La langue, le coeur, le cerveau

2008/03/06 | Par Michel Rioux

Devant un auditoire de la Chambre de commerce canado-arabe composé de diplomates de plusieurs pays dont plusieurs ont le français comme langue officielle ou encore langue seconde, le ministre des Affaires extérieures du Canada, Maxime Bernier, ci-devant mieux connu sous le nom de Maximus Ier, a livré le 30 janvier un discours à Ottawa sans prononcer un traître (!) mot de français. Ni bonjour, ni merci. Rien. Nothing. Nihil.

Pris à partie le lendemain à la Chambre des Communes tant par les bloquistes que par les libéraux, Maximus Ier qui, on se le rappellera, demande qu’on parle de lui à la troisième personne, a ridiculisé ceux qui le critiquaient. Sous les attaques de l’Opposition, le Maximus a éclaté de rire. Tout juste s’il ne leur a pas offert des gâteaux Joe Louis, comme il l’avait fait quelques semaines plus tôt aux soldats canadiens en Afghanistan.

Et pourtant…Il faut avoir entendu Maximus Ier parler anglais pour saisir que s’il est sorti de la Beauce, la Beauce, elle, ne l’a pas quitté. Même pas meilleur que celui de Pauline Marois, son anglais ! Mais cet épisode est révélateur de bien davantage qu’un problème de langue. C’est avant tout d’un problème de cœur et d’un problème de cerveau dont il est ici question.

De cœur d’abord

L’anecdote révèle une insensibilité profonde à l’égard de la langue maternelle du monsieur, une langue qui se trouve être encore, jusqu’à nouvel ordre, une des deux langues officielles de ce pays schizophrène connu sous le nom de Canada. Mais voilà une imposture qui commence à se lézarder, les cadavres encore chauds d’Yves Beauchemin s’étant définitivement refroidis pour la majorité d’entre eux.

De cerveau ensuite

Cette anecdote, qui en dit davantage sur le monsieur et ses semblables que bien des thèses savantes, est une illustration signifiante de ce que décrivait l’historien Stanley Bréhaut-Ryerson. Chez un peuple conquis – ce qui est notre cas, même si plusieurs étourdis tendent à ne pas s’en souvenir – plusieurs de ses éléments, en particulier chez les élites, finissent par se percevoir à travers le regard que porte sur eux le conquérant.

Pour être bien vus des vainqueurs, les vaincus font tous les efforts nécessaires pour assimiler leurs traits fondamentaux, en premier lieu la langue. L’histoire du peuple québécois, depuis près de 250 ans, est remplie de ces vaincus qui se transforment en téteux de vainqueurs. Monseigneur Lartigue, Georges-Étienne Cartier, Lafontaine, Laurier, Ernest Lapointe, Trudeau, Chrétien ont tous, chacun à sa manière, cherché avant tout à être adoubés par l’Anglais.

Et Pauline là-dedans ?

Si Pauline Marois avait fait une erreur de calcul en omettant, mettons, un milliard $ dans une évaluation des coûts d’un quelconque programme, on le lui aurait vite pardonné. L’erreur est humaine en effet.

Mais ce n’est pas une erreur qu’elle a faite en proposant que, pour faire des petits Québécois plus bilingues, on leur enseigne l’histoire en anglais. C’est une faute. Et la levée de boucliers que cette déclaration a soulevée montre bien qu’en ces matières, c’est au symbole qu’on touche, aux racines, à l’affect, comme disent les psychiatres. Voilà une étourderie dont on aurait fort bien pu se passer. Il lui faudra pédaler longtemps dans la choucroute pour essayer de faire comprendre ce qu’elle a voulue dire.

L’idée n’est pas de combattre le bilinguisme individuel. Trois langues seraient même préférables. Ce qui fait problème, c’est d’en faire un objectif quasiment plus important que la maîtrise de sa propre langue. C’est de donner un malheureux signal que le bilinguisme institutionnel pourrait peut-être devenir la norme au Québec, pourquoi pas ?

Il serait opportun de se rappeler ce qu’en disait un ancien président du Conseil de la langue française, à une époque où cet organisme jouait son véritable rôle : « Mettre deux langues sur le même pied, c’est mettre un pied sur la langue la plus faible. »

Rien à faire avec Maximus Ier. Cet ancien vice-président de l’Institut économique de Montréal a choisi son camp. Quant à Pauline, quelqu’un pourrait-il faire quelque chose pour qu’elle comprenne le français ?

Ce texte a été publié dans l'édition de mars 2008 du journal Le Couac
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