30 % des Maghrébins du Québec sont en chômage

2008/02/21 | Par Touhami Rachid Raffa

Élites, classe politique, pouvoirs publics, donneurs de leçon, faiseurs d’opinion et médias du Québec – hormis le quotidien La Presse – ont passé sous un silence coupable les résultats d’une analyse de Statistique Canada sur le taux de chômage anormalement élevé des Québécois d’origine maghrébine, ou plus exactement des Maghrébins tentant de (re)faire leur vie au Québec.

Désormais, les Nord-Africains détiennent le triste titre de groupe humain le plus victime de discrimination à l’embauche dans la Belle Province, suivis de près par leurs frères et sœurs d’infortune de l’Afrique subsaharienne.. « Aucun groupe au Canada n’a une situation aussi peu enviable », d’ajouter M. Christel Le Petit, de Statistique Canada (La Presse, 14 février 2008).

De quelle légitimité pourrait se prévaloir le gouvernement du Québec pour donner la moindre leçon au secteur privé et au patronat pour recruter plus de citoyens d’origine étrangère en général, et maghrébine en particulier, lui qui échoue lamentablement en la matière, depuis des décennies, dans la fonction publique et le secteur parapublic? Si l’exemple vient d’en haut, faut-il s’étonner de ce marasme, et du fait qu’il soit ignoré et occulté?

Un non-événement

Les origines du silence qui a accompagné des statistiques aussi inquiétantes sont éloquentes…Elles semblent relever moins d’un sentiment de honte refoulé que d’une attitude délibérée d’ignorer une grave réalité sociale qui illustre, tout en les confortant et en les justifiant indirectement, des préjugés tenaces cultivés à l’égard des Arabo-berbères et des musulmans.

Que près de 30% des Maghrébins souffrent du chômage passe donc pour un non-événement, une nouvelle négligeable et sans importance, sans lendemain et sans conséquences pour une frange de la société qui entretient une crispation identitaire tout en se permettant d’exclure du travail, donc de la dignité due à tout être humain, des dizaines de milliers de personnes pour la plupart hautement qualifiées, relativement jeunes et francophones de surcroît.

Il y a lieu de rappeler aussi la présence parmi eux non seulement de diplômés hors Québec, mais aussi de purs produits du système universitaire québécois! Et ce n’est pas tout compte tenu des ravages de la déqualification professionnelle qui fait que des personnes occupent, pour survivre, des emplois bien en-deçà de leurs qualifications ou qui n’ayant rien à voir avec celles-ci.

L’inaction et le silence sont d’autant moins acceptables qu’il n’y a rien à craindre des Maghrébins collectivement, en cette démocratie libérale qui fonctionne souvent au gré du poids des groupes de pression et des intérêts de puissants lobbies. Tunisiens, Algériens, Marocains et Mauritaniens du Québec paient donc cher, en tant que nouveaux venus sur cette scène d’un État de droit, le fait qu’ils n’ont pas encore atteint un degré adéquat d’organisation et de défense de leurs intérêts fondamentaux pourtant si profondément bafoués.

« What do Quebeckers want? »

Un attaché politique d’une ancienne ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec (MICC) avait eu la franchise, alors qu’il était en fonction, de révéler cyniquement en privé par les propos suivants cette dure réalité : « Ici, on n’a que ce qu’on mérite…Vous n’avez qu’à vous organiser! ».

Malheur aux faibles en démocratie! La démocratie d’une société qui ne cesse de proclamer la qualité de son accueil et de son ouverture, et qui s’est dotée d’un État de droit encadré par deux Chartes des droits et libertés interdisant formellement toute discrimination!

La dernière crise identitaire à laquelle nous avons été confrontés collectivement sous prétexte d’accommodement raisonnable met à nu une contradiction éclatante entre une véritable sommation – du reste non dénuée de justification – à s’intégrer à la majorité dite de souche, et l’inévitable nécessité « pratique » de s’organiser fortement en groupe pour être respecté, écouté et pris en compte… Invitation indirecte au ghetto? À la fragmentation de la société en ghettos – groupes de pression? « What do Quebeckers want? »

La comédie a assez duré

Depuis de longues années, la Table de concertation Maghreb du MICC, à laquelle je n’ai jamais cessé de contribuer pleinement, a débattu des problématiques communes aux nouveaux et aux « anciens » arrivants, et de celles qui sont particulières aux communautés maghrébines.

Un plan d’action avec des recommandations qui s’adressent à toutes les parties concernées, y compris à ces communautés, a été documenté, discuté et élaboré. De rencontre en rencontre, et après des années de travail, la crainte exprimée par certains au départ a fini par s’avérer fondée, à savoir qu’un tel exercice relève de la démagogie dilatoire puisqu’aucune mesure concrète n’en est réellement sortie, pas plus d’ailleurs que la moindre réaction officielle de la part des autorités administratives et politiques du Ministère…

Le même constat – qui traite en grande partie des mêmes questions – peut être dressé au sujet des travaux de la Commission parlementaire sur le racisme, boudée elle aussi par l’écrasante majorité des intellectuels, des politiciens et des médias…Plus de deux années plus tard, on en attend toujours quelques résultats…

Colloques, séminaires, rencontres, travaux de la Table Maghreb, dépôts de mémoires, interventions en Commissions parlementaires, forums de consultation de toutes sortes…La comédie a assez duré et doit cesser car ces manœuvres dilatoires, qui tournent – sans jamais s’y attaquer – autour d’un problème clairement défini et (trop) bien connu, relèvent d’une irresponsabilité politique et sociale avec vision à courte vue, sachant que la solution ne peut résider dans l’attitude de l’autruche.

L’histoire nous enseigne qu’il s’agit là de déni, de démission et de fuite en avant dont le prix à payer s’alourdit au fil du temps pour les victimes d’iniquité laissés pour compte comme pour le vivre-ensemble et la paix sociale.

Mieux en Ontario

Nous en avons la déplorable et évidente preuve puisque les choses, déjà sérieuses, se sont aggravées avec le temps, le taux de chômage des Magrébins ayant atteint un niveau difficilement qualifiable…et ce, dans le silence et l’indifférence des élites et des médias, lesquels renforcent le mutisme et l’inaction des pouvoirs publics.

Il faut savoir qu’une certaine vérité commence à arriver aux oreilles de milliers de candidats à l’immigration qui font le pied de grue devant les ambassades du Canada et les délégations du Québec à l’étranger, à savoir que leur avenir professionnel est bien mieux assuré dans les provinces anglophones pour peu qu’ils se mettent à l’apprentissage de la langue anglaise.

Une telle réalité est déjà à l’œuvre du fait que les Maghrébins qui ont osé partir en Ontario et vers l’Ouest travaillent, souvent dans leur domaine, et se sentent valorisés, en dépit de ce que l’on raconte au Québec sur les méfaits supposés du multiculturalisme canadien.

Enfin, rappelons que le Québec est en concurrence directe, non seulement à l’intérieur de la francophonie mais aussi au-delà, avec tous les pays développés subissant la dénatalité et le vieillissement, dans la quête de bâtisseurs et de contribuables : cols blancs, cols bleus et « cerveaux » pour la formation desquels il n’a pas déboursé le moindre sou.

Un appel aux forces vives

En conséquence, j’en appelle aux forces vives de ce pays afin qu’elles incitent instamment les autorités de ce pays à se prononcer clairement et à faire part une fois pour toutes de leur plan d’action pour lutter concrètement contre cette forme insidieuse de racisme qui, à travers l’exclusion à l’embauche et la déqualification professionnelle, mine l’avenir de dizaines de milliers de citoyens et de leurs familles et, par-delà, la cohésion et la paix sociales.

Dans l’attente, et après m’être prêté de bonne foi à d’innombrables exercices dits démocratiques de consultations et d’échanges depuis de trop longues années, je prends la décision de ne plus servir désormais de «faire valoir ethnique» et de suspendre par conséquent toute forme de collaboration avec les institutions de l’État québécois tant que celles-ci demeureront silencieuses, défaillantes et surtout inactives en la matière. C’est le moins que je puisse faire en appui à cet appel, en tout modestie, sachant fort bien que nul n’est indispensable.

« Qui ne dit mot consent »

Touhami Rachid RAFFA, Québec, le 20 février 2008

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Raffa pose un probléme sérieux, angoissant même. Le discours oecuménique de l'intégration peut amener à passer sous silence des questions de fond comme celles que soulèvent Raffa. Ne sommes nous pas dans une société qui ne se mobilise que lorsque l'on parle des indicateurs d'intégration linguistique, culturelle, religieuse mais qui fait la sourde oreille lorsque l'on parle d'intégration socio-professionnelle de certaines minorités?Sachons décloisonner le discours dominant pour lui imposer une ouverture sur d'autres dossiers tout autant préoccupants.
Solidairement
Khadiyatoulah Fall