éducation universitaire au Québec.

Dans une fiche sur « l’existence d’une crise intergénérationnelle », la FEUQ dénonce une « vision étrange de l’équité » en s’en prenant « aux bien-pensants de la génération des baby-boomers qui voudraient qu’on paye de nos poches nos études et assurer leurs soins de santé par nos impôts ».

Je n’ai malheureusement pas pu assister à la « mise au point » de l’AREQ, mais je suis certain que ses représentants ont remis les pendules à l’heure en rappelant le rôle de la génération des baby-boomers dans la mise en place des systèmes d’éducation et de santé dont nous profitons aujourd’hui. « Nous essayons de ne pas en laisser passer », de dire Mariette.

Une nouvelle entité : les personnes proches aidantes

L’enquête de l’AREQ confirme que les personnes proches aidantes sont pratiquement devenues de nouvelles entités du réseau de la santé et des services sociaux. « Nos gens y mettent du temps et de l’argent », nous dit Mariette en attirant notre attention sur les chiffres suivants : le quart y consacre plus de dix heures par semaine et une personne sur cinq y débourse plus de 100 $ par mois. Une sur dix allonge plus de 200 $ par mois.

D’autres faits méritent d’être cités. Les personnes aidées et aidantes sont en majorité des femmes. C’est 70 % de femmes dans le cas des personnes aidées et les deux-tiers sont âgées de 75 ans et plus. Quant aux personnes aidantes, leur revenu familial annuel est légèrement plus bas que la moyenne.

Ce phénomène méconnu, l’AREQ va le présenter dans le mémoire qu’elle dépose à la consultation de la ministre Marguerite Blais sur la situation des aînés, en réclamant une politique d’assistance aux personnes âgées.

« Il faut un soutien psychologique. 90% des répondants à notre sondage disent rencontrer des difficultés dans leur relation d’aide. Le stress est partout présent. Les gens ne savent pas à qui s’adresser. Ils ne veulent pas se plaindre, mais ils sont souvent épuisés. Il faudrait un intervenant-pivot, une référence pour les aidants, probablement quelqu’un du CLSC », affirme Mariette.

L’aide la plus fréquente impliquant un lien de parenté immédiat, il arrive souvent que les aidants se retrouvent isolés. « Ils se sentent souvent coupables de ne pas en faire assez, même s’ils donnent tout ce qu’ils peuvent. C’est pour cela que ces personnes ont besoin d’un soutien psychologique », renchérit la présidente de l’AREQ.

Enfin, un soutien financier ne serait pas non plus à dédaigner. « Si ces personnes que nous aidons devraient être prises en charge par le système, cela coûterait des millions. Il nous apparaît raisonnable qu’il y ait une véritable politique d’assistance avec un soutien financier », lance-t-elle.

Corriger 25 ans d’injustice

Le dossier principal de l’AREQ demeure sa lutte pour l’indexation des rentes de retraite. Avant 1982, les retraites des employés des secteurs publics et parapublics étaient pleinement indexées au coût de la vie. C’était un acquis du célèbre Front commun de 1972.

Mais, en 1982, le gouvernement Lévesque coupe les salaires de 20% pendant trois mois et supprime, par loi spéciale, la pleine indexation des retraites. Désormais, les retraites sont indexées d’une valeur déterminée en soustrayant 3% à l’indice annuel des prix à la consommation. Si l’indice est inférieur à 3%, il n’y a pas d’indexation. Le pouvoir d’achat des personnes retraitées diminue donc chaque année et les pertes sont cumulatives.

Par exemple, pour une personne qui aurait pris sa retraite le 1er janvier 2000 et dont la rente accumulée pour la période 1982-1999 représente 24 000 $, la perte cumulée est de 12 907,75 $.

Une correction partielle a été apportée en 2000 suite aux pressions du mouvement syndical et des groupes concernés. Pour les années subséquentes à l’an 2000, le calcul est fait en fonction de la formule la plus avantageuse entre le taux d’augmentation de l’indice des prix moins 3% ou 50% du taux d’augmentation de l’indice des prix.

Que demande l’AREQ? « Nous voulons que la formule en cours depuis l’an 2000 soit également appliquée à la période 1982-1999 », déclare Mariette Gélinas qui mise également beaucoup sur le comité récemment créé par le gouvernement pour établir les faits et l'obtention d'une Table de travail du gouvernement pour permettre la discussion sur des solutions à long terme à l’appauvrissement des retraités de l’État québécois.

« C’est important, nous dit-elle. L’espérance de vie d’une personne qui prend sa retraite entre l’âge de 55 et 60 ans est de 25 ans. S’il n’y a pas de protection contre l’inflation, c’est comme si notre salaire était gelé pendant 25 ans ».

Mariette ne manque pas de souligner que les régimes de retraite de la fonction publique fédérale, de la fonction publique de l’Ontario et des enseignants de l’Ontario sont pleinement indexés au coût de la vie.

Le pouvoir gris

Que ce soit pour lutter contre l’appauvrissement, pour le maintien et le développement des soins de santé ou encore pour combattre les préjugés à l’égard des aînés, l’AREQ sera de la partie, s’il faut en croire sa présidente.

L’association n’est pas dépourvue de moyens. « Nous avons actuellement 50 789 membres », affirme Mariette. Avec une cotisation de 0,34% du revenu de pension, l’AREQ peut se payer une permanence avec 17 salariés et des moyens pour intervenir sur la place publique.

C’est beaucoup de chemin parcouru depuis que Laure Gaudreault, la pionnière du syndicalisme enseignant, recrutait 295 membres en 1961 pour jeter les bases de ce qui allait devenir l’AREQ.

L’AREQ n’est pas non plus seule. Elle travaille en étroite collaboration avec d’autres associations de personnes retraitées des secteurs public et parapublic. « Nous sommes 120 000 membres dans le regroupement et les représentants des différentes associations se rencontrent au moins une fois par mois », de préciser Mariette.

Il y a fort à parier que nous entendrons régulièrement parler au cours des prochaines années des retraités de l’AREQ. Déjà, Mariette me faisait part d’une feuille de route fort chargée pour les semaines à venir. « Le 22 octobre, nous manifestons pour l’indexation devant les bureaux du premier ministre à Sherbrooke. Le 5 novembre, nous serons devant ses bureaux à Montréal », me confie-t-elle avant de me quitter pour aller assister à l’intervention de son collègue Pierre-Paul Côté, devant les délégués de la CSQ, au sujet des propos de la FEUQ sur les « bien pensants baby boomers ».