Ça va faire, Monsieur David Homel !

2008/03/31 | Par Pierre Dubuc

Après Lysiane Gagnon, la ministre Monique Jérôme-Forget (à l’émission Tout le monde en parle) et bien d’autres, c’est au tour de l’écrivain David Homel d’enfourcher le cheval de la démagogie sur la question linguistique.

Dans un « billet » intitulé « La langue qui fourche », publié dans l’édition de mars du journal Alternatives, encarté dans Le Devoir, David Homel s’insurge de l’inquiétude exprimée par « la révélation que le français est utilisé comme langue première dans moins de 50% des ménages sur l’île de Montréal ».

Homel ne voit pas « en quoi cela dérangerait les défenseurs de la langue nationale » qu’on parle polonais ou arabe à la maison, « pourvu qu’on parle français dans les lieux de travail, à l’école ou sur la scène publique »

Aux yeux des défenseurs de la langue nationale – qu’ils n’identifient pas – « le péché de ceux qui osent parler polonais, arabe ou anglais chez eux, c’est de ne pas être des Québécois de naissance. »

Homel invite ses lecteurs à la vigilance, car nous serions face à un « crime de l’ordre de l’existence » parce qu’on propose « de veiller sur notre vie privée, y compris les langues parlées à la maison ».

À l’entendre, la police de la langue serait à la porte des chambres à coucher! C’est d’ailleurs tout à fait ce qu’il suggère en déclarant : « Je cite ce grand Canadien français, Pierre Elliott Trudeau : ‘‘L’État n’a pas d’affaire dans les chambres à coucher de la nation’’ ».

Pas besoin d’entourloupettes

Dites donc clairement, Monsieur Homel, que tous ceux qui s’intéressent de près à l’évolution du français au Québec sont des racistes. Il n’est pas nécessaire de faire des entourloupettes ou de mettre des gants blancs, on a la couenne dure.

Hier, nous étions racistes parce que nous nous intéressions à la répartition ethnique des votes lors du référendum de 1995. Aujourd’hui, nous sommes sur le point de commettre un « crime de l’ordre de l’existence » (un synonyme sans doute de « crime contre l’humanité ») parce que nous nous intéressons aux transferts linguistiques. Après avoir demandé l’abolition de la sociologie électorale, vous voulez maintenant émasculé la science de la démographie.

D’ailleurs, vous demandez à mots à peine couverts l’abolition de Statistique Canada en cherchant à ridiculiser la science des statistiques. Vous écrivez : « Les statistiques mentent comme des arracheurs de dents ». Surtout celles, bien entendu, concernant le recul du français au Québec!

Pour appuyer votre savante analyse, vous vous donnez même en exemple : « Je ne pense pas être le seul à répondre ‘‘autre’’ à beaucoup de questions linguistico-identitaires pour le simple plaisir d’être ‘‘autre’’ et par devoir de rappeler à la société l’existence de l’autre en toutes choses ».

Cher Monsieur Homel, on comprend votre besoin de rappeler votre existence à la société et que votre « moi » est peut-être « autre ». Mais votre propos a bien des semblables. Nous le connaissons sous toutes ses coutures, dans toutes ses pointures.

Il ne nous empêchera pas de nous intéresser de près à langue parlée à la maison, non pas, rassurez-vous, pour nous introduire dans les chambres à coucher – bien que c’est souvent là historiquement que s’opèrent les transferts linguistiques – mais parce que ces données permettent de mesurer les transferts linguistiques, la donnée démographique la plus importante.

Ce qui importe, ce n’est pas que les gens parlent polonais, arabe ou chinois à la maison, mais de savoir vers quelle langue – l’anglais ou le français – ils opéreront, eux ou plus vraisemblablement leurs enfants, un transfert linguistique. C’est ce que nous permettent de mesurer les recensements. Et le dernier nous dit qu’à peine la moitié des immigrants opèrent un transfert linguistique vers le français, alors que ça devrait être de l’ordre de 85% pour respecter la proportion entre les deux communautés linguistiques. Ce n’est pas malin à comprendre. Quand on veut comprendre.

Cette donnée est un signe qu’on ne parle pas autant le français que vous le laissez sous-entendre « dans les lieux de travail, à l’école ou sur la scène publique », sinon l’attrait pour le français serait beaucoup plus important. Ce que confirment d’autres données statistiques.

L’expérience des autres provinces nous enseigne également que la langue parlée à la maison est la mesure la plus juste du taux d’assimilation, un synonyme de transfert linguistique dont l’utilisation est honnie au Québec par crainte d’être traité de « raciste ».

Toutes ces notions sont, bien entendu, un peu compliquées. Peut-être devrions-nous les abandonner et nous rallier à votre « solution » pour protéger la langue française au Québec, c’est-à-dire « d’en faire une source de plaisir ». Oui, pourquoi s’encombrer de lois, de règlements et de contraintes. Let’s have fun ! Après tout, comme tous les peuples colonisés, nous aurions une prédisposition innée au plaisir !