L'argent sale

2007/12/10 | Par Michel Rioux

Décidément, c’est jusqu’au coude qu’il s’est fourré le doigt en l’an 67 avant JC, l’empereur Vespasien, en décrétant que l’argent n’a pas d’odeur.

Au contraire, l’argent sent.

L’argent de la job minable au salaire minimum, ça sent la sueur.

L’argent de la pension de vieillesse, quand c’est le seul revenu qui rentre, ça sent la détresse.

L’argent du BS, quand il n’y a pas moyen de faire autrement, ça sent la pauvreté.

L'argent de Monopoly

Mais l’argent de la spéculation foncière, qui voit en quelques mois un terrain passer de 6 millions $ à 130 millions $; mais l’argent dans des enveloppes brunes filées à un premier ministre dans des chambres d’hôtel; mais l’argent des primes de départ monstrueuses pour des patrons incompétents.

Mais l’argent de monopoly de ces maisons financières, banques et fonds d’investissements, qui jouent avec celui des autres; mais l’argent des stocks options dont on gratifie scandaleusement des PDG repus et bien gras, ça sent les égouts !

Celui de la Citibank, Charles Prince, qui a conduit son entreprise à rayer 11 milliards $ de ses actifs pour abus de «subprimes», a reçu 95 millions $ pour ses bons services.

Celui de Merrill Lynch, Stan O’Neal, a de son côté profité des largesses du conseil d’administration en se faisant offrir 159 millions $ pour lâcher la job. La banque privée a perdu 8 milliards $ avec les «subprimes».

La Bank of America a subi une perte de 3 milliards $, JP Morgan aussi, Barclay’s-Royal Bank of Scotland 12 milliards $, UBS a vu 4,7 milliards de sa valeur s’envoler en fumée, la Deustche Bank, 3,2 milliards $, HSBC, 3,3 milliards $.

Plus près de nous, Desjardins pourrait rayer plus de 2 milliards $ de ses actifs. Banque Nationale a déjà rayé 575 millions $ et c’est pas fini, paraît-il. La Caisse de dépôt, comme d’habitude, pète ses propres bretelles avec des pertes qui pourraient se situer à 4 milliards $.

Les leçons de gouvernance des Jos Connaissant

Ce qui choque là-dedans, hormis le fait que ce n’est pas leur argent que ces grands financiers gaspillent, mais bien celui des autres, à l’instar de Vincent Lacroix qui a mis dans la rue des milliers de petits épargnants, c’est qu’ils se posent en Jos Connaissant, donnant des leçons de gouvernance et de rigueur administrative urbi et orbi, particulièrement aux gouvernements qui, c’est bien connu, n’ont pas la compétence du privé en ces matières !

Le moindre dérapage dans un programme gouvernemental est l’objet de condamnations sans appel de la part de ces chantres du tout au privé dont on constate chaque jour l’impéritie.

L’inénarrable Alain Dubuc, indécrottable thuriféraire de cette oligarchie, s’est fendu récemment dans La Presse d’une froide lecture de cette réalité. « Je ne suis pas d’un naturel populiste. Quand j’ai lu, il y a un an, que le grand patron du Canadien national, M. Hunter Harrisson, avait touché une rémunération de 46,4 millions, en dollars américains, l’une des plus élevées de l’histoire du Canada, je n’ai pas grimpé aux rideaux.

Je ne me scandalise pas des revenus élevés des dirigeants d’entreprise. Ces rémunérations s’inscrivent dans une autre logique que celle des salaires. Et surtout, ce n’est pas en dénonçant ces revenus qu’on assure la justice sociale. »

Et maintenant, lâchons ces broutilles pour parler des vraies affaires, comme ils disent.

Chercher des « crosses » aux BS

Pendant que les milliards revolent allègrement dans le merveilleux monde des affaires, les jeunes (!!!) de l’ADQ cherchent des crosses aux BS. À 594 $ par mois, il est sûr que ces BS sont un poids intolérable pour la société.

Mais après un rapide calcul, j’ai constaté qu’il faudrait quelque 7030 années à un BS pour toucher l’équivalent de la prime de départ empochée en une journée par le PDG de la Citibank…

Autre calcul. La seule prime du PDG assurerait leur chèque pendant deux mois aux 140 000 BS du Québec aptes au travail… Ce que cela révèle ? Un manque flagrant d’ambition, bien sûr…

Même chose pour les personnes âgées admissibles au surplus du revenu garanti. Il faut en faire la demande pour toucher ce surplus. Mais c’est pas tout le monde qui est au courant. En ne le versant pas de façon automatique, le fédéral a épargné, sur le dos des moins bien nantis, quelque 3 milliards $ ces dernières années.

Quand on n’est pas foutu de s’occuper de ses propres affaires, hein…

Revenons à Alain Dubuc. On aura compris que c’est en ne dénonçant pas ces revenus scandaleux des PDG incompétents qu’on va assurer la justice sociale. Mande pardon ?


Michel Rioux
Ce texte a été publié dans le numéro de décembre du journal Le Couac

(Sur la photo: Alain Dubuc remportant le Prix du livre d'affaires 2007 de la Coop HEC Montréal, assorti d'une montant de 10 000$, pour son ouvrage Éloge de la richesse.)