Nouvelles du Saguenay : La prison

2008/03/03 | Par Pierre Demers

Pierre Demers est correspondant au Saguenay-Lac-Saint-Jean

Je vous écris d’une région gigonne (démunie) et gigogne (pleurnicharde selon Léandre Bergeron).

Une région en mal de jobs bien rémunérées qui ne cesse d’en perdre à travers la crise forestière qui s’éternise et la décision de l’Alcan (Rio Tinto) – cautionnée par la partie syndicale – de recourir à la sous-traitance pour entretenir ses nouvelles usines.

Bienvenue aux croisiéristes

Une région sans véritables projets collectifs d’envergure sinon l’idée saugrenue du maire de Chicoutimi (encore lui, toujours lui) de faire venir à la Baie tous les croisièristes du monde pour leur vendre sur le quai construit actuellement à grands frais du fromage en crottes Boivin et des bleuets en porcelaine signés par nos artisans locaux.

Une région et des élus municipaux tellement gigons et gigognes qu’ils sont prêts à tout pour dénicher des nouveaux emplois. Tirant sur tout ce qui bouge ou tout ce qui risque de bouger un jour, selon leur pif politique tellement mal ajusté que ça frôle la girouette.

Maintenant on ne vit plus que par la construction de nouvelles prisons sur le territoire pour refaire rouler l’économie comme dirait le co-loc de Dolbeau.

Une prison dans un parc industriel

La chasse aux prisons est commencée depuis le 8 février, le jour où le ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis a confirmé sur place que la nouvelle prison provinciale de la région serait construite d’ici trois ans au coût 94 millions$ dans le parc industriel de Roberval, sur une sorte de terrain vague face à rien de précis sauf la forêt.

Alors que le lac est tout près et que même les prisonniers adorent contempler les vagues et le vol discret de la ouananiche au clair de lune.

Pour taire la grogne des élus, des récidivistes sans doute et des procureurs de Chicoutimi qui voulaient conserver leur prison pour des raisons évidentes (3 fois plus de comparutions au palais de justice local qu’à Roberval, population moyenne de 70 détenus contre 50, sans oublier tous les services de réhabilitation), le ministre Dupuis a souligné une fois de plus que cette décision dépassait toute logique du système carcéral et judiciaire local.

Une décision politique

«C’est une décision politique qui a été basée uniquement dans l’intérêt public et pour l’équité régionale » (Le Quotidien, 8 février 2008). Lire : ils vont oublier un temps la crise forestière et tout ce qui va avec.

À partir d’un aveu comme celui-là on peut conclure n’importe quoi. Lors de la séance de pelletée de terre gelée à Roberval, le coloré ministre s’est même permis de pointer du doigt le grand responsable de cette décision de construire la prison régionale au bout du Lac plutôt qu’à Chicoutimi où le gros de l’activité juridique se passe, l’ex-réputé député Karl Blackburn, actuel président du parti libéral et magouilleur devant l’éternel malgré son retrait forcé de la vie politique régionale.

Ce monsieur s’est même permis de lancer que «cette nouvelle prison de 180 places (50 de plus que contenaient auparavant celles de Chicoutimi et de Roberval) était l’investissement le plus important de Roberval » (Le Quotidien, idem.).

Le maire de la place espère même relancer son centre-ville avec la construction de cette prison et faire venir de force tous les bureaux de spécialistes des récidivistes de Chicoutimi. Sky Is The Limit pour ce nouveau maire tombé dans la potion magique.

Après l’élection comme député conservateur, son ex-boss maire Denis Lebel vote à la Chambre des communes pour la peine de mort.

Contre toute logique

Cette décision à l’encontre de la logique du vécu carcéral et juridique régional ne fait pas l’affaire de tout le monde. Les détenus plus nombreux à comparaître au palais de justice de Chicoutimi vont devoir circuler quotidiennement sur une distance de plus de 100 kilomètres depuis Roberval.

À ce compte-là, il aurait peut-être été plus pratique d’aménager des villages de prisons mobiles dans les deux villes, tout autour du lac le long de la véloroute des bleuets.

Le syndicat des gardiens de prison de Chicoutimi s’est montré favorable à cette prison unique construite à Roberval. Les conditions de travail seront meilleures et il obtient une trentaine de nouveaux postes.

On ne précise pas si le déménagement vers le Lac pose problème pour ses membres. D’ailleurs le syndicat local n’a émis aucun communiqué de presse à l’annonce de la nouvelle du déplacement vers Roberval. Le silence complet sur le deal négocié avec le ministre de la Sécurité publique.

Tout ce qu’on sait, c’est que les agents de la paix vont faire du millage une fois la prison de Roberval en opération.

Les autochtones veulent une annexe

Tout n’est pas ficelé dans ce projet. Le conseil de bande de Mashteuiatsh a mis sur pied un comité d’étude pour examiner la possibilité de faire construire en annexe à la nouvelle prison de Roberval un centre de réhabilitation des détenus innus un peu comme l’exigent les communautés autour de Sept-Îles où là aussi on prévoit construire un nouveau centre de détention.

Mentionnons que près de 25% des détenus de la prison de Roberval sont d’origine amérindienne. Facteur non négligeable dans la définition des paramètres de la future prison.

Une prison fédérale pour des élus frustrés

Or donc, cette décision définitivement politique de construire le centre de détention provincial à Roberval ne fait pas du tout l’affaire des élus de Saguenay. Ils avalent leur pilule en faisant semblant de cautionner un faux consensus régional.

D’autant plus que la fameuse décision ne correspond pas du tout au vécu juridique local et risque de causer des problèmes de logistique majeurs.

Les élus de Saguenay entendent faire des pressions malgré tout auprès du ministre de la sécurité publique. Cette semaine encore ils se rendent à Québec pour gigogner. Le maire de Chicoutimi est passé maître dans ce sport.

En plus, ces élus frustrés pensent faire oublier cette décision avec un nouveau projet de prison, cette fois fédérale. Un autre plan de dingue, un projet de pénitencier de 2000 places (assises sans doute) une sorte de prison à sécurité plus ou moins minimum sortie du chapeau du député – ministre de Jonquière – Alma, Jean-Pierre Blackburn (celui qui vote contre l’homosexualité) lors d’une rencontre récente avec le maire de Chicoutimi, Jean Tremblay lui-même, un samedi de février où ils discutaient ensemble des promesses électorales possibles si, par hasard, se déclenchaient des élections fédérales.

Une façon originale de garder nos jeunes en région

Or donc, ce nouveau projet de prison est dans l’air au Saguenay. L’idée est généreuse quand on pense au slogan de nos politiciens qui veulent «garder nos jeune dans la région ».

Ils n’ont qu’à les pousser sur la pente du crime et le tour est joué. Ils resteront de ce côté-ci du Parc, bien emmitouflés dans nos nouvelles cellules de prisons provinciale ou fédérale. On pourra aller les visiter les fins de semaine et leur apporter de la tourtière et de la tarte aux bleuets.

L’avenir de la région passe par la prison. Fallait y penser. Merci bien les élus.