Qui s’anglicise s’enrichit !

2008/02/10 | Par Charles Castonguay

« Qui s’instruit s’enrichit », disait-on durant la Révolution tranquille. « Qui s’anglicise s’enrichit », faudrait-il ajouter aujourd’hui.

Deux études publiées coup sur coup l’an dernier, l’une par l’Institut C.D. Howe, l’autre par Statistique Canada, ont démontré qu’il existe encore un lien injuste entre langue et revenu au Québec, qui explique pourquoi la francisation des immigrants reste insuffisante.

Selon ces études, l’anglais demeure pour un immigré le meilleur gage d’un emploi et d’un bon salaire.

Le français pour des emplois peu ou pas spécialisés

Provenant de deux sources « sûres », ces études viennent étoffer ce que nous révélait le recensement de 2001 quant à la situation plus favorable de l’anglais comme langue de travail à Montréal dans les secteurs scientifiques et ceux reliés aux affaires, par opposition à celle plus favorable au travail en français dans les types d’occupation nécessitant peu ou pas de spécialisation.

Le même recensement avait aussi confirmé le lien direct entre l’anglais ou le français comme langue principale de travail et l’adoption de l’anglais ou du français comme nouvelle langue d’usage à la maison parmi les travailleurs allophones.

À ce compte, il faut bien s’attendre à retrouver dans les recensements récents le même rapport entre revenu et langue d’assimilation que celui qui prévalait au recensement de 1971, c’est-à-dire avant les lois 22 et 101.

On avait alors constaté que le français jouissait d’une force d’attraction plus grande que celle de l’anglais parmi les allophones ou immigrés à faible revenu. À l’inverse, l’anglais exerçait un pouvoir d’assimilation supérieur à celui du français parmi les classes à revenu plus élevé.

Le français, langue des immigrés gagne-petit

Les données de 2001 montrent effectivement qu’encore aujourd’hui, tout se tient en ces matières.

Examinons par exemple l’assimilation linguistique des immigrés âgés de 15 ans ou plus dans la région métropolitaine de Montréal en fonction de leur revenu. Répartissons ces immigrés en cinq classes selon les quintiles pour le revenu total déclaré au recensement de 2001 par les Montréalais âgés de 15 ans ou plus.

Ces quintiles étaient de 9 000, 17 000, 28 000 et 43 000 $. Cela veut dire qu’un premier cinquième de cette population avait déclaré pour l’année 2000 un revenu total qui se situait entre 0 et 9 000 $; un deuxième, un revenu entre 9 000 $ et 17 000 $, et ainsi de suite.

La part du français dans l’assimilation des immigrés qui se trouvaient dans la classe à revenu le plus faible, soit ceux qui avaient gagné moins de 9 000 $, était de 58 %.

Le français avait ainsi attiré une nette majorité des gagne-petit qui avaient adopté une nouvelle langue d’usage à la maison, laissant 42 % à l’anglais.

Inversement, la part de l’anglais s’élevait à 62 % parmi les immigrés qui avaient gagné 43 000 $ ou plus. Seulement 38 % de l’assimilation des gagne-gros profitait donc au français.

Notre figure montre comment se répartissait en 2001 l’assimilation des immigrés dans l’ensemble des cinq classes de revenu. Le lien entre langue d’assimilation et revenu saute aux yeux.

Le français domine nettement l’anglais en matière d’assimilation parmi les immigrés à faible revenu. L’anglais domine encore plus nettement le français dans l’assimilation des immigrés à revenu élevé.


La reproduction d’un vieux clivage

Cette stratification socioéconomique de la langue d’assimilation des immigrés à Montréal, en parallèle avec celle de la langue de travail, tend à reproduire le clivage qui affligeait la société québécoise d’avant la Révolution tranquille.

Les nouvelles recrues francophones se situent surtout au bas de l’échelle et les nouveaux anglophones se concentrent plutôt aux échelons supérieurs.

Le fonctionnement actuel de la société québécoise, dans le jeu de francisation et d’anglicisation de ses immigrants, évoque de la sorte la société d’antan, avec les allophones francisés comme nouveaux coupeurs de bois et porteurs d’eau alors que les anglicisés renflouent l’ancienne élite d’origine britannique.

On serait en train de reproduire, pour ainsi dire, un sous-prolétariat francophone à même la nouvelle population allophone.

Deux victoires par défaut

L’autocongratulation à propos de la résorption des anciens écarts salariaux entre travailleurs de langue maternelle française et de langue maternelle anglaise a assez duré.

Les chercheurs ont confirmé jusqu’à plus soif cette résorption, largement acquise dès avant 1980, autrement dit avant l’adoption de la loi 101.

Le gouvernement québécois s’est suffisamment rengorgé aussi à propos de la force d’attraction étonnante du français comparativement à l’anglais parmi les plus récentes cohortes d’immigrants.

Il s’agit dans les deux cas d’une victoire par défaut. La résorption des écarts salariaux entre francophones et anglophones s’explique en tout premier lieu par le départ de nombreux anglophones bien nantis au profit d’autres provinces.

La force d’attraction apparente du français parmi les nouveaux arrivants découle d’abord et avant tout de la sélection des candidats à l’immigration en fonction de leur compétence préalable en français, souvent accompagnée de leur francisation préalable – à l’étranger – quant à leur langue d’usage au foyer.

Ce qui gonfle artificiellement le pouvoir d’assimilation du français sur le terrain, une fois l’immigrant francisé arrivé au Québec.

Le laisser-faire ramène une vieille injustice

Faute d’avoir réussi durant les années 1980 à faire du français la langue de la réussite économique à Montréal et, par corollaire, la langue normale et habituelle d’assimilation linguistique dans le milieu de vie québécois, c’est-à-dire après l’arrivée de l’immigrant au Québec, le laisser-faire linguistique qui s’est installé dans les années 1990 a permis le retour de l’ancienne injustice sous une nouvelle forme.

L’inégalité socioéconomique de jadis entre anglophones et francophones refait surface aujourd’hui sous forme d’une inégalité de même nature entre allophones unilingues anglais ou anglicisés et allophones unilingues français ou francisés.

Les nouveaux immigrants doivent pouvoir bien gagner leur vie en français

Dans la situation linguistique actuelle, donc, quelque chose de fondamental ne tourne pas rond. Les Québécois ont certes le droit de vouloir assurer l’avenir du français sur leur territoire.

Ils peuvent sélectionner de préférence de nouveaux immigrants qui connaissent déjà le français avant d’arriver au Québec. Ils peuvent insister pour que ceux qui ne connaissent pas le français en arrivant l’apprennent.

Mais ils ont alors le devoir de faire en sorte que ces nouveaux arrivants puissent gagner – et bien gagner – leur nouvelle vie au Québec en français. C’est une question de justice sociale.

Faire du français, la langue de la piastre

Il est plus que temps de relancer la francisation de la langue de travail. C’est la seule justification équitable de l’exigence de connaître ou d’apprendre le français – le « contrat moral » auquel on voudrait que s’engage tout nouvel arrivant. Et cela entraînera de précieux dividendes pour le français sur le plan de l’assimilation.

La commission Gendron dont les recommandations sont à l’origine des lois 22 et 101 l’avait bien vu. La francisation de la langue de travail est une mesure incontournable pour assurer au français un avenir durable. Il faut à tout prix faire du français la langue de la piastre à Montréal.

On ignore toujours ce que contiennent les études que l’Office de la langue française et la commission Bouchard-Taylor ont commandées à des experts et que Mme Boucher et M. Bouchard persistent à garder secrètes.

L’injustice sociale qui s’est sournoisement incrustée au Québec a néanmoins crevé les oreilles durant les audiences et forums de l’automne dernier.

Combien de fois avons-nous entendu des immigrants unilingues français ou francisés s’y plaindre de s’être fait refuser un emploi sous prétexte qu’ils ne savaient pas l’anglais?

Souhaitons que le bilan Boucher de même que le rapport Bouchard accorderont toute l’attention qu’il mérite au lien pervers entre langue et revenu qui ressort à l’évidence de l’étude C.D. Howe, de l’enquête de Statistique Canada et du recensement de 2001.

Il faut modifier les règles du jeu de manière à ce que pour les allophones et les immigrés, le français remplace l’anglais comme meilleur gage d’un emploi et d’un bon salaire. Faire en sorte, quoi, qu’au Québec, qui se francise s’enrichit.