La Défense nationale verse des millions aux universités

2008/03/27 | Par Claude G. Charron

On se doutait déjà que la multiplication des chaires du Canada de nos départements de sciences humaines servait une certaine cause. Et voilà qu’une abondante manne tombe à nouveau sur nos campus.

Ce sont plus d’un demi-million de dollars qu’ont touchés chacune douze universités canadiennes ayant accepté de faire partie du programme mis sur pieds par le Forum sur la sécurité et la défense (FSD), une créature du gouvernement Harper, paravent utile derrière lequel se cache le vrai commanditaire: le ministère de la Défense nationale.

L’affaire a heureusement fait sourciller un chercheur de l’Université d’Ottawa et il s’en est ouvert dans un article paru dans le Globe. Amir Attaran y donne la liste de ces universités. S’y trouvent trois universités québécoises: l’UQÀM (630 000$), Laval (655 000$) McGill (680 000$).

Parmi les neuf autres, Queen’s remporte le gros lot avec son million 489 mille dollars. Elle est pourtant implantée à Kingston, là où la population est la moins réfractaire à la guerre, car un important collège militaire y a pignon sur rue.

Trois autres universités sont en tête du peloton des privilégiées: Carleton, Dalhousie et Calgary, ayant chacune reçu 780 000 dollars du FSD. Pas surprenant que Calgary soit du programme et ait été grassement gratifiée.

Ne sommes-nous pas ici dans en plein fief Harper? Dans les murs d’une institution où enseignent les Flanagan, Bercuson et Cooper, néolibéraux et faucons de l’École de Calgary, courant de pensée ayant forte influence sur notre Premier?

Attaran décrit comment s’est déroulée une certaine Conférence des associations de la défense où le premier ministre, son ministre de la défense et des hauts dignitaires de l’armée étaient présents, mais, souligne-t-il, aucun représentant des partis d’opposition.

Or, un des conférenciers – grassement gratifié avec les 825 000$ reçus du FSD – a confié à son auditoire ébahi que le gouvernement avait dans sa politique sur l’Afghanistan, choisi « la bonne mission pour le Canada et la bonne mission pour le peuple afghan ». C’est pas beau ça! Sans révéler son financement, ce chercheur a, quelque temps plus tard publié un éloge de la politique des conservateurs en matière de défense ajouté à un blâme envers la négligence en ce domaine des libéraux. Et vlan!

Une forte odeur de commandite

Il est navrant que, dans la presse francophone, Jean-Claude Leclerc ait été le seul à faire mention de la sortie publique de professeur Attaran. Et cela, dans sa chronique du lundi toujours à l’avant-avant dernière page du deuxième cahier du Devoir, en des colonnes peu fréquentés où l’on traite de questions d’éthique et de religion.

Attaran semble tout de même encouragé par le fait que Matthew Gravelle de l’Université York ait pu recevoir une subvention du Forum sur les politiques publiques et qu’il ait pu déclarer que l’Afghanistan est un «État raté» devenu une «fabrication» qui permet aux agents fédéraux d’y agir dans une « presqu’impunité». Ce chercheur serait donc l’exception qui confirme la règle..

Que dire alors de Philippe Lagacé? Collègue d’Attaran à l’Université d’Ottawa, ce spécialiste des questions de défense qui affirme ne rien recevoir du ministère, conseille son confrère de mieux vérifier avant de faire des déclarations aux médias.

Il croit dur comme fer que tout chercheur reste entièrement libre d’exprimer publiquement son opinion. Ce serait donc sans risque aucun que l’on peut allégrement mordre la main qui nous nourrit.

Leclerc n’y croyant pas, continue à se questionner : «L’armée financerait-elle des recherches pour dicter aux législateurs une politique sur l’Afghanistan? Paierait-elle des recherches pour vendre cette guerre à l’électorat canadien? » Il ajoute: «D’aucuns souhaiteront peut-être que l’on frappe Amir Attaran d’un ‘‘certificat de sécurité’’».

Dans le vent de maccartisme qui souffle sur l’Amérique, on ne serait pas surpris que d’autres chercheurs puissent un jour avoir à se débattre dans un filet tissé serré qu’est un «certificat de sécurité». À l’instar de Leclerc, l’actuel climat politique nous fait penser qu’il y a ici forte odeur de commandite et qu’elle ne sera dissipée que lorsque les institutions incriminées par Attaran – forums-commanditaires et universités – chercheront à nous donner l’heure juste. Les naïfs risquent d’attendre longtemps.