Nouvelles du Saguenay : La bataille de la 175

2008/03/25 | Par Pierre Demers

Ici au Saguenay, si le chauvinisme en général et sportif en particulier tuait, tout le monde ou presque serait mort.

Si vous avez le malheur de parler contre l'équipe des Saguenéens qui représente la région dans la ligue de hockey junior majeur, gare à vous. Vous risquez de vous faire traiter d'apatride ou d'intellectuel. Ou encore de recevoir une rondelle dans le front.

On aime son équipe de hockey junior comme si elle faisait partie du bagage génétique commun. On fait semblant qu'elle offre à la région les frissons que fournit habituellement une équipe sportive professionnelle.

Plus sérieux que les Canadiens

 À Chicoutimi, le hockey junior c'est sérieux. Plus sérieux que les Canadiens. Même si tous les vrais sportifs de salon prennent pour les Canadiens parce que Guy Carbonneau a déjà joué pour les Saguenéens et qu'il siège encore sur le comité de direction du club comme un grand frère sur un orphelin.

Bon an, mal an, malgré le fait que l'équipe ne brille pas toujours par ses performances, elle arrive à conserver une clientèle fidèle de trois à quatre milles spectateurs par match à domicile.

Les sorties sportives à sensations fortes étant plutôt limitées de ce côté-ci du Parc. On s'arrange avec ce qu'on a.

L'équipe, trésor de guerre d'une poignée d'actionnaires locaux et de la ville (qui en détient la franchise-sic), fait des profits avec ce public fanatique et ses nombreuses promotions et produits dérivés. Chacun y trouve son compte. La couverture excessive des médias locaux fait le reste. Et je pèse mes mots.

La bataille des radios

Les journaux, la radio (y compris la SRC), la télé s'alimentent aux Saguenéens. L'an dernier, la radio du Gros Champagne, le FM-98,3 a perdu le contrat publicitaire et la description des matches au profit d'une autre radio FM, KYK branchée à Alma.

Une radio animée par des jeunes animateurs et animatrices (émules de Jeff Fillion) mordus de la télé et du net. Le FM 98,3 a répliqué en commanditant une équipe de hockey sénior jouant et boxant à l'aréna de Jonquière.

Depuis cet affront, le FM 98,3 dénigre les actionnaires des Saguenéens qu'il considère trop capitalistes (sic). Le même poste continue tout de même la diffusion de sa tribune sportive quotidienne de 15 heures à 17 heures.

Là, le fan club des Saguenéens entretient le culte de l'équipe junior avec la complicité des deux commentateurs des matches qui ont perdu leur job. La fièvre saguenéenne demeure mais ils sont aussi obligés de parler de leur équipe sénior composée d'anciens joueurs aux pectoraux hypertrophiés et aux cerveaux atrophiés.

La bataille de la 175

Ce sont ces fameux journalistes sportifs de la région qui accompagnent religieusement les Saguenéens dans leur autobus (De Rouyn à Bathurst) qui ont sorti cette expression, « la bataille de la 175» (Certains disent la guerre…) pour qualifier la rivalité des deux équipes qui s'affrontent en série, les Remparts de Québec et les Saguenéens de Chicoutimi.

C'est une façon comme une autre de passer les longues soirées d'un hiver qui s'étire et de remplir le Centre Georges-Vézina d'une faune de partisans qui carburent au houblon et à la poutine.

Des partisans qui haranguent continuellement l'équipe adverse et se soûlent la gueule pour oublier sans doute les déboires de Mario Dumont et leurs cartes de crédit gonflées à bloc.

D'un côté l'équipe de Québec dirigée par un entraîneur dont la réputation le dépasse, Patrick Roy le subtil guerrier, et de l'autre, un entraîneur qui colle à Chicoutimi, Richard Martel le psychologue, qui espère en vain trouver une job chez les professionnels.

On a inventé une fausse rivalité entre les deux équipes séparées par la route du Parc, la 175, pour mieux attirer les spectateurs qui ne demandent que ça, une fausse raison de hurler contre une équipe adverse.

Une raison régionale de maudire contre les villes centres qui aspirent notre jeunesse et peuvent se payer des équipes de hockey professionnelles.

Contre vents et neiges

En cette fin de semaine de Pâques qui ressemble étrangement à la veille d'un Noël de tempête, le Parc est dans tous ses états. Le vent force les automobilistes à faire du surplace en attendant les remorques et les voitures de police qui viennent dépanner les accidentés de la route.

Vendredi Saint sur l'heure du midi, tout le monde se demande si l'autobus des Remparts a réussi à traverser la 175 avant que les autorités décident de fermer cette route casse-gueule en période de bourrasques.

On veut que la première partie de la série entre les deux équipes ait lieu, coûte que coûte, ce soir même. On n'acceptera aucun retard, aucun report.

On ne se demande même pas si le dernier accident a fait des morts. Les Remparts sont-tu passés ? Pour l'amour du ciel, que la bataille de la 175 commence au plus sacrant.

C'est pas sortable dehors à cause du vent. C'est pas grave. Le Centre Georges-Vézina sera plein jusqu'au bord ce soir pour voir les Saguenéens gagner …ou perdre. D'autant plus qu'ils sont favoris, répète le site internet de l'équipe.

Encore une bonne soirée à l'horizon pour les actionnaires des Saguenéens qui empochent profits et gloire sur le dos de joueurs de 17 et 18 ans qui flottent avant de se cogner le nez sur le mur des lamentations des ligues professionnelles.

La bataille de la 175 commence ce soir, un vendredi saint, le moment rêvé pour du pain et des jeux, de la poutine et du hockey junior.

Et moi qui croyait que «la bataille de la 175»… c'était la lutte des gens de la région pour rétablir un juste équilibre entre le transport en commun (pourquoi pas un train à grande vitesse dans le Parc avec vitrine panoramique pour voir défiler les orignaux et sauter les truites dans les lacs?) et la voiture polluante et dangereuse sur cette route capricieuse l'hiver venu.

La naïveté et mon manque de culture sportive vont m'être fatals un jour. Je le sais, je le sens. Vive les Saguenéens, l'équipe de hockey bien sûr.