Pour mieux vivre ensemble

2007/12/12 | Par Mémoire de l’Intersyndicale des femmes

L’Intersyndicale des femmes représente 160 000 travailleuses dont la plupart oeuvre dans les services publics.
L’Intersyndicale, qui existe depuis 1977, est aujourd’hui composée des représentantes des comités de condition féminine des organisations syndicales suivantes :
 
L’APTS
La Centrale des syndicats du Québec
La Centrale des syndicats démocratiques
La Fédération autonome du collégial
La Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec
Le Syndicat de la fonction publique du Québec
Le Syndicat de professionnelles et professionnels du Québec

Préambule

Un mot d’abord sur la Commission. Sans vouloir critiquer d’aucune façon la prestation de ses deux présidents que nous sommes enchantées de rencontrer aujourd’hui, il aurait été approprié, en vertu de l’égalité entre les sexes, qu’un homme et une femme président cette commission.

Pour les mêmes raisons, le document de consultation aurait dû refléter la réalité spécifique des femmes. Or ses statistiques sont non sexuées et il n’est fait aucune mention des discriminations que vivent les immigrantes ou les femmes appartenant à des communautés ethnoculturelles par rapport à leur statut, leur accès à l’emploi, à leurs conditions de travail ou à leur salaire.

Pourtant, les femmes immigrées ont le revenu moyen d’emploi le plus bas et le taux de chômage le plus élevé de tous les groupes.

Enfin, on se serait attendu à ce que le document fasse référence à la politique gouvernementale adoptée en 2005 qui s’intitule Pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait qui contient des balises claires sur plusieurs questions discutées devant la Commission.

Vous aurez compris que nous intervenons dans ce débat avec un point de vue féministe et avec la volonté de faire de l’égalité formelle entre les sexes une égalité de fait.

Nous avons essentiellement dix recommandations à formuler à la Commission.

1. L’égalité entre les hommes et les femmes

En tant que représentante de femmes syndiquées, je peux vous dire que la notion d’accommodement raisonnable nous a été très utile en relations de travail pour lutter contre la discrimination.

Les personnes handicapées et les femmes enceintes en ont été les principales bénéficiaires. Il s’agit d’un droit reconnu à des personnes individuellement.  Or le débat en cours est beaucoup plus large.

C’est pourquoi nous reprenons à notre compte la première recommandation du Mémoire de la Fédération des femmes du Québec :

Que l’égalité entre les femmes et les hommes reste un principe non négociable au Québec et que les accommodements – tout comme les lois, les politiques ou les règles qui iraient à l’encontre de ce principe – soient irrecevables.

2. et 3. La formation citoyenne

La seule démocratie représentative est à notre avis insuffisante pour permettre le plein exercice de la citoyenneté.

Selon nous, il faut soutenir une démocratie participative, particulièrement importante pour les femmes, à travers des groupes sociaux et des espaces de débats publics. La large participation que suscite la présente consultation montre bien cette soif de participer aux débats sur les enjeux de société.

Malheureusement, les commissions de consultation ne réussissent pas, la plupart du temps, à infléchir les politiques dans le sens de la majorité ou des intérêts communs.

La voix et les propositions des mouvements sociaux sont largement discréditées et marginalisées en faveur des valeurs du libre marché, de la libéralisation des biens et services et de l’idéologie du retrait de l’État de la prestation des services publics.

Les gens ressentent souvent qu’ils n’ont pas de prise sur les changements sociaux, économiques et politiques et se replient sur la défense de leurs intérêts immédiats.

Dans ce contexte, la référence à la tradition devient un refuge sécurisant. Pour une réelle intégration des personnes immigrantes, il faut que l’État soutienne les différents groupes chargés de les accueillir, de les accompagner et favorise leur intégration dans la société.

En ce sens nous recommandons :

Qu’une formation citoyenne soit donnée à l’école sur l’existence des chartes et des droits garantis, autant pour les droits des enfants et la liberté religieuse que pour l’égalité entre les femmes et les hommes, afin de contrer le déficit d’information

et

Que l’État soutienne les initiatives d’éducation populaire visant l’éducation à la citoyenneté et la participation citoyenne et cela à travers des groupes oeuvrant sur différents terrains, dans les milieux ethnoculturels comme dans des milieux plus homogènes.

4. et 5. La laïcité

Considérant que dans toutes les grandes traditions religieuses, les femmes sont
subordonnées au pouvoir masculin qui exerce un contrôle sur leur vie et leur corps, la laïcité est pour nous essentielle pour assurer l’égalité entre les femmes et les hommes.

Le modèle de laïcité développé au Québec est fait de tolérance et mise sur une ouverture à la diversité religieuse. C’est ce modèle, jugé par certains trop laxiste, qui actuellement provoque des tensions.

Nous ne croyons pas qu’il soit pour autant souhaitable de le changer complètement pour un modèle « radical » ou « intégral » qui interdirait toute manifestation ou tout signe religieux dans l’espace public.

Ce changement radical se ferait au détriment des libertés, et pourrait entraîner un repli défensif des groupes minoritaires, et l’exclusion des femmes appartenant à ces groupes parce qu’elles arborent des symboles religieux.

Nous croyons cependant qu’il faut aller plus loin dans l’affirmation de la neutralité de l’État.

En conséquence, nous recommandons :

Que l’État envisage l’élaboration d’une politique de la laïcité qui comporterait des règles claires en vue d’assurer la véritable neutralité de l’appareil d’État par rapport aux pratiques et discours religieux. Que dans la préparation de cette politique on examine spécifiquement, de concert avec les organisations syndicales et les groupes de femmes, la question du port de signes ou symboles religieux par le personnel de l’État directement en contact avec le public.

Cette politique devrait guider les administrations et inclure des directives concernant les revendications religieuses en rapport avec la mixité dans les services publics, pour éviter toute ségrégation sexuelle.

Et pour être conséquent avec l’importance de poursuivre le processus de laïcisation, nous recommandons :

Que l’État mette fin au financement public des écoles confessionnelles privées.

En terminant ce point, nous trouvons important de souligner que l’oppression ou les violences que les femmes vivent dans l’espace privé sont un problème politique dont l’État doit s’occuper. Il a le devoir de protéger les citoyennes et les citoyens.

C’est ainsi que la violence conjugale, la polygamie, l’excision, les mariages forcés ne sauraient être tolérés au nom de la tradition. L’État doit donc soutenir les groupes de proximité de différentes communautés qui travaillent avec les femmes victimes de violence ou de discrimination.

6. Une disposition interprétative pour protéger les droits des femmes face aux accommodements raisonnables

Pour mieux mettre en relief le droit à l’égalité entre les sexes, le Conseil du statut de la femme propose de modifier la Charte québécoise en y ajoutant l’équivalent de l’article 28 de la Charte canadienne qui spécifie que les droits et libertés (…) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

L’introduction de l’article 28 dans la Charte canadienne, en 1982, a été réclamée par des groupes de femmes qui voulaient s’assurer que la garantie d’égalité entre les sexes soit explicite, et éviter l’atténuation de l’égalité entre les sexes dans un contexte multiculturel.

Sur ce point, nous recommandons :

Que le gouvernement examine attentivement la pertinence d’inclure, dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, une disposition interprétative analogue à l’article 28 de la charte canadienne qui serait de nature à inciter les juges à rechercher une interprétation de tous les droits et libertés qui tienne compte des réalités des femmes.

Les décisions juridiques pourraient ainsi contribuer à ce que l’égalité de droit devienne une égalité de fait.

Mais soyons clair : l’ajout d’un tel article ne signifie pas la primauté d’un droit sur un autre.

7. Mieux gérer la diversité culturelle

Au-delà de la perspective strictement juridique, il faut examiner le contexte social et politique dans lesquels s’inscrivent les rapports de sexe et l’exercice de la liberté religieuse. Les gestionnaires des institutions publiques qui ont à prendre des décisions en matière d’accommodement raisonnable doivent se demander :

1) quels sous-groupes revendiquent au nom des traditions culturelles et religieuses ?

2) ces revendications servent quels intérêts à l’intérieur de ladite communauté ? Tout comme les accommodements raisonnables, les « arrangements concertés » constituent un outil d’intégration citoyenne. Ils doivent cependant être faits en s’assurant que :

1) les arrangements favorisent l’intégration des immigrantes et immigrants et non pas leur ghettoïsation ou la consolidation des courants fondamentalistes et intégristes;

2) ces arrangements respectent les acquis ou valeurs de la société d’accueil. Ceci nous amène à formuler cette autre recommandation :

Que l’État se dote d’une politique de gestion de la diversité culturelle et religieuse dans les institutions publiques qui contiendra des balises pour guider les administrations dans la négociation d’« arrangements » afin de faciliter le mieux vivre ensemble dans le respect d’autrui, des valeurs et droits collectifs et la recherche de mesures qui soient exemptes de discriminations envers les femmes.

Cette politique devrait insister sur la sensibilisation et la formation des
gestionnaires et du personnel.

8. Les femmes devant les programmes d’immigration et d’intégration à l’emploi

À l’heure actuelle, les politiques d’immigration maintiennent les femmes immigrantes dans des situations d’inégalité et de dépendance inacceptables. Les statuts d’immigration et les critères de sélection défavorisent les femmes par rapport aux hommes immigrants.

C’est pourquoi nous recommandons :

Que le gouvernement applique l’Analyse différenciée selon les sexes (ADS) aux politiques d’immigration et aux programmes d’intégration en emploi, afin de cerner les situations de discrimination que vivent les femmes immigrantes, et qu’il mette en place des mesures spécifiques facilitant l’accès aux services prévus dans les programmes d’intégration.

9. La fonction publique doit donner le bon exemple

En tant qu’employeur et dispensateur de services à la population, l’État doit jouer un rôle exemplaire concernant l’accueil, l’intégration des personnes immigrées et l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes.

C’est pourquoi nous recommandons :

Qu’en ce qui concerne la fonction publique, l’État élabore, de concert avec les organisations syndicales, les comités de condition féminine ou les groupes de femmes, une politique de gestion de la diversité qui intègre et précise les règles actuelles des programmes d’accès à l’égalité en emploi et assure la primauté de la langue française en milieu de travail.

10. Faire connaître notre modèle interculturel

Nous croyons que l’intégration des personnes immigrées doit être basée sur une politique d’interculturalisme, distincte du multiculturalisme canadien.

Le développement de ce modèle interculturel exige que l’État québécois joue un rôle exemplaire, davantage pro-actif, à deux niveaux : celui de l’accueil, de l’accompagnement et de l’intégration, notamment par l’emploi, des personnes immigrantes, et celui de la sensibilisation de la société d’accueil à la richesse que constitue l’apport des personnes immigrantes.

Puisque ce modèle doit être dûment expliqué et partagé, nous recommandons :

Que les documents gouvernementaux en matière d’immigration et de citoyenneté traitent explicitement des valeurs et réalités centrales que sont le respect des droits des femmes, la poursuite de l’égalité entre les sexes, la promotion de la culture et de la langue françaises, la démocratie, la laïcité de l’État et l’ouverture à la diversité.

En terminant…

Pour nous, les valeurs et les droits doivent s’incarner dans la réalité et engendrer des comportements qui leur sont conformes. C’est ce que nous appelons l’égalité de fait, à laquelle nous aspirons au-delà de l’égalité formelle.

Nous souhaitons vivement que le présent exercice démocratique porte fruit et soit source d’une meilleure compréhension des différences, de changements dans les politiques d’accueil et d’intégration des personnes immigrantes, de la réaffirmation de l’importance pour toutes et tous d’exercer pleinement leur citoyenneté dans un État laïc.